Avec « Diamond Shaped Room with Yellow Light » de l’artiste américain Bruce Nauman, le Musée Middelheim d’Anvers étoffe sa collection d’une pièce unique. Unique du fait que l’œuvre n’a été exposée que brièvement auparavant. Mais aussi parce que c’est l’une des rares sculptures extérieures de cet artiste. La reconstruction de l’œuvre a donné lieu à une captivante collaboration entre le studio de Nauman et l’entrepreneur Mathieu Gijbels.
Avec « Diamond Shaped Room with Yellow Light », le Musée Middelheim accueille une sculpture monumentale d’intérêt remarquable pour le public. À distance, la structure en béton en forme de diamant semble lancer une invitation. Toutefois, Nauman décrit l’espace même comme inhospitalier. Mais il place l’œuvre dans un lieu si remarquable que l’on est tout de même incité à y entrer. À l’intérieur, une situation contradictoire nous attend également : les efforts que vous avez dû faire pour entrer (portes relativement basses) sont « récompensés » par une expérience déroutante. De l’autre côté, quelqu’un a peut-être dû faire de même. Toutefois, il semble que tout véritable contact soit impossible. L’environnement est étroitement contrôlé par l’artiste. Il demande notre colla- boration, mais ne tolère ensuite que très peu de contribu- tion de la part du visiteur. L’œuvre semble être un piège, un « Experience Trap ». Par exemple, il nous confronte à nos espoirs et à nos attentes, ainsi qu’à l’influence que nous pensons (devoir ou pouvoir) avoir.
L’artiste américain, essentiellement connu pour son travail pionnier en matière d’installations de médias électroniques, d’art vidéo et d’œuvres de néon, avait déjà couché sur papier les premières esquisses de « Diamond Shaped Room with Yellow Light » au début des années 80. Il a fallu attendre la période entre 1986 et 1990 pour que le projet prenne finalement forme. Cette œuvre d’art avait alors été réalisée pour la première fois dans le cadre de l’exposition collective « Zeitgenössische Kunst im Städtischen Raum », qui s’était tenue de 1990 à 1991 à Francfort, en Allemagne. Cette première version, réalisée en maçonnerie de briques plâtrée, a disparu en 1990 et n’a depuis plus jamais été exposée.
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PIÈCE UNIQUE
L’œuvre a désormais une place définitive dans la collection Middelheim. Sara Weyns, Directrice du Musée Middelheim, la décrit comme une pièce unique qui permet au Middelheim d’asseoir sa position. « Le travail de Nauman est représenté dans tous les grands musées d’art contemporain, mais ses réalisations en extérieur sont extrêmement rares. D’autres musées ont acquis de petites sculptures, des vidéos et des travaux sur papier, mais pas de grandes sculptures extérieures. On y trouve la complémen- tarité du Musée Middelheim avec les grandes collections européennes ».
Cette sculpture représente sans doute les racines d’autres œuvres importantes de la collection du musée (Pedro Cabrita Reis, Per Kirkeby, Atelier van Lieshout, Andrea Zittel, etc.) : elle constitue l’« étape intermédiaire » entre la sculpture et l’architecture, ainsi que les pièces dans lesquelles une plus grande interaction avec le public est recherchée. Elle est le signe avant-coureur des pratiques artistiques participatives omniprésentes d’aujourd’hui. Le travail de Nauman cherche à attirer le spectateur, mais pas à présenter de situation sans engagement.
« Diamond Shaped Room with Yellow Light » fait partie d’une série d’ouvrages monumentaux qu’a réalisée l’artiste dans les années 60 et 80, deux décennies au cours desquelles il a été particulièrement productif et qui constituent les périodes majeures de sa créativité. À l’exception de certaines structures dont Nauman même est encore en possession, ces œuvres font depuis longtemps partie d’importantes collections internationales. « Diamond Shaped Room with Yellow Light » est l’une des rares œuvres extérieures de la série (on en retrouve dans pratiquement aucune des collections publiques européennes). Selon Alexander van Grevenstein, ancien directeur du Musée Bonnefante à Maastricht, il s’agit de l’une des dernières grandes pièces inconnues de son travail.
PROCESSUS DE CONCEPTION INTENSIF
De « Diamond Shaped Room with Yellow Light », il n’existait plus rien d’autre que quelques ébauches. La concrétisation du projet en une œuvre d’art ne fut donc pas une mince affaire. « Outre l’esquisse du projet et quelques plans techniques aux dimensions exprimées en pouces, nous n’avions rien en main pour réaliser ce travail », explique Gert Janssen, directeur technique chez Mathieu Gijbels. « Dans un premier temps, nous avons recherché des solutions pour construire l’œuvre : de la maçonnerie aux finitions imitation béton, telle qu’elle fut exposée à Francfort, à une version en béton à couler sur place ou à deux solutions préfa- briquées : les panneaux industriels ou une variante dans un béton à ultra-haute résistance. La variante industrielle s’est avérée répondre le plus au souhait de l’artiste qui avait, en effet, à l’esprit des murs suffisamment épais. Les murs en béton à ultra-haute résistance auraient une épaisseur maximale de 10 cm. Par ailleurs, les coûts élevés préoccu- paient quelque peu. »
Une fois que la méthode de construction la plus appropriée a été déterminée, les ingénieurs se sont mis au travail pour réaliser les schémas de production. « Pour chaque étape de ce processus, nous émettions un feed-back au musée et à l’atelier de Bruce Nauman pour des spécifications complé- mentaires et pour accord. Des détails comme l’exécution des raccords angulaires, les côtés biseautés, la manière de contrer la pollution du béton, etc. sont discutés de façon approfondie avec le Musée Middelheim et l’artiste. Au cours de ce processus de conception, Nauman a opté pour placer les côtés brillants des panneaux à l’intérieur pour une réflexion optimale de la lumière. Ce qui nous a confrontés à un défi, à savoir le degré de finition du côté extérieur. Pour conférer aux panneaux du côté extérieur une finition plus esthétique et un degré de durabilité supérieur, après le montage, nous avons opté pour une finition à l’aide d’un revêtement durable. Quelques imperfections sont corrigées à l’aide d’une réparation au ciment », poursuit Gert Janssen.
BON RENDU FINAL
Les panneaux ont été produits avec le plus grand soin et selon les normes de qualité les plus élevées possible. « Bruce Nauman visait un aspect naturel du béton, des lignes les plus franches possible. Les graviers résiduels ne posaient aucun problème ».
Après le travail de conception et le processus de production, un gros défi subsistait : le transport et l’assemblage des panneaux. Une entreprise risquée. Imaginez d’éven- tuelles détériorations pendant le transport ou le montage, mais aussi l’espace d’assemblage limité par rapport aux dimensions et au poids des panneaux. « Dans un premier temps, il y avait le transport des panneaux de 16 tonnes et de 5 mètres de hauteur. Cette opération requiert un transport exceptionnel avec des camions adaptés, par des routes spéciales et sous l’escorte de voitures ouvreuses. Avant l’ins- tallation, nous avons dû agir avec une prudence extrême dans le parc du musée. Nous avons par exemple tracé une route au moyen de plaques métalliques et le grutier a dû manœuvrer avec précaution entre les arbres. L’assemblage s’est plutôt bien déroulé. La construction a été réalisée en à peine 4 jours, l’installation de LED jaunes et l’aménagement extérieur inclus ».
Bruce Nauman
Bruce Nauman est un artiste américain (sculpteur et vidéaste) né en 1941 dans l’Indiana. Peintre abstrait à ses débuts, il refusera de se cantonner à une école artistique particulière et cessera de peindre dès 1965 pour explorer de nouvelles pistes… Bruce Nauman s’interroge beaucoup sur le corps humain et ses mouvements. Il réalise des performances filmées dans lesquelles il expose des gestes du quotidien. Mais il ne se limite pas à une seule technique et explore plusieurs moyens d’expressions, tels que la sculpture, la vidéo, la performance, l’holographie, le dessin, les néons ou encore les installations. De par ses pratiques multiples, Bruce Nauman est encore aujourd’hui un artiste inclassable. L’artiste peut aussi être provocateur (comme le sont nombre d’artistes se retrouvant dans les courants de l’art minimaliste ou de l’art conceptuel). Ainsi, il déclare pratiquer un art qui agresse : « Je veux qu’il soit véhément et agressif, parce que cela oblige les gens à y prêter attention » déclarera-t-il un jour au Hamburger Bahnhof (ndlr : l’un des musées de la ville de Berlin).