Les transitions spatiales comme moteur de conception en habitation collective à Rimouski

RÉSUMÉ

Cet essai (projet) s’intéresse aux transitions spatiales, à travers les espaces intermédiaires et transitionnels, ainsi qu’aux rapports entretenus entre l’homme et l’espace au niveau des immeubles d’habitations. Il tente de comprendre l’influence que ces espaces ont sur le comportement des usagers à travers leurs parcours entre l’extérieur et l’intérieur, entre le privé et le public. Aussi, il cherche à savoir comment ces transitions peuvent générer des endroits propices aux rencontres et à la contemplation, dans un parcours expérientiel allant des abords du site jusqu’au logement. Les notions de frontière et de hiérarchisation, à travers les transitions spatiales, sont explorées de manière à saisir les différentes façons dont le parcours de l’utilisateur s’effectue. Cet essai (projet) tente de mettre en lumière comment les transitions spatiales peuvent-elles influencer la qualité de vie des usagers, et comment sont-elles favorables à la rencontre et au développement de relations interpersonnelles entre ces usagers. La recherche est utilisée en tant que moteur de conception dans le cadre d’un projet de logements collectifs au centre-ville de Rimouski.

1 INTRODUCTION

Cet essai (projet) s’intéresse aux transitions spatiales, à travers les espaces intermédiaires et transitionnels, ainsi qu’aux rapports entretenus entre l’homme et l’espace dans le cadre précis des immeubles d’habitations. La recherche tente de comprendre l’influence que ces espaces ont sur le comportement des usagers à travers leurs parcours entre l’extérieur et l’intérieur, entre le privé et le public. Le potentiel architectural de ces espaces de transitions est ainsi exploré, perçu et exploité en tant que générateur de lieux propices aux rencontres ainsi qu’à la contemplation, dans un parcours expérientiel allant des abords du site jusqu’au logement.

Le passage des occupants entre différents espaces publics et privés offre généralement peu de transitions harmonieuses, amoindrissant ainsi la qualité de vie, ou du moins la qualité spatiale, dans le cadre résidentiel. Le projet de recherche-création tente de comprendre les notions de frontière et de hiérarchisation des transitions spatiales en explorant les différentes façons dont le parcours de l’utilisateur s’effectue entre les divers lieux publics et privés, intérieurs et extérieurs.

Plus précisément, il cherche à déterminer, par le biais d’une réflexion et d’un travail sur les espaces transitionnels et intermédiaires, comment ces lieux peuvent-ils influencer la qualité vie des usagers, et comment sont-ils favorables à la rencontre et au développement de relations
interpersonnelles entre ces usagers.

Les termes transitionnel et intermédiaire sont élaborés par le philosophe français Henri Bergson. Il avance que la transition spatiale n’est pas seulement qu’un espace venant faire la connexion entre des environnements opposés. Selon lui, deux types de transitions sont à considérer. Il les distingue par l’utilisation des termes d’espace intermédiaire et d’espace de transition : «le premier, [intermédiaire], correspondrait à une approche statique de l’espace proprement dit, avec ses qualités le rendant intermédiaire du point de vue de l’échelle, du statut et du caractère […]. Le second, [de transition], renverrait, quant à lui, à une notion dynamique, celle du passage d’un espace à l’autre, avec une transition atténuant leur opposition.»1 (Moley, 2006 : 54-55) À partir de cette théorie, l’analyse des transitions prend un tournant important, et du même coup, tout son sens.

Les logements sont parfois conçus de façon très rigide et peu sensible, ne facilitant pas nécessairement les échanges au sein d’un voisinage. L’essai (projet), en réaction face à ce constat, étudie et explore les potentialités de ces espaces de transition en tant que générateurs d’expériences. À cette fin, il propose une analyse des rapports entre l’homme et un espace donné, et de la perception qu’il a de celui-ci. Il cherche également à établir une diversification quant aux transitions spatiales, afin d’établir différentes relations et combinaisons entre ces types d’environnements : les espaces intermédiaires et transitionnels. De plus, il s’intéresse aux relations interpersonnelles, à savoir comment les zones de transitions peuvent devenir favorables aux rencontres et propices au développement d’une certaine intimité, intégrées dans un parcours social et expérientiel. Enfin, la recherche est utilisée en tant que moteur de conception dans le cadre d’un projet de logements collectifs au centre-ville de Rimouski.

2 SCHÉMA DE CONCEPTS

Schéma de concept de l’essai (projet)

3 L’HOMME ET L’ESPACE

Afin de mieux comprendre les notions de transitions entre les espaces, il est de mise de se questionner sur son utilisateur, l’homme, et sur sa relation avec l’espace. «Il existe, pour l’être humain, en tout premier lieu, une conscience de son propre corps. Ce schéma corporel est une structure acquise qui lui permet de se représenter, à n’importe quel moment, et dans n’importe quelles conditions, les différentes parties de son corps, en dehors de toute stimulation sensorielle extérieure.» (Cousin, 1980 : 22) Il s’agit ici de la genèse du rapport de l’homme à l’espace. Avoir une conscience développée de son corps permet à l’homme d’avoir une meilleure compréhension de l’espace avec lequel il est en interaction, en ce sens qu’il lui est possible de se visualiser dans un parcours avant même de prendre part concrètement à l’environnement. Les premiers rapports avec l’espace peuvent ainsi se faire à une distance variable, selon le contexte qui se présente à l’utilisateur. L’homme, par ses capacités visuelles, capte l’information que l’environnement lui envoie, l’analyse et la comprend, dans une optique de perception de l’espace.

La compréhension de l’environnement dans lequel il se trouve et la capacité à pouvoir s’y projeter permet à l’utilisateur de s’approprier l’espace à sa manière.

L’homme ne se limite toutefois pas au volume propre de son corps ; ainsi, penser que le corps humain s’arrête à la surface de la peau est erroné.

(Hall, 1971) En fait, l’homme possède une frontière non physique qui se situe à proximité de son corps.
(Cousin, 1980) Cette frontière agit sous la forme d’une bulle englobant l’être, comme s’il était protégé en tout temps. La bulle (fig.2), évoquée par Hall, devient alors le prolongement de l’homme dans l’espace. Elle se compose en une ou plusieurs couches, prenant la forme «d’une petite sphère protectrice» (Hall, 1971 : 150) gravitant autour de l’homme. Ainsi, il faut imaginer l’homme avec de nombreuses sphères à dimensions variables, se modifiant au gré de son parcours entre différents espaces. Ces variations sont un aspect important à considérer, car elles interviennent sur le comportement et la façon dont l’homme utilise et s’approprie l’espace.

Interprétation de la bulle personnelle de l’homme

D’ailleurs, Cousin (1980) emploie également ce concept de bulle pour mieux définir ces variations d’espaces pour l’homme. Ce dernier soutient que les mouvements effectués par l’homme avec ses bras et ses jambes traduisent un espace plutôt sphérique. «Cet espace, qui a donc une réalité physique certaine, a été traduit en réalité psychologique : c’est une zone qui définit notre propre espace personnel.» (Cousin, 1980 : 28) Selon lui, la bulle est beaucoup plus qu’une série de couches se prolongeant en périphérie du corps de l’homme. En plus de se modifier dans le parcours spatial, celle-ci peut varier selon les mouvements corporels de l’individu. Cet espace personnel ne possède ni dimension ni forme particulière. Généralement, elle épouse le corps à une certaine distance, mais peut prendre de l’expansion, s’élargir, ou aussi se compresser selon le contexte. Bachelard illustre ce phénomène par l’exemple d’une chambre tranquille. L’individu s’imprègne de la spatialité de la chambre, ne la voit plus, ne la sent plus, ne lui pose plus de frontières. (Cousin, 1980) En retrouvant certaines conditions propices, ici le calme, la perception de l’environnement modifie l’espace personnel, qui devient alors l’espace de la chambre.

Cousin, quant à lui, met l’emphase sur un autre aspect de la bulle, soit sa capacité à se modifier selon l’environnement vécu. «Au cours d’une marche, d’une séquence spatiale, c’est une véritable pulsation qui caractérise ce champ spatial.» (Cousin, 1980 : 29) Ces variations de l’espace font en sorte que la bulle de l’homme de transforme à mesure qu’il progresse dans son parcours. Elle se dilate, se compresse, signale des informations provenant de l’espace, influençant alors le comportement et les sensations éprouvées par l’individu. L’espace sera alors vécu différemment selon les conditions qu’il propose : l’homme sera soit à l’aise, comme dans le cas de la chambre, ou n’appréciera pas son passage dans l’espace.

Bachelard évoque également une notion similaire au concept de la bulle, soit celle de la coquille.

Dans La poétique de l’espace, il mentionne que le corps de l’homme se compose intérieurement de plusieurs coquilles. Ainsi, le corps devient l’enveloppe retenant ces nombreuses entités.

D’ailleurs, Charbonneaux-Lassay exprime que les Anciens faisaient une analogie entre un corps humain renfermant l’âme et une coquille abritant le mollusque. La coquille prend vie que par ce qui la stimule fondamentalement : «[…] le corps devient inerte quand l’âme en est séparée, de même aussi, la coquille devient incapable de se mouvoir quand elle est séparée de la partie qui l’anime.» (Bachelard, 1951 : 114) Cette analogie met en rapport l’homme et l’espace. Lorsque l’homme est dans l’espace, l’espace devient vivant, il s’anime par l’activité même de son occupant; si l’homme le quitte, l’environnement se retrouve inanimé. Ainsi, l’homme et l’espace sont inséparables, l’un ne peut vivre sans l’autre.

Le travail d’Abraham Moles, plus pratique en termes de compréhension appliquée, allie un concept de coquilles, que possède l’homme, s’apparentant à celui de bulle proposé par Hall. Il élabore les relations entre les coquilles de l’homme et l’espace, détaillant neuf couches passant du corps propre de l’homme jusqu’au monde entier. (Annexe A2) Cet essai (projet), se concentre sur les cinq premières coquilles. (fig.3) Moles (1998) perçoit l’homme comme un oignon muni d’une superposition de couches successives le liant à l’espace. La toute première coquille se trouve au niveau du corps de l’homme. «La peau est la limite du corps propre, elle constitue la frontière de l’être : elle détermine la différence entre la Nature et l’Être, Moi et le Monde. La peau est une membrane ; différant d’une simple paroi, elle établit une concentration des événements externes à sa surface, elle privilégie une certaine forme dans l’espace : le lieu de mon corps.» (Moleset Rohmer, 1998 : 84) Le toucher permet de diviser l’espace en deux parties : l’Ici et l’Ailleurs. Le corps, de par la peau, devient la frontière entre les deux espaces : elle leur donne une dimension. La deuxième coquille est celle du geste immédiat, proposant de grandes similitudes avec l’espace personnel associé à la première coquille. Cette couche se situe au-delà du corps propre et réfère à la zone d’actions posées par l’individu. Moles (1998) affirme que cette coquille est identique pour chaque individu. Considérant qu’elle est formée par les portées du corps en mouvement, son identité demeure la même pour tous, alors que seul son volume varie. La troisième coquille occupe la pièce de l’appartement. Cette coquille est délimitée par l’espace visuel s’étendant au niveau de la pièce où l’homme prend position. Elle fait référence à un endroit clos visuellement, sans nécessairement être clos physiquement, indiquant une poursuite des pièces adjacentes. Il y a intériorisation de soi tout en sachant qu’il y a extension de la pièce dans une distance rapprochée. Cet espace «hiérarchise et subordonne les espaces secondaires éventuels.» (Moles et Rohmer, 1998 : 89) Moles qualifie ensuite la quatrième coquille, l’appartement, comme celle ayant la «paroi» la plus dure, protégeant l’intérieur de l’environnement extérieur. Il indique que «[l]a coquille de l’appartement est la vraie frontière du privé et du public.» (Moles et Rohmer, 1998 : 91) Ainsi, certaines questions se soulèvent en rapport à cette transition entre le public et le privé, l’extérieur et l’intérieur. En considérant l’appartement comme l’endroit où la vie privée règne, comment faire en sorte que les parois de cette coquille, aux allures d’une forteresse, ne paraissent infranchissables pour l’homme ? Comment rendre son passage moins sévère tout en conservant son caractère sécurisant ? Finalement, la cinquième coquille est celle du quartier, environnement important à traiter. L’enjeu consiste en la création de liens entre l’homme et son environnement extérieur tout en demeurant dans un espace sécurisant, sans imprévus. À cet endroit, l’homme, sortant de chez lui, est chez l’autre ; il est en terrain connu sans en être le maître, contrairement à l’appartement. Moles (1998) décrit l’échelle du quartier comme étant issue de quelques îlots avoisinants. Dans le cadre de ce projet de recherche-création, il est ici intéressant de reporter l’échelle de la coquille du quartier à celle de l’îlot de logements collectifs.

Interprétation des cinq premières coquilles de l’homme

4 LES TRANSITIONS SPATIALES

L’homme et le bâtiment sont des entités ayant des éléments spatiaux pouvant s’apparenter. Dans cette optique, l’homme possède son espace, soit celui de son corps propre, et une bulle, soit le prolongement de son corps à diverses échelles. Il en est de même pour le bâtiment. Michael Leonard (Cousin, 1980) en fait la distinction par l’espace de l’édifice même et par l’espace autour de celui-ci. Dès lors, il est possible de discerner deux types d’espaces distincts : un espace positif et un espace négatif. Leonard qualifie l’espace positif comme un endroit, à l’échelle humaine, possédant un centre où l’individu se sent généralement attiré. Cet espace, au caractère englobant, se limite au champ visuel perceptible de l’homme. Il est, d’une certaine manière, comparable aux trois premières coquilles évoquées par Moles. De son côté, l’espace négatif se veut l’espace restant suite à la reconnaissance de l’espace positif. Il s’agit donc d’un environnement vaste, sans limite
visuelle. «L’espace positif correspond donc à notre bulle et à son extension autour de nous»
(Cousin, 1980 : 45) et ce qui reste devient automatiquement négatif.

Par contre, l’espace entier n’est pas constitué uniquement d’un seul espace positif et négatif. En effet, l’espace négatif peut incorporer plusieurs espaces positifs à la fois, dépendamment du type d’environnement vécu et de la compréhension spatiale de l’homme.

Toutefois, lorsqu’il y a regroupement d’espaces positifs, consentis dans un environnement négatif, l’espace positif dans lequel l’homme participe a beaucoup plus d’importance que ceux à proximité, auxquels l’homme ne prend pas place. Aussi, l’être humain est capable de reconnaitre les autres espaces ayant le même caractère que celui dans lequel il évolue et a la capacité de s’y projeter. (fig.4)

Reconnaissance d’espaces positifs à proximité (Cousin, 1980 : 71)

Suite à l’analyse des rapports entretenus entre l’homme et l’espace, il est maintenant pertinent de s’attarder à la gestion de cet espace. La quatrième coquille de Moles, celle de l’appartement, est ici considérée. L’auteur décrit l’appartement comme une séparation spatiale importante, c’est-à-dire la limite physique véritable entre le domaine public et privé. À partir de cette affirmation, des questions naissent. Comment le passage entre l’espace public et privé peut s’effectuer ? En l’absence de définition concrète relative au caractère réel de cette frontière, comment la gestion entre ces espaces peut se faire ? Afin de mieux définir cette limite, il est important de comprendre la notion de transition spatiale.

L’espace de transition est une zone se situant entre un volume intérieur et un autre extérieur à ce dernier. Il permet de faciliter le déplacement de l’homme à travers ces espaces aux caractères distincts. Donald D. Winnicott (David, 2003) définit cette zone comme créatrice d’illusions ; elle laisse présumer qu’elle fait partie autant de l’espace intérieur de l’habitation que de la partie extérieure à celle-ci, alors qu’en fait cet endroit ne semble correspondre, ni n’appartenir à aucun de ces deux espaces. D’ailleurs, Winnicott (David, 2003 : 211) qualifie la transition d’«espace flottant entre deux mondes.» Cette frontière prend naissance au moment où il y a séparation dans l’espace, ou bien, à la rencontre de deux environnements différents. «[T]here is an outside and an inside, and myself in the middle, this is perhaps what I am, the thing that divides the world in two, on one side the outside, on the other side, it can be thin like a blade, I am neither on one side nor the other, I am in the middle, I am the wall, I have two faces [surfaces] and no depth.» (Beckett cité par Teyssot, 2005 : 107) Dans ces propos, la transition n’indique pas d’épaisseur entre les deux environnements, du moins pas de dimensions particulières. De ce fait, la transition peut devenir un espace en soi ; elle peut autant être mince ou volumineuse. «The frontier, as it were, belongs to a logic of ambiguity, or ambivalence : the void of the border can turn the limit into a crossing, a passage ; or the river into a bridge.» (Teyssot, 2005 : 107) Ainsi, la transition s’établit comme étant une limite incertaine entre deux géants, qui sont l’intérieur et l’extérieur, le public et le privé. (David, 2003) La transition, peu importe sa dimension, demeure un élément singulier venant réconcilier deux pôles conflictuels.

De cette manière, les dualités exprimées font toujours référence à celle de privé et public, d’intérieur et extérieur. (fig.5) Cependant, le fait d’être à l’intérieur ou à l’extérieur n’indique pas systématiquement que les espaces soient couverts ou découverts, ou bien clos ou ouverts. (von Meiss, 2007) Plusieurs types de transitions peuvent s’appliquer.

Localisation espace public/privé et intérieur/extérieur

De plus, les transitions effectuées ne sont pas nécessairement intérieures ou extérieures, voire privées ou publiques ; von Meiss, (2007) affirme qu’il y a toujours, une fois à l’intérieur d’un environnement, possibilité d’atteindre des espaces encore plus intérieurs. Dans ce cas, la frontière avec le corps humain signifie la dernière étape à franchir. Ainsi, les transitions spatiales ne sont plus qu’une réponse aux dialectiques entre privé et public, intérieur et extérieur. À présent, il est possible d’effectuer des transitions au niveau de même espace, par exemple, intérieur et intérieur, privé et privé. (fig.6)

Proposition espace public/privé et intérieur/extérieur

Leonard (Cousin, 1980) décrit que l’espace positif possède des qualités statiques. La bulle de l’être humain, l’englobant dans son environnement, a pour effet d’inciter l’individu à prendre une pause, à se reposer. De ce fait, l’espace négatif devient alors dynamique. Contrairement à l’espace positif, celui-ci incite au mouvement, au changement. Il force à bouger autour des espaces positifs, comme s’il les repoussait. Cousin (1980) poursuit ces propos en apportant une nuance.

Pour lui, l’environnement positif ainsi que négatif peuvent avoir des caractéristiques autant statiques que dynamiques. L’élément venant donner le caractère à l’espace, soit statique ou dynamique, est ce que Cousin appelle les axes de références. Ce type de référence est inné chez l’homme. Ces axes donnent une directive, une indication sur le type d’environnement auquel l’individu prendra part. «[C]haque fois qu’un axe est contrarié, il détermine un arrêt dans cette direction. Chaque fois qu’il en est favorisé, il détermine une possibilité de mouvement.» (Cousin, 1980 : 48) Les axes de référence identifient la marche à suivre et influent sur la perception spatiale de l’individu.

Cousin (1980) explique la variation de ces axes de la manière suivante. Le dynamisme dans un espace positif se crée au moment où la perception de l’individu change, où sa bulle personnelle agit différemment dans l’espace. À cet endroit, l’homme se sent englobé par l’espace, mais rien ne semble statique, comme dans une pièce close où les proportions face à l’homme sont surdimensionnées. Un des axes est alors favorisé et le dynamisme prend forme. Il en est de même pour un espace négatif devenant statique. Prenons le cas d’un espace vaste qui, généralement, incite aux déplacements de l’individu dans une ou plusieurs directions. Par contre, quand l’espace devient encore plus vaste, si vaste que tous les axes de référence sont sollicités, l’homme a tendance à s’immobiliser et l’endroit devient alors statique.

En connaissant les caractéristiques de bases auxquelles se rattachent les notions d’espaces intermédiaires, soit statiques, et d’espaces transitionnels, soit dynamiques, il est important, à présent, de saisir en profondeur les diverses qualités et propriétés spécifiques que possèdent ces différents environnements. Ainsi, cela permettra de mieux doser et de faciliter les rapports entre l’homme et l’espace.

4.1 L’ESPACE TRANSITIONNEL

L’espace transitionnel favorise les axes naturels du corps humain accentuant leurs caractères dynamiques. L’individu, en explorant ce type d’espace de transition, sera porté à se mouvoir dans une ou plusieurs directions. Par contre, «il n’est pas nécessaire que le mouvement soit désiré, désirable ou même possible…» (Cousin, 1980 : 77) En effet, l’espace transitionnel peut être vécu ou être vu : l’espace peut être ressenti, à distance, de par le dynamisme visuel et
l’illusion que l’espace peut créer.

Cousin (1980) différencie les deux types d’espaces que comporte l’espace transitionnel, soit un espace positif dynamique et un espace négatif dynamique. Le premier consiste en un espace clos donnant l’illusion à l’homme que sa bulle personnelle est contenue dans celui-ci. Toutefois, son caractère dynamique fait en sorte que l’environnement subit une modification dans au moins une direction donnée. En fait, plusieurs directions peuvent être manifestées en même temps ;
cependant une seule est nécessaire pour perturber l’espace vécu. Les dimensions ou les proportions spatiales ne sont pas prédéterminées ; la bulle doit amener le sentiment de protection chez l’homme. Par contre, une fois dans l’espace «[…] on se hâte de [le] franchir en raison du malaise que leur étroitesse ne manque pas de susciter.» (David, 2003 : 199) Ici, l’étroitesse mentionnée de la zone occupée n’est qu’un exemple ; bien d’autres qualités transitionnelles peuvent produire le même effet d’évasion ou de mouvement chez l’homme dans cet environnement. Le second espace, étant négatif dynamique, entre en jeu lorsque les axes spatiaux sont renforcés visuellement, lui conférant son caractère transitionnel. L’espace négatif peut être situé n’importe où : il peut être perçu horizontalement comme par exemple sur un grand lac, ou bien verticalement, comme aux abords d’une paroi d’une falaise. Cependant, dans chaque environnement négatif, l’être humain est incité, de toute façon, à effectuer un déplacement vers un objectif, un but à atteindre. Généralement, il s’agit d’un ou plusieurs éléments positifs, près ou lointains, forçant l’individu à se mouvoir. Ils agissent comme un aimant envers l’homme.

Dans un endroit considéré dynamique, les aspects de profondeur et de distance sont très importants pour la compréhension de l’espace. Se questionnant sur la perception et le caractère dynamique de l’espace, James J. Gibson (Cousin, 1980 et von Meiss, 2007) évoque certains facteurs qui, lorsqu’impliqués avec l’architecture, accentuent les axes de référence de l’homme.

Gibson traite ainsi de la notion de perspective, la divisant en trois points : la perspective linéaire, de dimension et par la texture.
Gibson (Cousin, 1980) souligne l’importance du regard en ce qui a trait à la lecture de l’espace. Par la perspective dite linéaire, l’homme analyse l’environnement de manière visuelle. Malgré le fait qu’il ne puisse pas toujours participer à l’espace vu, il peut tout de même ressentir le dynamisme de celui-ci. Ainsi, l’aspect dynamique apparaît quand les éléments architecturaux forment des lignes parallèles rejoignant le point de fuite auquel elles se rattachent. En respectant la direction que ces éléments indiquent dans l’espace et de ce qu’en perçoit l’individu, ce dernier est incité à se déplacer vers le point focal. Ce type de perspective peut se jumeler, ou du moins être complété, par la perspective de dimension. En disposant les éléments architecturaux, soit identiques ou alignés dans le même axe, le dynamisme de l’espace prend de l’importance par le rythme créé et par l’effet de décroissance des objets architecturaux. La perspective par la texture, quant à elle, n’a pas beaucoup d’impact lorsqu’employée seule. Par contre, si elle est combinée à d’autres éléments de perspective, elle sera beaucoup plus efficace. En effet, le sens tactile se mets alors en marche. Il semble important de faire l’utilisation d’une matérialité judicieuse pour venir contraster les espaces entre eux et, ainsi, activer leur dynamisme.

4.2 L’ESPACE INTERMÉDIAIRE

Le fondement de l’espace intermédiaire consiste en un environnement statique ne favorisant aucun déplacement. À cet endroit, il y a état d’équilibre entre les forces (Le Petit Robert, 2009), entre les axes de références. Ainsi, les caractéristiques statiques s’opposent aux axes dynamiques. Pour David, la nature intermédiaire passe par la notion d’habituation de l’espace par l’homme : «c’est un espace où l’on s’arrête un peu pour s’acclimater aux conditions nouvelles auxquelles on va être confronté dans l’univers où l’on se dispose à pénétrer.» (David, 2003 : 199) Le lieu incite l’individu à prendre une pause et aussi conscience du changement d’environnement auquel il participe. La méthode efficace d’y parvenir est alors de «bloquer un axe naturel» (Cousin, 1980 : 79) de l’homme, donc éliminer tout mouvement. Il faut ainsi ériger un élément, physiquement infranchissable, devant la direction empruntée, pour interrompre le cheminement spatial ou visuel de l’homme.

Comme pour l’espace transitionnel, Cousin (1980) distingue deux types d’espaces intermédiaires : un positif statique et un autre négatif statique. Tel que mentionné par David (2003) précédemment, ces espaces marquent une pause. Pour rendre l’effet efficace, encore plus ressentit, les trois axes de références doivent être bloqués. Cela implique que l’homme devient immobile, sa bulle personnelle l’englobe ; elle prend possession de l’espace. Dès lors, le symbole de protection et de repos, mentionnés auparavant, s’enclenche. Par contre, une différence dans la composition spatiale est soulevée par Cousin (1980) entre un espace de forme circulaire et un autre rectangulaire. Il mentionne, qu’à l’origine, l’environnement circulaire est celui où la bulle personnelle s’empreigne le mieux des composantes spatiales vu ses propriétés enveloppantes relatives à la sphère. Toutefois, malgré son caractère naturel fortement statique, l’espace peut se transformer facilement en espace dynamique lorsqu’on se l’approprie. En effet, au moment où on y place un objet à l’intérieur, ce dernier devient le centre. L’être doit alors se déplacer, effectuer un mouvement circulaire autour de l’objet, enlevant toutes propriétés statiques ou du moins affaiblissant le caractère intermédiaire de l’espace. De son côté, l’espace rectangulaire est positif, certes, mais possède un caractère moins statique, à la base, que celui circulaire.

Cependant, il diffère de ce dernier lors de son appropriation. Même si l’on dispose un objet quelconque dans cet espace, il conserve néanmoins sa nature intermédiaire. En raison des coins que le lieu possède, l’homme peut toujours s’y blottir et ainsi garder sa bulle personnelle stable.

Pour ce qui est de l’espace négatif statique, Cousin (1980 : 80) le définit comme un endroit nous incitant à «nous déplacer au hasard et non rester au repos.» L’espace vaste, tel qu’expliqué précédemment, peut être statique. Par contre, si un élément vient se placer dans l’environnement, alors le caractère statique est réduit, voire même éliminé car un nouveau but apparaît dans le champs visuel de l’individu : dès lors, il est attiré comme un aimant par cet objet dans le paysage. «Cependant, théoriquement, un espace favorisant notre bulle pourrait être très grand ; mais là, un coefficient personnel intervient : s’il est très grand, certaines personnes s’y sentent mal à l’aise.» (Cousin, 1980 : 77) Il est donc préférable de doser ce genre de lieu. Malgré le fait qu’il soit utilisable, il reste à tout le moins qu’il pourrait être peu fréquenté, considérant une certaine ambiguïté que l’individu pourrait y ressentir.

4.3 LES RELATIONS SPATIALES

La façon dont la succession et l’emplacement des espaces transitionnels et intermédiaires s’effectue dans le parcours architectural, a une importance particulière sur le comportement de l’usager. «[…] Les espaces sont assurément, tour à tour, positifs et négatifs, statiques et dynamiques, en fonction des modifications volumétriques ou des déplacements de notre corps, transformant notre prise de conscience. C’est ce qui rend l’architecture vivante.» (Cousin, 1980 : 49) Effectivement, ce qui fait de l’architecture une structure animée, c’est l’appréhension du parcours spatial de l’homme par la localisation et la compréhension des rapports entretenus entre les espaces transitionnels et intermédiaires. Leur insertion ne doit pas entraver le caractère initial des deux pôles à relier. Ainsi, l’objectif des transitions est de bonifier les qualités spatiales des environnements desservis. La nature des contrastes utilisés dans les transitions est variable, voire illimitée. Ils peuvent être ressenties de manière abrupte ou graduelle par l’individu dans son parcours. Pour se faire, une séquence dans l’organisation de ces différents lieux doit s’établir. (fig.7)

Séquences spatiales (Cousin, 1980 : 214)

Cependant, la direction empruntée dans le cheminement de l’usager, à travers les espaces, influe sur la perception de ce dernier. (Cousin, 1980) Le fait d’entrer où de sortir aura une signification bien différente dans l’une ou l’autre des directions.

Bachelard y porte une attention particulière. Selon lui, deux termes viennent s’opposer : le dedans et le dehors. «On ne peut pas vivre de la même manière les qualificatifs attachés au dedans et au dehors.» (Bachelard, 1957 : 194) Malgré le fait que l’espace reliant les deux autres conserve les mêmes caractéristiques pour chacune des
directions, les effets ressentis seront dissemblables, et ce, d’un individu à l’autre.

Cousin (1980) est l’un de ceux ayant travaillé et analysé en profondeur les relations spatiales. En s’appuyant sur les propos de plusieurs auteurs, de même que les siens, il présente des séquences spatiales, explique les variations possibles dans leur composition en plus d’analyser l’effet ressentie lors du passage de l’homme à travers ces types d’espaces. «L’interpénétration spatiale réalise la continuité d’un espace à l’autre à partir du moment où un élément important de définition, un mur, un plafond, un sol, appartient visiblement à deux ou plusieurs espaces.» (von Meiss, 2007 : 122) En fait, Tapio Periainen (Cousin, 1980) précise que la relation d’un espace à un autre, qu’il soit à caractère intermédiaire ou transitionnel, s’exprime par la distance entre ces espaces, leur degré d’ouverture face à la frontière qui les sépare et la continuité d’un espace à l’autre. «Le thème de la continuité spatiale évoque un principe dynamique, de passages et d’arrêts avec des plans qui guident et qui font deviner la suite en ménageant des surprises par l’ambiguïté entre le caché et le visible, le présent et le futur.» (von Meiss, 2007 : 123) Ainsi, les réactions seront variables en se mouvant d’un espace à un autre. Cousin (1980), met d’ailleurs en évidence les changements entre les espaces positifs et négatifs. Passer d’un environnement positifs à un autre semblable met l’individus en confiance : c’est un espace familier où l’on se sent en sécurité. La transition peut être brutale ou graduelle, mais le caractère englobant des espaces, les un à la suite des autres, gardent l’usager en contrôle. À l’opposé, lors d’un passage entre un espace négatif vers un autre négatif, il y a une sorte d’ambiguïté puisque ces lieux, infinis et continus, sont difficilement appropriables. «Il peut aussi y avoir juxtaposition d’espaces négatifs, mais sans connaissance réelle et simultanée par l’observateur.» (Cousin, 1980 : 218) Pour ce qui est du cheminement d’un espace positif vers un de type négatif, cela consiste en un changement d’échelle. Il s’agit de passer d’un environnement enveloppant vers un espace vaste :

l’action de sortir vers quelque part. Cependant, il faut le traiter avec précaution. Il peut être désagréable pour l’utilisateur si le changement est trop brusque. À l’inverse, à l’extérieur, une personne aura de la difficulté à s’imprégner dans un espace négatif. Au moment où elle passe vers un espace délimité, aussi faible qu’il soit, l’individu s’intègre à l’espace. Ici, c’est l’action d’entrer dans un nouvel environnement. Là aussi, le changement d’échelle est important, l’individu va en direction d’un lieu plus englobant, plus sécurisant. Enfin, un tableau synthèse et explicatif est placé en annexe pour mieux cerner les variations physiques possibles des espaces de transition. (Annexe A3)

5 LA COMMUNICATION SPATIALE

Outre les transitions entre l’intérieur et l’extérieur, celles entre le public et le privé est un autre aspect important à traiter. Leur objectif est de faire en sorte que les relations sociales et intimes fassent bon ménage et que les zones en questions puissent conserver leur caractère original.

Teyssot (2005 : 107) mentionne que «[t]he frontier loses the meaning of pure obstacle and becomes voidal and interstitial, a space where things can happen, a happening, a performance, an event or a narrative, for instance – an in-cident. The ‘’spaces between’’ have the power to become symbols of exchanges and encounters. As such, they offer the ability to gather events that occur ‘’there’’.» Toutefois, en plus de devenir des zones propices à la rencontre et aux échanges, elles doivent être en mesure d’établir des lieux de recueillement et d’intimité. Ainsi, les espaces transitionnels et intermédiaires encouragent le développement des qualités sociales.

Pour les rendre efficace, il est de mise de les diversifier et de les contrôler dans l’environnement. «Structurer notre milieu, c’est aussi structurer le processus de communication qui forme la base de l’interaction sociale. Mais organiser physiquement notre environnement, c’est aussi donner une certaine orientation à notre comportement individuel et même à l’être que nous sommes.» (Cousin, 1980 : 20) Selon von Meiss (2007), certains espaces sont dédiés principalement aux déplacements de l’homme et permettent les rencontres entre d’autres individus. Cependant, d’autres lieux proposent aux usagers de s’isoler temporairement en les encourageant à se retirer de l’activité sociale. Ces endroits, tel qu’expliqué précédemment, marquent une pause, un changement physique ou bien psychologique.

5.1 LA STRUCTURE SOCIALE

La compréhension des rapports sociaux est primordiale pour une conception adéquate de logements collectifs. L’appréhension des différentes relations entre les individus permet d’offrir une meilleure gestion des espaces et la manière dont les rencontres peuvent se former.

Cependant, les comportements face à autrui varient pour chaque individu. E.T. Hall (1971) intègre le concept de distances sociales – l’écart relatif entre deux personnes – qu’il divise en quatre catégories. Il les nomme distance intime, personnelle, sociale et publique.
Dépendamment de l’écart entre les protagonistes, les réactions seront perçues différemment.
Hall (1971) distingue un mode proche et le mode éloigné pour chacune des distances jouant avec la réactivité des gens. Ce système de distances sociales s’apparente, d’une certaine manière, aux coquilles de l’homme discutées précédemment.

La première, la distance intime, commence dès la surface de la peau jusqu’à approximativement 45 centimètres de l’homme. À cette distance, les sentiments que l’on éprouve face à l’autre lui sont transmis immédiatement. Par exemple, la peur, la colère, l’amour, la joie peuvent y être exprimés. Toutefois, la présence d’un individu dans cette zone peut paraître gênante, voire envahissante vu la très grande proximité avec soi. La distance personnelle, quant à elle, se situe de 45 centimètres jusqu’à 1,30 mètres du corps. Elle est décrite comme étant «la distance fixe qui sépare les membres des espèces sans-contact.» (Hall, 1971 : 150) En fait, la distance personnelle est similaire à la bulle personnelle de l’homme. C’est dans cet intervalle que les conversations naissent entre les individus ayant une très grande proximité, tel que les membres d’une même famille ou des amis proches. La position que prend l’individu face à l’autre exprime quel type de relation ils développent, quelle attitude ou quel sentiment ils ressentent l’un envers l’autre. La troisième zone est celle de la distance sociale. À ce moment, il s’agit de la limite entre la distance personnelle et sociale, ce que Hall (1971 : 152) qualifie de «limite du pouvoir sur autrui.» Valsant à travers les 1,30 mètres et les 3,75 mètres, c’est à cet endroit que les discussions informelles prennent forme entre connaissances, sans nécessairement éprouver une grande réciprocité. En plus de noter une diminution dans la précision des traits physiques chez l’autre, les gens ne se touchent pas, du moins, n’y sont pas incité à le faire. La quatrième et dernière zone proposée par Hall est la distance dite publique. Se situant au-delà des 3,75 mètres, elle est généralement mise en évidence lors de rencontres formelles. À cette distance, l’individu valide sa prise de position face une éventuelle rencontre avec l’autre, c’est-à-dire s’il prend les devants ou s’il prend la fuite.

Ainsi, il peut assister à un évènement sans toutefois y prendre part, agir avec un regard détaché par rapport à la situation.
Moles (1998), de son côté, parle de psychologie de communauté. Au-delà du fait que le concept se lie aux rencontres entre les gens, la communauté fait aussi référence à un sentiment d’appartenance à un ou plusieurs groupes, se solidifiant par la fréquence où ces rencontres ont lieux. Moles (1998) scinde en deux types différents sa théorie sur la communauté : la communauté proche et la communauté lointaine. Celle qu’il qualifie de proche consiste aux rencontres volontaires ou involontaires, un face-à-face entre les individus impliqués. Ces derniers, comme l’indique leur appellation, appartiennent aux mêmes groupes sociaux possédant des caractéristiques semblables et se reconnaissant de manière évidente. Celle appelée lointaine représente les gens ayant un degré de proximité moindre, pour de nombreuses raisons variables, mais sachant, entre eux, qu’ils peuvent établir des liens ou qu’ils ont quelque chose en commun. Ils se reconnaissent par le biais de l’image qu’ils projettent aux autres. Désormais, ils peuvent interagir ensemble, et éventuellement, développer une relation.

Là où le travail de Moles croise celui de Hall est au niveau des types de réactions en situation de rencontre. Moles (1998) détecte, comme pour le concept de communautés, deux types de réactivité, soit proche ou lointain. (fig.8) La première s’apparente à celle du proche au niveau de la communauté. Ce genre de rencontre consiste en un événement spontané, immédiat. Une réunion en direct, un face-à-face où la totalité ou une partie des sens sont sollicités. «[L]e dialogue s’établit sans temps mort, sans pauses, puisque le message de l’un est saisit instantanément par l’autre, et réciproquement.» (Moles et Rohmer, 1998 : 130) Par contre, la réaction de type lointain met en évidence l’effort de rencontre que les individus doivent déployer pour se réunir dû à la distance les séparant. Cependant, le fait qu’ils se déplacent met de l’avant leur appartenance à une des deux communautés expliquées auparavant. Ici, il est possible d’associer ce concept à celui de distance publique vu l’écart important entre les différents interlocuteurs. De son côté, les quatre distances élaborées par Hall peuvent se prêter au concept de réactivité proche de Moles. Toutefois, la distance publique doit rester moindre pour conserver la spontanéité de la rencontre et que le dialogue demeure sans délais. Tout comme chez Hall, principalement avec la distance publique, le délai encouru au moment de la réaction d’une personne face à l’autre est important. Cela permet à l’un d’analyser l’image projetée de l’autre et ainsi de décider s’il va à sa rencontre ou non.

La rencontre (Moles et Rohmer, 1998 : 131)

Selon une étude réalisée par Festinger, Schachter et Back (Antipas, 1982), deux formes de contacts entre les individus, ou pour reprendre les termes déjà employés, deux formes de rencontres. Il y a les contacts dits actifs, qui «impliquent une action consciente de la part du sujet pour que le contact ait lieu» (Antipas, 1982 : 43), et ceux dits passifs, où le bâti influence grandement le type et la fréquence des rencontres indépendamment de la volonté à socialiser des gens. Dès lors, une nuance peut être soulevée face à cette recherche et les propos tenus par Moles. Ce dernier insiste que les rencontres volontaires ou non, soient effectuées selon la conscience des gens et de leur appartenance à un groupe. Antipas (1982) quant à lui, cite que le volontaire provient de la personne tandis que l’environnement bâti façonne les rencontres involontaires. De leur côté, Festinger, Schachter et Back (Antipas, 1982) notent deux types de distances en relation avec les contacts passifs, soit la distance physique et la distance fonctionnelle. On peut les associer, en quelque sorte, aux distances sociales de Hall, mais attribuées à la conception du bâti dans un projet d’habitations collectives. La distance physique, par exemple l’écart entre les différents logements, peut faciliter ou non les rencontres. Plus l’écart est faible, plus les chances de rencontres augmentent ainsi que la fréquence auxquelles elles risquent de se produire. La distance fonctionnelle vient nuancer les effets de la distance physique. La façon dont les équipements et les services (escaliers, boîte aux lettres, buanderie) sont disposés dans le projet, les rencontres varieront d’un logement à l’autre, d’une personne à l’autre, selon sa proximité avec les services. Avec l’aide de l’illustration (fig.9), il est possible de mieux saisir l’influence de la distance fonctionnelle sur les rencontres possibles entre le voisinage d’un même bloc. Par exemple, l’appartement #5 est celui ayant eu le plus de relations vu sa position à proximité avec la boîte aux lettres et l’embouchure de l’escalier (relations majoritairement faites avec l’appartement #9 et #10). Ensuite, c’est l’appartement #1 qui a effectué un bon nombre de rencontres (majoritairement faites avec l’appartement #6 et #7). Ainsi, les jonctions entre ces distances physiques et fonctionnelles deviennent des points névralgiques quant aux créations de rencontres. «Dans l’ensemble, la distance physique et la distance fonctionnelle font que plus de la moitié des amitiés se forment au niveau de la cour, dans un cas, au niveau du bloc, dans l’autre cas.» (Antipas, 1982 : 44-45) Ces relations entre différents individus dépendent du nombre de services et d’équipements dans le projet, mais aussi de la distance variant entre chacun d’eux. Herbert J. Gans (Antipas, 1982) mentionne que les distances physiques et fonctionnelles doivent être bien dosées. Si l’écart devient trop petit entre eux, les gens auront l’impression d’être en présence d’autrui en tout temps et qu’un contact social soit obligé. Les gens doivent être en mesure de conserver leur intimité autant à l’intérieur de leur logement qu’à l’extérieur.

Schéma d’organisation d’un bloc de Westgate West (Antipas, 1982 : 44)

«Les facteurs d’implantation, avec leurs conséquences planifiées ou non, fournissent uniquement une base potentielle de relations de voisinage. Il n’y a pas de simple déterminisme mécanique dû à l’environnement physique. Les caractéristiques des habitants, leurs attitudes face aux relations de voisinage, leur statut, leurs aspirations et leur compatibilité en général, c’est cela qui déterminera le développement de relations sociales actives, à partir d’une simple conscience de l’existence des voisins.» (Kuper cité par Antipas, 1982 : 40) Même si l’architecture propose une multitude d’espaces pouvant favoriser ou non la création de rencontres à travers le voisinage, il reste néanmoins que ce sont les individus eux-mêmes qui y mettent de la vie.

5.2 LA STRUCTURE PHYSIQUE

La conservation de l’échelle humaine dans le gabarit d’un projet d’habitation est importante, autant dans le rapport avec le tissu urbain que pour les rapports entre les individus. Christopher Alexander (1977 : 119) propose un principe limitant les projets de logements à quatre étages : «In any urban area, no matter how dense, keep the majority of buildings four stories high or less. It is possible that certain buildings should exceed this limit, but they should never be buildings for human habitation.» Aller au-delà de la limite de quatre étages a pour effet de négliger les espaces de vie extérieurs, mais aussi d’endommager l’état psychologique des occupants. Ainsi, le bien-être mental et social des gens est affecté.

Contacts significatifs avec le niveau du sol (Gehl, 1987 : 100)

Les édifices en hauteur réduisent, voire même enlèvent tout contact entre les individus et le sol, mais diminuent aussi les relations humaines et le contact avec le rythme de vie quotidien qui fourmille au niveau des rues et de la cour. Cependant, Alexander (1977) apporte une nuance à ce principe. La hauteur fixée à quatre étages pour les projets d’habitation n’est pas coulée dans le béton : elle peut varier jusqu’à cinq et six étages.

Seulement, cette situation doit être gérée avec précaution et justesse pour ne pas perdre les qualités humaines du projet. Jan Gehl (1987) travaille dans la même direction qu’Alexander. À l’aide de l’illustration en coupe (fig.10), il est possible de mieux saisir les variations de contacts avec les différentes frontières avec le niveau du sol. Ainsi, Gehl (1987) mentionne que les contacts plus concrets sont possibles seulement au niveau des premiers étages de l’édifice. Entre le troisième et le quatrième étage, on subit une diminution des moyens de contacts avec le sol. Il y a perte dans les détails physique des gens et la communication entre les individus est affaiblie. Gehl (1987 : 101), dans la poursuite des propos d’Alexander, note que tout événement au-delà du cinquième étage est exempt de contact avec le sol et de ce qui s’y produit. «Low buildings along a street are in harmony with the way in which people move about and the way in which the senses function, as opposed to all buildings, which are not.» De plus, il indique qu’aux étages supérieurs peuvent s’intégrer des points d’observations pour les usagers. Cependant, si des activités doivent s’y mettre en branle, elles n’auront pas les résultats escomptés dans la volonté de rassembler les gens. Ces lieux de rencontres seront plus efficaces lorsque situés sur le même niveau, idéalement au sol, à une plus grande distance entre eux que superposés sur différents étages.

Organisation hiérarchique de la zone résidentielle (Gehl, 1987 : 62

Un autre moyen de structurer l’environnement bâti est proposé par Gehl (1987). Selon lui, subdiviser en petits groupes les logements et leurs espaces extérieurs permet de mieux comprendre l’environnement auquel les occupants prennent part ainsi que de fournir des unités mieux définies. Le contrôle des limites spatiales attribuées aux individus réduit les problèmes d’appropriation et consent une meilleure hiérarchisation des espaces de transition entre le public et le privé. (fig.11) De plus, le fait de partitionner en plus petits groupes peut améliorer les relations humaines. «Several examples demonstrate that the residents in these small units are more quickly and more effectively able to organize themselves for group activities and to solve mutual problems.» (Gehl, 1987 : 63) En fait, «[t]he more residents are outdoors, the more often they meet – and the more greetings are exchanged and conversations develop.» (Gehl, 1987 : 55) Quelque soit leur durée, un premier contact entre les individus sera amorcé. Ces espaces peuvent consister en des escaliers, des coursives, des balcons, des terrasses ou bien une cour intérieure. Toutefois, Olivegren (Antipas, 1982) dénote une certaine réticence pour les corridors, escaliers et ascenseurs dans les bâtiments à plusieurs étages. Il les considère comme des endroits pouvant entraver les relations sociales. «Everywhere that people move about and are engaged in activities, they do so on horizontal planes. It is difficult to move upward and downward, difficult to converse upward and downward, and difficult to look up and down.» (Gehl, 1987 : 66) Ces zones, au caractère dynamique, sont des espaces reliant généralement deux niveaux de plancher.

Méthodes favorisant ou empêchant
tout contact visuel et auditif
(Gehl, 1987 : 64)

Les relations humaines sont donc difficiles à entretenir. Cependant, Alexander (1977) propose différentes méthodes pour palier à ce type de blocage social. Pour lui, il est envisageable d’utiliser un escalier comme une scène, le relier à l’espace servi pour qu’ils participent ensemble à l’action. Les gens peuvent ainsi s’en servir comme siège, se retirer momentanément du rythme de vie. Ceci peut encourager les contacts du type face-à-face élaboré précédemment. De plus, Alexander (1977) soutient que l’escalier doit être à l’extérieur. Le fait que l’escalier soit fermé réduit considérablement la connexion entre les niveaux supérieurs à rejoindre, mais aussi peut s’avérer néfaste au point de vue social. Finalement, la modulation de environnement passe par l’utilisation de systèmes de parois. «La notion de paroi est inhérente à l’idée d’appropriation de l’espace. L’homme ne conquiert l’espace qu’en le divisant, en l’organisant et en le ramenant à lui-même, en matérialisant ses subdivisions.» (Moles et Rohmer, 1998 : 62) Pour Chermayeff et Alexander (1972), il faut utiliser la paroi pour contrer principalement deux «envahisseurs», soit la circulation et le bruit. Cela permet de contrôler les zones d’intimité et de socialisation. De son côté, Moles (1998) parle du «Mur» plutôt comme une combinaison de différentes sortes de parois. Ces parois sont considérées comme «[d]es barrières, des modulateurs et autres dispositifs analogues, permanents ou temporaires, [qui] doivent pouvoir faire un écran aux créatures vivantes, à la lumière, aux sons ; pouvoir séparer le désirable de l’indésirable. Les moyens de séparation appropriés fonctionnent à la manière d’une jonction.» (Chermayeff et Alexander, 1972 : 211) Gehl (1987), quant à lui, a classifié cinq catégories d’utilisation de parois. (fig.12) À partir de ces variations d’aménagements, il est possible de mieux gérer les types d’espaces et de leur conférer différentes qualités, sociales ou intimes, ainsi que promouvoir ou bloquer la vue et le son environnant



TABLE DES MATIÈRES

Résumé
Membres du jury
Remerciements
Table des matières
Liste des figures
1 Introduction
2 Schéma de concepts
3 L’homme et l’espace
4 Les transitions spatiales
4.1 L’espace transitionnel
4.2 L’espace intermédiaire
4.3 Les relations spatiales
5 La communication spatiale
5.1 La structure sociale
5.2 La structure physique
6 Le projet
6.1 La mission
6.2 Le développement du projet
6.2.1 Échelle urbaine
6.2.2 Échelle du site
6.2.3 Échelle du bâtiment
6.2.4 Le parcours
7 Retour sur l’essai (projet) et conclusion
Références
Annexes
A1 Planches de l’essai (projet)
A2 Les coquilles de l’homme
A3 Les relations entre les espaces
A4 Analyses

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