Après une dizaine d’années de travail, ces nouveaux planchers pourraient permettre de réduire considérablement les émissions de carbone générées par le développement urbain rapide.
La partie la plus polluante d’un bâtiment se cache sous les pieds. Les planchers représentent plus de 40 % de la masse totale de la plupart des bâtiments à plusieurs étages, et la plupart des surfaces qui soutiennent les bureaux et les appartements sont en béton. Ils représentent une part importante des émissions causées par la construction et l’exploitation d’un bâtiment au cours de sa durée de vie. La production de béton étant responsable d’environ 8 % des émissions mondiales de carbone, les planchers de faible hauteur représentent un sérieux défi climatique.
Une nouvelle méthode de construction des planchers en béton pourrait changer la donne. En repensant la conception et les exigences structurelles des planchers de construction, une équipe d’architectes et d’ingénieurs de l’ETH Zurich a mis au point une dalle qui ne nécessite que 30 % du béton et 10 % de l’acier d’armature d’un plancher classique. Avec la multiplication des immeubles à plusieurs étages et l’augmentation des populations en Chine, en Inde et en Afrique, ces réductions de matériaux pourraient représenter une diminution importante des émissions de carbone causées par le développement urbain.
« L’extension de l’espace est un aspect de la construction qui nécessite beaucoup de matériaux et qui est donc le plus polluant »
explique Philippe Block, professeur d’architecture à l’ETH de Zurich, qui a dirigé les recherches à l’origine du nouveau projet de plancher.
Après plus d’une décennie de développement, la dalle de béton allégée vient d’être utilisée pour la première fois dans un bâtiment réel. Baptisé HiLo, le bâtiment est un module de deux étages intégré à la plate-forme de recherche Next Evolution in Sustainable Building Technologies en Suisse. Avec ses toits en béton incurvés qui s’élèvent au-dessus de l’espace comme des ailes, et ses grands murs de fenêtres, HiLo est un prototype architectural audacieux.
À l’intérieur, les planchers en béton n’utilisent que 3 centimètres de béton (soit moins de 1,25 pouce) et s’arquent sur un cadre squelettique de fines barres d’acier. Ils ressemblent un peu à la face d’un gaufrier, avec des lignes de béton plus épaisses uniquement là où elles ont été calculées pour être nécessaires.
Cette méthode pourrait bientôt faire partie de projets de construction dans le monde entier. Le groupe de recherche de Philippe Block s’est associé à l’entreprise mondiale de matériaux de construction Holcim pour faire de cette approche un produit de masse. Holcim a récemment annoncé son intention de mettre ce système à la disposition de la construction industrialisée d’ici 2023, et estime que le système peut réduire les émissions de carbone incorporées dans les revêtements de sol en béton jusqu’à 80 %.
Les réductions de matériaux dans ces dalles de plancher pourraient avoir des répercussions considérables. D’ici 2060, la surface totale des bâtiments dans le monde devrait doubler, soit 2,4 billions de pieds carrés supplémentaires. Une grande partie de cette croissance sera concentrée dans les villes, et la plupart des bâtiments urbains à venir seront des tours de moyenne et grande hauteur. Selon M. Block, le béton est « le seul matériau disponible à l’échelle de l’urbanisation rapide et de la croissance démographique en cours ». En réduisant la quantité de béton utilisée pour construire les étages de ces bâtiments, on pourrait réduire considérablement l’impact sur l’environnement de la prise en compte de cette croissance.
Dans un immeuble hypothétique de 25 étages, M. Block affirme que la réduction de la quantité de béton se traduirait par une diminution de 1 200 chargements de camions de béton transportés sur le site de construction et par une économie de 14 miles de barres d’armature en acier pour chaque étage.
Les dalles de plancher mises au point par l’équipe de M. Block ont été optimisées au fil des ans pour réduire les besoins en matériaux tout en conservant leur résistance, mais les principes qui sous-tendent la conception remontent en fait à la construction des cathédrales gothiques. Les techniques de construction en maçonnerie, qui s’appuient sur des arcs et sur la résistance à la compression des pierres taillées et empilées les unes sur les autres, ont été utilisées pour construire des structures capables de résister pendant des siècles. C’est une forme de construction ancienne qui trouve une nouvelle pertinence à l’ère de l’impression 3D. Elle a récemment été utilisée par Block et les concepteurs de Zaha Hadid Architects pour construire un pont piétonnier en arc à Venise, en Italie, à l’aide de pièces imprimées en 3D qui s’empilent en place sans nécessiter de mortier.
L’équipe de Philippe Block a appliqué le même concept aux dalles de plancher, en les concevant de manière à répartir la force du poids dans les angles, c’est-à-dire aux endroits où les planchers sont soutenus par des poutres. Cela a permis de réduire le besoin d’armatures supplémentaires dans les dalles de béton, qui ont pu être construites comme des éléments préfabriqués individuels au lieu d’être coulées sur place sur des cages de barres d’armature.
Bien que de nombreuses personnes aient insisté sur la nécessité d’abandonner le béton dans la construction au profit de matériaux durables tels que le bois lamellé-croisé, Philippe Block estime qu’il est également important d’améliorer les matériaux de construction courants dont dépend la majeure partie de la planète. « La durabilité ne devrait pas être un message sur les matériaux, mais sur la façon de les utiliser », explique-t-il.
M. Block indique que le nouveau système de plancher-dalle a déjà été proposé pour être intégré dans un grand projet qui fait actuellement l’objet d’une demande de permis de construire, et il espère qu’il sera utilisé dans d’autres projets au cours des années à venir. Le partenariat avec Holcim et son objectif de commercialiser le processus d’ici 2023 y contribueront probablement. Mais M. Block est également à l’affût des projets qui souhaitent intégrer ce nouveau système encore plus tôt. Selon lui, pour avoir un impact, il faut que ce nouveau type de construction de plancher commence à faire son chemin dans les bâtiments du monde entier.
« Les matériaux sont disponibles, le système est entièrement conçu et nous en avons déjà fait la démonstration dans un bâtiment », explique M. Block. « Ce n’est pas l’avenir. C’est déjà prêt aujourd’hui.
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