Les prospections et recensements du bâti médiéval effectués ces dernières années dans un certain nombre de villes et de villages ont permis de noter la diversité des matériaux et des techniques de construction au sein des régions du sud-ouest de la France. La demeure médiévale est généralement bâtie avec le ou les matériaux disponibles sur place et révèle parfois des manières de bâtir dont l’architecture religieuse, objet d’un investissement et d’un traitement particulier, témoigne peu (1). Quelques centres urbains de la région ont donc montré l’emploi important de la pierre et de la brique dès les XIIe -XIIIe siècles. À Cahors, Figeac,Albi, Rodez, Saint- Antonin-Noble-Val et d’autres villes encore – où l’échantillon d’édifices est bien fourni et où l’étude a pu être poussée un peu –, il est apparu que la construction en pans de bois avait, bien avant le XVe siècle, une place assez importante, bien que toujours associée à des maçonneries qui constituent au moins le rez-de-chaussée et les murs mitoyens, sinon la plus grande partie de la maison (2). Malheureusement, dans la majorité des cas, ces pans de bois ont disparu, parfois rebâtis, mais le plus souvent remplacés par des murs maçonnés laissant lisibles cependant les structures ayant servi de support aux pièces de bois. Dans d’autres cas, la cohérence entre la construction en pans de bois et la structure maçonnée médiévale qui la supporte permet de supposer que les deux parties sont contemporaines. C’est donc dans le cadre d’une construction mixte que nous apparaît, a priori, le pan de bois médiéval de la région, bien que des édifices bâtis entièrement selon cette technique soient connus pour le XIVe siècle par des vestiges archéologiques et conservés en élévation dès le XVe siècle (3). Si cette construction mixte semblait avoir eu une place non négligeable dans certaines villes avant le XVe siècle, il reste pour l’instant difficile d’en définir la proportion par rapport à une construction exclusivement en pans de bois apparemment non conservée.
Comme dans d’autres régions de France, comme en Angleterre, en Allemagne et en Belgique, les vestiges préservés dans les villes du sud-ouest montrent que les XVe et XVIe siècles ont constitué une époque particulièrement florissante pour la construction en pans de bois (4). Certains spécimens remarquables témoignent de la grande maîtrise atteinte à cette époque dans l’art de bâtir selon cette technique et des possibilités de décor qu’elle pouvait offrir. On peut donc se demander si l’absence de vestiges antérieurs à cette époque est due à une incapacité, pour l’heure, des chercheurs à les reconnaître ou si d’autres raisons sont à invoquer.
Les nombreux règlements d’urbanisme imposant la suppression des encorbellements pour limiter la propagation des incendies ont sans doute entraîné des destructions (5) bien que l’on note dans certains cas un simple « recul » du pan de bois, après sciage des solives débordantes (6). Par ailleurs, les restaurations, et notamment les plus récentes, ont pu être particulièrement destructrices sur ce genre d’édifice.
Viollet-Le-Duc définit le pan de bois comme un « ouvrage de charpenterie, composé de sablières hautes et basses, de poteaux, de décharges et de tournisses, formant de véritables murs de bois, soit sur la face des habitations, soit dans les intérieurs, et servant alors de murs de refend » (7). La définition plus ancienne de d’Aviler est encore assez proche: « assemblage de charpente, qui sert de mur de face à un bâtiment. On le fait de plusieurs manières, parmi lesquelles la plus ordinaire est de sablières, de poteaux àplomb, et d’autres inclinés et posés en décharge » (8). Ces définitions s’appliquent bien sûr parfaitement aux édifices de l’Époque moderne, nous verrons cependant qu’elles ne caractérisent pas précisément certains pans de bois anciens.
L’objectif de cet état de la question est de regrouper et de tenter de structurer les données que les prospections effectuées dans les centres urbains ont révélées dans le domaine de la construction en pans de bois.
Cette entreprise a déjà été amorcée par Gilles Séraphin qui a apporté en 2006 quelques éléments de réflexion sur le sujet en s’appuyant surtout sur les vestiges conservés dans les villes de Cahors et de Figeac. Il s’est plus particulièrement attaché à montrer l’existence de deux structures à pans de bois coexistantes au Moyen Âge (9).
C’est de là que nous repartirons, et si au terme de cet état de la question de nombreuses interrogations et incertitudes demeurent, quelques nouvelles hypothèses pourront être avancées, et le corpus plus étoffé qu’il y a trois ans permettra sans doute d’enrichir la réflexion.
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Structures portantes du pan de bois
L’observation des vestiges des demeures à pans de bois des villes de Cahors et de Figeac a mené Gilles Séraphin à déterminer deux catégories d’édifices: « les pans de bois autoportants à sablière maîtresse » et « les pans de bois à piliers d’étages porteurs » (10). Les premiers constituent le système le plus fréquemment utilisé et généralisé à l’Époque moderne, où la sablière maîtresse et la paroi en pans de bois disposée au-dessus, portent les solives des étages et la charpente des combles. Les seconds, en revanche, obéissent à un système différent puisque le poids des solives et de la charpente est reporté sur les maçonneries par l’intermédiaire de piles ou de têtes de mur (11). De façon à simplifier les appellations et en attendant d’en trouver d’autres plus appropriées, nous appellerons les premiers « pans de bois porteurs », et les seconds « pans de bois non porteurs ».
Les pans de bois non porteurs
Différents types de pans de bois non porteurs sont ici présentés ; nous verrons qu’ils relèvent tous du même principe. Les différences observées répondent surtout aux divers problèmes posés par les formes et les tailles des parcelles et les limites imposées par la dimension des bois. Parmi les nombreux exemples présentés, quelques édifices ont conservé leurs façades en pans de bois. En l’absence d’analyses dendrochronologiques, leur datation absolue est impossible même si de nombreux indices prêchent en faveur de leur ancienneté. Le plus important étant ici que ces édifices possèdent la même structure que ceux qui n’ont plus leurs pans de bois et pour lesquels, nous le verrons, la datation médiévale ne fait aucun doute.
Les maisons à têtes de murs
Une rapide description de la maison dite d’« Arcambal » à Martel (Lot), relevée alors qu’elle faisait l’objet de travaux partiels, va permettre de mieux cerner la structure du pan de bois non porteur (12). Elle s’élève sur deux niveaux, sur une parcelle de 10 m sur 6 m environ, et présente son mur goutterot sur la rue de l’Église (fig. 1).
L’analyse des constructions a montré que le rez-de-chaussée, bâti dans un appareil de blocs de pierres de taille caractéristique des XIIe -XIIIe siècles à Martel, est antérieur au pan de bois de l’étage. La reprise occasionnée par l’installation de celui-ci, peut-être au XVe siècle, touche également les parties hautes du rez-de-chaussée, une partie du pignon et la façade arrière (13). Le pan de bois, composé d’une trame de poteaux assez dense et d’un remplissage de blocs de tuf, a été élevé sur un solivage serré, soulagé par des corbeaux de bois, permettant un encorbellement allant jusqu’à 1,30 m à l’est. Il prend appui sur la sablière de chambrée posée sur les solives et s’accroche sur les côtés aux têtes de mur, de part et d’autre de la façade. La demeure étant élevée contre la voisine, à l’est, c’est la tête de mur de celle-ci qui a été utilisée (14). L’observation de l’intérieur de l’édifice a permis de constater que la plupart des solives des combles et des chevrons formant ferme étaient conservés. Ils prennent appui sur la maçonnerie de la façade arrière et, à l’avant, sur une poutre longeant la façade et encastrée dans les deux têtes de mur (fig. 2). Nous avons donc bien là le système qui permet de reporter le poids de la charpente sur les parties maçonnées, libérant le pan de bois de toutes forces ou pressions, en dehors de celles provenant de sa propre structure. Cette poutre, encastrée dans la maçonnerie et située à l’arrière des colombages, est la principale caractéristique du pan de bois non porteur. Si elle a le plus souvent disparu, avec les pans de bois qui la devançaient, les murs et autres supports maçonnés dans lesquels elle venait s’engager restent généralement lisibles sur les façades. Les prospections ont ainsi permis de repérer de nombreux vestiges de ce système de construction et les maçonneries conservées dans les parties basses peuvent permettre de dater son utilisation.
On en trouve en effet dès l’époque romane à l’exemple d’une autre demeure martelloise élevée dans la rue Droite, dont la construction peut être située vers la fin du XIIe ou le début du XIIIe siècle (fig. 3) (15) : la double série de fenêtres quadruples maçonnées du premier étage, que l’on peut restituer grâce à de nombreux vestiges, la rattache aux plus anciens édifices de la ville. Les têtes des murs gouttereaux se détachent de la maçonnerie reprise, au-dessus de ce niveau, et permettent de restituer une façade en pans de bois en encorbellement pour l’étage supérieur et la partie basse des combles. D’autres édifices semblables existent à Figeac (Lot); le pan de bois s’y élevait cependant en façade au-dessus du seul rez-de-chaussée maçonné (16).
Une demeure située dans la rue Droite à Saint- Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne) a conservé le pan de bois de ses deux étages sur un rez-de-chaussée maçonné, très remanié (fig. 4) (17). La visite intérieure de l’édifice a permis de vérifier la présence d’une poutre encastrée dans les têtes de mur (P), renforcés par des piliers engagés (Pi), au premier niveau. Le plus faible module des poteaux semble indiquer que le deuxième étage a fait l’objet d’une réfection; la tête de mur ouest a d’ailleurs été abattue et rebâtie en pans de bois et aucune poutre ne vient reporter ici le poids de la charpente des combles. Pourtant, un pilier engagé conservé à l’ouest sous l’enduit pourrait laisser penser qu’un tel système a pu également exister à ce niveau. Enfin, la présence, sur les murs mitoyens maçonnés de niches, d’un évier et d’une cheminée aux formes gothiques pourrait confirmer une datation haute pour le premier étage.
La maison de la rue Centrale à Cajarc semble beaucoup moins reprise malgré une restauration récente (fig. 5). Elle présente deux niveaux en pans de bois sur un rez-de-chaussée maçonné ouvert d’un grand arc et de deux portes dont une à embrasure extérieure (18) ; les murs-pignons et la façade arrière ont été également élevés en blocs de calcaire. L’homogénéité apparente de la construction semble indiquer cependant qu’ici les deux niveaux de colombages ont été bâtis en une seule campagne. Une reprise a pourtant été opérée au XVe siècle sur la porte gauche et l’arc central du rez-de-chaussée, pour laquelle fut utilisé un calcaire plus clair. Cette reprise en sous-œuvre a peut-être occasionné la mise en place d’une sablière de plancher interrompue au niveau de la porte du XIIIe ou du XIVe siècle. À l’intérieur, une poutre a été mise en support sous les solives, au premier étage, mais pas au second.
Notons enfin que l’on trouve également des têtes de mur à l’arrière de certaines portes ou tours intégrées dans les murs de ville, laissant supposer qu’elles présentaient une façade en pans de bois du côté intérieur. Ainsi en est-il de la tour située au sud de la porte Montferrier à Figeac, voûtée dans sa partie basse et largement ouverte sur la ville; le premier étage était une pièce fermée par un pan de bois qui donnait accès aux courtines de part et d’autre de la tour (fig. 6) (19). Ainsi, dans sa version la plus simple, le pan de bois non porteur, en encorbellement sur le rez-de-chaussée ou le premier étage, s’accroche aux solives qui reposent à l’intérieur sur une poutre ancrée dans les têtes de mur. Ce système s’observe notamment sur des murs-pignons ou sur des murs-gouttereaux de dimensions peu importantes.
Les maisons à piles intermédiaires et pile d’angle (20)
Si la façade sur rue ne dépasse pas les 7-8 m, il est possible, en effet, de disposer une poutre de cette taille entre deux têtes de mur, comme nous l’avons vu jusqu’ici (21). Si la façade est plus longue, ou s’il s’agit d’une parcelle d’angle, il est nécessaire de prévoir alors des supports intermédiaires pour appuyer les extrémités de plusieurs poutres juxtaposées. Ces supports sont des piles ou des colonnes reposant directement sur la base maçonnée de l’édifice, donc reportant le poids sur celle-ci de la même façon que sur les têtes de mur. Ces supports en pierres de taille sont de la même façon aisément repérables sur les façades lorsque les pans de bois ont disparu. Une demeure de la rue Séguier à Figeac montre, par exemple, un rez-de-chaussée et un premier étage élevé en blocs de grès taillés (fig. 7) ; les fenêtres triples décorées de moulures amorties par de petites sculptures indiquent le XIIe ou le début du XIIIe siècle. Le second étage était bâti en pans de bois ; la maçonnerie reprise après la destruction de celui- ci laisse apparaître les têtes de mur et deux piles intermédiaires en pierres de taille. Elle laisse deviner également les empochements des solives débordantes qui avaient été réservés, entre les blocs, dans la partie supérieure du premier étage et qui se succédaient à intervalles resserrés et réguliers.
Une autre demeure de la rue Droite à Martel conserve une grande façade dont le pan de bois s’élevait sur un niveau au-dessus du rez-de-chaussée maçonné (fig. 8). Une pile centrale divise le mur en deux portions de 6 m correspondant à la taille des deux poutres qui prenaient appui sur elle et sur les têtes de mur. La taille brettelée des blocs et les profils en amande des tores qui décorent les grands arcs permettent de la dater de la fin du XIIIe ou du XIVe siècle. Toujours à Martel, la grande maison de la rue du Pressoir possède un pan de bois accusant un fort encorbellement au-dessus du rez-de-chaussée, puis s’élève sur deux niveaux (fig. 9). Ce pan de bois est malheureusement recouvert d’un enduit, mais les grands arcs du rez-de-chaussée et les vestiges de fenêtres triples de la façade latérale, permettent de dater la structure maçonnée de la fin du XIIIe ou du XIVe siècle. La visite intérieure de l’édifice a confirmé la présence d’une colonne à chaque étage et à l’aplomb du mur du rez-de-chaussée; malheureusement, les poutres et les solives – si elles existent encore – ont été escamotées sous le faux plafond (22).
Enfin, une maison de Calmont (Aveyron) a gardé une grande partie de son pan de bois d’origine et a été datée par les analyses dendrochronologiques des années 1440 (fig. 10) (23). Elle montre une grande façade de 9,25 m sur la rue, un rez-de-chaussée de pierre et deux étages en pans de bois. La largeur de la façade a imposé la mise en place d’un pilier central pour servir de support intermédiaire aux deux poutres situées derrière l’encorbellement à chaque étage (24). En effet, comme à la maison précédente, nous pouvons voir ce dispositif conservé sur deux niveaux : au premier étage, les poutres reposent sur les têtes de mur (l’une est renforcée par un pilier engagé) et sur une colonne élevée sur le mur du rez-de-chaussée, et supportent les solives du niveau supérieur.Au second étage, le dispositif se reproduit, mais c’est un pilier de bois qui reçoit ici l’extrémité des deux poutres. Ce pilier repose sur la colonne du premier, ou plus précisément sur les extrémités des deux poutres assemblées à mi-bois s’appuyant dessus (fig. 36). À ce niveau, le dispositif porte directement la charpente des combles.
Quand la maison occupe une parcelle qui présente deux façades perpendiculaires sur rue, un pilier est disposé à l’angle de façon à recevoir la poutre qui supporte les solives ou le croisement des poutres derrière les deux parois en pans de bois s’il s’agit d’un solivage d’angle. Comme le montre la maison Peyrière, place Champollion à Figeac, la pile d’angle repose sur les deux niveaux bas bâtis en blocs de grès local (fig. 11). Cet édifice est un exemple intéressant à plusieurs titres, même si le pan de bois a disparu. Il a d’abord gardé une partie du décor sculpté roman qui ornait les fenêtres triples du premier étage qui permet de dater l’édifice du XIIe ou du début du XIIIe siècle. Par ailleurs, il a conservé au-dessus de ses fenêtres quelques-uns des modillons sculptés qui étaient destinés à supporter les solives débordantes, peut-être par l’intermédiaire de corbeaux de bois, formant l’encorbellement du deuxième étage.
De nombreux vestiges de maisons à piles d’angle peuvent être recensés en dehors de Figeac et de Saint- Antonin qui en comptent un certain nombre. On en trouve par exemple à Lagrasse (Aude) sur des édifices de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle (fig. 12) (25), mais une des rares connues pour l’instant à avoir conservé une partie de son pan de bois d’origine est celle située sur la place au Blé à La Canourgue (Lozère) (26). Il s’agit d’un vaste édifice de deux étages, mesurant 10,5 m x 6,4 m (fig. 13). Il présente sa plus grande façade sur la place au Blé et l’autre sur la rue du Maillan. Seul le rez-de-chaussée est bâti en pierre; les portes sont recouvertes d’un simple linteau de bois. L’observation des ouvertures des deux étages laisse penser que cet édifice peut être antérieur au XVe siècle. En effet, deux lancettes trilobées et une rose en grès sont comprises dans le remplissage de tuf et les croisées actuelles, dont les bases accusent le XVe siècle, font partie d’une campagne de reprise qui a touché la plupart des ouvertures. La visite intérieure a permis de vérifier que le pan de bois n’était pas porteur puisque le système de poutres soutenant les solives est conservé sur les deux niveaux. Les grandes dimensions de la parcelle ont imposé la mise en place de piles intermédiaires et de piles d’angle à chacun des deux étages. Dans les deux cas, de grosses poutres sont assemblées à mi-bois au-dessus des piliers de pierre.
Un autre édifice élevé sur une parcelle d’angle a conservé ce dispositif : il s’agit de la maison de la place de la Daurade à Cahors (fig. 21). La présence de piles d’angle et de piles intermédiaires supportant des poutres est connue par des plans effectués en 1976 (27).
Enfin, les prospections ont permis de déterminer un dernier usage de ces supports dans le cas particulier où les solives sont disposées dans le sens longitudinal sur une parcelle d’angle profonde. Il se peut alors, comme le montre le cas de la maison de la rue Laurière à Figeac, qu’une seconde poutre soit disposée à mi-parcours pour permettre la juxtaposition de deux séries de solives (fig. 34). Cette poutre est alors soutenue par une pile du côté de la façade latérale (28).
Les maisons à arcs
Dans la série des pans de bois non porteurs, les maisons à arcs sont bien moins nombreuses et nous n’en connaissons aucune pour l’instant qui ait conservé son pan de bois. L’exemple le plus lisible et sans doute le mieux conservé est celui de la maison de la rue du Syre à Lauzerte (fig. 14) (29). Il montre deux grands arcs de même taille superposés sur un petit mur goutterot. Le premier ouvre le rez-de-chaussée et permet son accès, alors que celui qui est bandé à l’étage se situait à l’arrière d’un pan de bois en encorbellement. Cet arc, bâti après coup entre les deux têtes de mur, remplace en quelque sorte la poutre que nous avons vue aménagée à ce niveau sur les exemples précédents. Il est destiné en effet à supporter les solives de l’étage supérieur – que l’on voit ici sciées au ras de la maçonnerie – et à reporter leur poids sur les têtes de mur, de façon à en libérer le pan de bois. Ce système permet sans doute de faire l’économie d’une grosse pièce de bois. Deux autres maisons, à Figeac et à Martel, ayant conservé de grands arcs en façade, font sans doute partie de ce groupe d’édifices; les vestiges sont cependant bien moins lisibles qu’à Lauzerte.
En dehors des belles maisons aux façades de grès qui font sa réputation, la ville de Cordes conserve un bel ensemble de demeures médiévales dont une partie reste encore inconnue. Parmi celles-ci, deux édifices bordant les lices témoignent de l’utilisation de cette technique de construction (fig. 15). Largement reprises, notamment aux étages supérieurs, elles ont conservé cependant au premier étage les couples d’arcs trahissant la présence d’un pan de bois dans leur premier état. Des fenêtres géminées du type de celles qui sont utilisées localement à la fin du XIIIe ou au XIVe siècle étant englobées dans des zones de reprises supérieures, on pourrait penser (sauf s’il s’agit de remplois) que la structure en arc est antérieure à cette période. Il est intéressant de noter en tout cas, l’écart important qui existe à Cordes entre les belles et vastes demeures aux façades de grès et aux fenêtres abondamment décorées qui bordent l’axe principal de la cité et les demeures situées à l’arrière élevées en moellons de calcaire assisés et en pans de bois.
Enfin,la maison dite « des Monnaies » à Villemagne-l’Argentière (Hérault) est intéressante à plusieurs titres puisqu’elle présente à la fois la technique du pan de bois sur têtes de mur, piles intermédiaires et pile d’angle. Les deux grands arcs bandés sur la façade arrière témoignent-ils de la présence d’un autre pan de bois? (fig. 16). Les sculptures conservées sur les fenêtres doubles du premier étage permettent de dater l’édifice et l’utilisation de ces techniques du XIIIe siècle (30).
Les plus beaux exemplaires de maisons à arcs sont cependant conservés en Italie, dans la ville de Pise (31) et connus depuis le XIXe siècle grâce aux dessins publiés dans l’ouvrage de Verdier et Cattois (fig. 17) (32). Les trois demeures dessinées dans l’album de planches sont à deux ou trois étages présentant indifféremment le mur-pignon ou le mur goutterot en façade. Les pans de bois ayant disparu, la structure en arc apparaît clairement, bien qu’elle soit plus complexe qu’à Lauzerte et sans doute assez proche de Cordes (33). En effet, les murs sont ouverts à chaque fois de deux travées couvertes d’un arc brisé. Au rez-de-chaussée, on voit deux portes à linteau de pierre pour les deux premières maisons, le couvrement des ouvertures a disparu pour la troisième. Le pan de bois constituait la façade des niveaux supérieurs. Pour les deux premiers édifices, on constate que ce sont des linteaux de pierre de plus de 2,50 m qui jouent le rôle des poutres aux étages inférieurs. En effet, ils supportent les solives qu’il faut restituer en encorbellement, au-dessus de corbeaux dont les empochements, signalés en noir dans la maçonnerie, marquent le niveau (34).Au-dessus des arcs, les logements des solives sont également visibles et restituables. La troisième maison se distingue des deux autres par la largeur de ses travées (4 m contre 2,50 m pour les deux premières), laissant supposer la mise en place de poutres plutôt que des linteaux de pierre. Le système est de toute façon équivalent; les empochements dessinés sur les consoles marquent le niveau où les solives jaillissaient, en prenant appui sur deux pièces transversales ancrées sur les têtes de murs et la retombée centrale de l’arc (ou pile), qu’il faut restituer ici; le pan de bois se développait alors à l’avant, en encorbellement au-dessus du rez-de-chaussée.
Les maisons à têtes de murs en encorbellement
La construction de têtes de murs en encorbellement maçonnées, accusant les profils des débords du pan de bois aux différents étages, semble être une évolution du système à têtes de murs simple. En effet, il permet d’intégrer la poutre à la façade en pans de bois. Celle-ci devient alors sablière tout en continuant à reporter le poids des solives sur la maçonnerie débordante dans laquelle elle est encastrée. Le pan de bois est ainsi parfaitement encadré et maintenu. Les empochements de ces poutres sont bien visibles sur la face interne d’une des deux têtes de mur en encorbellement d’une maison du XIVe siècle à La Romieu (Gers), dont le pan de bois a disparu (fig. 18) ; les logements de ces pièces de bois, parfaitement dégagés, n’ont visiblement pas été effectués après coup. Ils apparaissent aux deux niveaux et à la base de chaque encorbellement. Des traces analogues sont également lisibles sur une maison en ruines de Puycelsi (Tarn), où les têtes de murs ne reproduisent que le seul encorbellement du premier étage ; les empochements des sablières des deux niveaux sont ici aussi conservés. À Lagrasse, une double tête de mur a été bâtie sur l’angle aigu d’une parcelle; elle montre des encoches destinées à caler les sablières et les poteaux qui les surmontaient.
Par ailleurs, cette technique de construction a apparemment favorisé la construction de pans de bois « recouverts » par leur remplissage; c’est du moins ce que semble indiquer la maison de la rue de Lastié à Cahors (fig. 19). Bien que très restaurée, celle-ci a gardé une partie de son pan de bois d’origine, datable du début du XIVe siècle (35). Sur un rez-de-chaussée en brique, qui a remplacé au XVIIe siècle une structure à piliers, s’élève une façade en pans de bois dont le léger encorbellement est accompagné par les deux têtes de murs prolongeant les murs mitoyens.
L’élévation de l’étage apparaît comme une construction maçonnée avec les blocs de tuf portés par la sablière jusqu’à l’appui des baies, et les encadrements des croisées en grès. En fait, comme le montrent des photographies anciennes, les pièces de bois sont à l’arrière de ce placage, le tout constituant des parois très minces (36).
Un même système semble avoir été utilisé à la maison de la rue Droite à Caylus (Tarn-et-Garonne) avec des dalles de calcaire pour remplissage (fig. 20). Dans ce cas particulier, la sablière est portée par des corbeaux de pierre disposés à intervalles resserrés entre les têtes de murs. On peut penser qu’une telle technique de construction a pu amener à réduire au maximum l’utilisation des pièces de bois tout en maintenant un mur mince ; c’est en tout cas ce que semblent montrer les ruines de la maison de la place Chantepleure dans la même ville, où les dalles reposent directement sur les corbeaux de pierre sans l’intermédiaire d’une sablière. Les vestiges de paroi mince, conservés au niveau des fenêtres doubles de l’étage, laissent penser cependant qu’une ossature de bois devait également se dresser à l’arrière (37). De nombreux vestiges de têtes de mur en encorbellement subsistent dans les villes et villages de la région, les ouvertures médiévales conservées dans les parties basses maçonnées semblant indiquer cependant que ce système n’est pas utilisé avant l’époque gothique.
La structure du pan de bois
La plus grande partie de ces maisons n’ayant pas conservé leurs pans de bois, nous ne disposons que de très peu d’informations sur le sujet. Sur une liste de vestiges désormais importante, seuls neuf édifices semblent avoir préservé tout ou partie de leurs façades. Il s’agit des maisons déjà mentionnées de Martel (maison d’Arcambal), de la rue Droite de Saint-Antonin-Noble-Val, de Calmont, de Cajarc et de La Canourgue. Il faut ajouter à cette liste l’édifice très remanié de la place de la Daurade à Cahors qui pose, nous le verrons, certains problèmes, et trois, à Cahors et à Caylus, dont la structure des têtes de mur en encorbellement est un peu particulière. Les cinq premiers édifices ont des façades qui présentent de nombreux points communs, notamment par l’utilisation du tuf pour le remplissage. Nous verrons plus loin que d’autres hourdis sont utilisés au Moyen Âge (38). Ces façades se caractérisent encore par la mise en place de poteaux verticaux, selon une trame plus ou moins resserrée, et de pièces horizontales marquant le niveau de l’appui des fenêtres. Sauf à la maison de Cahors, aucune pièce oblique n’est disposée dans le pan de bois pour le contreventer. Cela peut s’expliquer en effet par la structure même du pan de bois non porteur qui n’est pas soumis aux pressions du poids des planchers et de la charpente, que les poutres reportent sur les parties maçonnées. Par ailleurs, malgré sa faible densité, et dans la mesure où il conserve une certaine épaisseur, le tuf permet sans doute de maintenir la position perpendiculaire des pièces de bois (39).
Les ouvertures conservées ou restituables sont des jours aménagés entre deux poteaux avec un appui constitué par le cordon régnant. Des planchettes découpées pouvaient orneFIG. 16.« HÔTEL DES MONNAIES » DE VILLEMAGNE-L’ARGENTIÈRE (HÉRAULT), vue axonométrique depuis l’angle sud-ouest, extrait de P. Angué 1988, p. 87.r la partie supérieure de la baie ; des traces permettent d’en restituer sur les fenêtres des demeures d’Albi ou de Calmont (40). Ailleurs, la demi-croisée et la croisée se généralisent sur les façades. La maison de la place de la Daurade à Cahors n’a pu être visitée et étudiée, en dehors des façades (fig. 21), qui semblent avoir fait l’objet de reprises très importantes. Outre l’utilisation de différents matériaux pour le remplissage, de nombreuses pièces de bois portent des traces de remploi. De plus, de façon incohérente et désordonnée, des abouts de solives apparaissent au-dessus et au-dessous de la sablière entre les deux étages. L’observation de plans effectués en 1976 montre enfin que les piles d’angle et intermédiaire sont conservées du côté de la rue Clément-Marot alors que c’est du côté de la place que surgissent les solives principales et qu’auraient dû logiquement se trouver la poutre et ses supports. Autant d’éléments qui laissent penser que le pan de bois ne correspond pas à la structure intérieure et relève de diverses campagnes de reprise des façades. Seules, semble-t-il, les solives du rez-de-chaussée, bien insérées dans la maçonnerie, seraient conservées en place.
L’utilisation de cette technique de construction
Les nombreux exemples décrits montrent une grande variété. Ils prouvent également l’existence du pan de bois non porteur durant le Moyen Âge dans certaines régions du Midi de la France. Cette technique de construction reste cependant encore difficile à cerner dans le temps et dans l’espace. En effet, si l’on dresse une cartographie des vestiges connus par les prospections, on notera une concentration dans certaines régions méridionales et l’Italie, et, plus au nord, jusque dans les villes de Périgueux, Donzenac, Aurillac et Le Puy-en- Velay. Cette limite est, bien entendu, celle des prospections effectuées à ce jour ; il serait nécessaire de les poursuivre pour savoir si cette technique de construction a été généralisée ou si elle a répondu plus particulièrement à la nature des matériaux disponibles dans les régions méridionales. Les « maisons à vitrines » bretonnes décrites par Daniel Leloup semblent relever d’un système voisin puisqu’il note la présence de colonnes à l’intérieur des édifices, les façades étant constituées presque totalement d’ouvertures garnies de verre qui n’ont donc aucun rôle porteur (41). Ce type de demeure paraît trouver son apogée au XVIIe siècle sur les côtes bretonnes ; nous n’en connaissons guère sous cette forme dans le Midi.
Si les vestiges permettent d’affirmer que cette technique de construction est en usage dans la région aux XIIe , XIIIe , XIVe et XVe siècles, il est difficile d’en préciser les débuts. Notons cependant que des demeures en pans de bois conservées dans la ville d’Herculanum, donc du I er siècle après J.-C., montrent une structure tout à fait analogue (42). En effet, on y trouve des édifices avec un rez-de-chaussée maçonné et des niveaux supérieurs en pans de bois, les solives de l’étage étant soutenues par une poutre ancrée dans les têtes de mur et des piles intermédiaires selon les cas. Les poteaux dessinent des compartiments carrés ou rectangulaires sans pièces obliques. La seule différence notable vient sans doute du remplissage constitué d’un blocage compact noyé dans du mortier. Le terme d’opus cratitium employé par Vitruve pour désigner le pan de bois ou la paroi formée de claies (donc aussi bien en façade qu’en cloison intérieure), est également utilisé dans des textes de la fin de l’Antiquité (43). Des vestiges de parois en pans de bois ont été trouvés lors d’investigations archéologiques dans les villes du Midi (44). Peut-on imaginer que cette technique de construction ait été encore en usage durant le Haut Moyen Âge ?
S’il semble bien que celle-ci disparaît, on ne sait pas non plus précisément à quel moment. Les vestiges les plus récents semblent dater du XVe siècle, mais là encore, après la phase de prospection, il serait nécessaire de se pencher sur tous les vestiges repérés et d’essayer de les dater pour mieux cerner ainsi la fin de l’utilisation de la poutre et de ses supports. Par ailleurs, force est de constater qu’au-delà des XVe -XVIe siècles, on continue à bâtir des pans de bois sur rez-de-chaussée et murs latéraux maçonnés (donc avec têtes de mur), sans qu’une poutre vienne soutenir les solives à l’arrière. Enfin, comme le montrent certains édifices de Labruguière dans le Tarn, les têtes de mur en encorbellement sont encore en usage au XVIIIe siècle.
L’étude détaillée de deux villes du Lot apporte enfin des informations intéressantes sur la généralisation de cette technique de construction grâce aux cartographies effectuées. En effet, un pointage des constructions mixtes à Figeac, constituées essentiellement d’édifices élevés selon la technique du pan de bois non porteur, montre que plus de la moitié des maisons des XIIe , XIIIe et XIVe siècles étaient concernées. Bien qu’une part importante de ces demeures ne puisse être précisément datée à l’intérieur de cette fourchette, on note une dominante pour les XIIe – XIIIe siècles et une baisse notable de l’utilisation de cette technique de construction pour les XIIIe -XIVe siècles au profit de la construction en pierre (45). À Cahors, le pan de bois avait également sa place. Les vestiges sont équivalents en nombre à la construction en pierre, mais l’utilisation de la brique reste semble-t-il dominante pour la période des XIIIe -XIVe siècles (46) ; parmi les demeures répertoriées, certaines sont bâties selon la technique du pan de bois non porteur et d’autres selon la technique du pan de bois porteur.
Les pans de bois porteurs
Pans de bois porteurs ou « autoportants à sablière maîtresse » (47), sont ceux qui portent le poids des planchers et de la charpente de comble et pour lesquels on constate l’absence de poutre disposée à l’arrière en soutien des solives. Cette structure est celle que l’on connaît généralement pour la plus grande partie des pans de bois modernes. C’est plus particulièrement à cette structure que se rattachent toutes les définitions du terme « pan de bois » énoncés dans les dictionnaires d’architecture.
Les exemples médiévaux connus
L’échantillon de demeures à pans de bois porteurs antérieures à 1400, est malheureusement très restreint pour la région. Les analyses archéologiques ou monographies effectuées ces quinze dernières années ont permis d’en pointer seulement deux : l’une à Cahors et l’autre à Albi. Les prospections récentes en ont désignées trois autres à Cajarc qui attendent cependant une étude détaillée. Le repérage de ces édifices s’effectue sur le principe de la cohérence d’une construction en pans de bois sur des parties basses maçonnées portant des caractéristiques de la construction médiévale.
La maison de la rue Donzelle à Cahors, repérée avant les années 1990 et étudiée dans le cadre du travail effectué sur la ville médiévale (fig. 22), est sans doute le premier édifice médiéval, bâti selon cette technique, reconnu dans la région (48). Malgré la réfection du pan de bois au deuxième étage de la façade principale, la maison est globalement bien conservée et l’analyse du bâti a pu montrer que les colombages étaient contemporains des parties basses maçonnées. Celles-ci sont élevées en briques d’un module caractéristique des constructions des XIIIe et XIVe siècles à Cahors et sont percées d’ouvertures typiquement médiévales. La brique constitue également le hourdi dans lequel sont conservées trois ouvertures hautes en forme de carrés FIG. 20. MAISON DE LA RUE DROITE À CAYLUS (TARN-ET-GARONNE), pan de bois et têtes de mur en encorbellement. Cliché D. Joysur pointe, selon un modèle également fréquent dans les constructions cadurciennes des XIIIe et XIVe siècles (49). Très proche de ceux que nous avons vus précédemment, le pan de bois en léger encorbellement se compose d’une trame de poteaux assez resserrée recoupée par une pièce horizontale qui marque le niveau de l’appui des fenêtres (50). Elle est cependant stabilisée par des écharpes fixées aux sablières basses et aux poteaux corniers par un assemblage à mi-bois et en demi-queue d’aronde. La visite intérieure a montré qu’aucune poutre ne venait soutenir les solives à l’arrière des colombages et reporter leur poids sur les murs maçonnés.
La maison de la rue du Castelviel à Albi est une des seules de l’échantillon présenté à avoir fait l’objet d’une étude pendant travaux (fig. 23) (51). Il s’agit d’une demeure élevée sur une parcelle d’angle. Les caves et le rez- de-chaussée sont bâtis en briques, et l’étage unique est en pans de bois avec un remplissage de torchis (du moins avant les travaux de restauration). Le mur limitant la parcelle à l’est n’est pas maçonné tandis que la partie sud nous reste inconnue puisqu’elle n’a pas été touchée par les travaux. Le rez-de-chaussée très repris n’a livré que quelques claveaux qui ont pu constituer une partie d’un arc médiéval ouvrant sur la rue. Les indices d’ancienneté se trouvent pour une fois sur le pan de bois. En effet, celui-ci a été bâti de façon quasiment identique à celui de la demeure de la rue Donzelle à Cahors, avec une trame de poteaux assez serrée, un cordon régnant sous l’appui des fenêtres et des écharpes reliant les poteaux corniers et les sablières de chambrée. De plus, des chapiteaux et des bases ont été taillés aux extrémités de deux meneaux autorisant la restitution de deux fenêtres jumelles, selon un modèle courant et bien connu sur les façades maçonnées médiévales. Là encore, aucune poutre ne vient soutenir les solives à l’intérieur.
Suivant les critères qui ont permis de reconnaître l’ancienneté de la demeure de la rue Donzelle à Cahors, un certain nombre de maisons médiévales ont été repérées dans la ville de Cajarc et partiellement étudiées (52).
Quelques observations déjà effectuées à l’intérieur et à l’extérieur de la maison de la rue Centrale ont autorisé la détermination de deux campagnes de construction: la première aux XIIIe -XIVe siècles et une reprise au XVe siècle (fig. 5) (53). En l’absence d’analyse plus fine, nous nous bornerons à supposer que le pan de bois pourrait être contemporain de l’une de ces deux campagnes. Nous avons vu par ailleurs que celui-ci avait été bâti selon la technique du pan de bois non porteur au premier étage et celle du pan de bois porteur au second. À ce titre, cet édifice est particulièrement intéressant. Il confirme tout d’abord la coexistence des deux techniques de construc- tion, ce que Gilles Séraphin avait déjà bien mis en évidence (54). Il apparaît par ailleurs que le pan de bois porteur a été choisi pour le dernier niveau peu ouvert, alors que le premier est éclairé par deux grandes croisées que l’absence de grandes pièces obliques a permis d’aménager. Sur cet édifice, le lien entre ces techniques de construction et le contreventement du pan de bois apparaît donc assez clairement puisque celui-ci est renforcé par deux écharpes au deuxième étage (reliant les poteaux corniers et la sablière de chambrée) alors qu’au premier, les deux petites décharges situées sous l’appui des fenêtres ne stabilisent que les poteaux d’huisserie des grandes croisées.
Toujours à Cajarc, une maison très remaniée, rue de la Plume, possède deux niveaux en pierre et un dernier en pans de bois. Des vestiges d’ouvertures médiévales sont encore visibles en bas et le pan de bois, également repris, conserve une partie intacte au sud. Celle-ci est identique au deuxième étage de la maison de la rue Centrale, si ce n’est qu’une seule écharpe est aujourd’hui visible (fig. 24). Cet édifice a l’avantage d’avoir parfaitement conservé sa croisée. Par ailleurs, il s’agit bien d’un pan de bois porteur puisque aucune poutre ne soutient les solives laissées apparentes à l’intérieur.
Non loin de là, la maison de la rue de la Grive est plus grande (fig. 25) ; elle a conservé deux étages en pans de bois couvrant le mur gouttereau, sur un rez-de-chaussée de pierre. Les murs-pignons et la façade arrière sont également maçonnés. L’observation de ceux-ci a mis en évidence la présence d’une porte à linteau et à embrasure extérieure, particulièrement caractéristique des formes d’ouvertures médiévales à Cajarc et, sur la façade latérale, une demi-croisée datable du XVe siècle qui est englobée dans une vaste reprise de la maçonnerie touchant la partie arrière de la maison.
Malgré les reprises opérées au niveau des fenêtres et une restauration récente, le pan de bois reste lisible et en grande partie restituable. En effet, le premier étage était ouvert d’une croisée et de demi- croisées, et le second de deux croisées et d’une demi-croisée. La numérotation des pièces de bois, lorsqu’elle est lisible, laisse penser que la plupart sont bien en place et les trous de chevilles permettent de repositionner celles qui ont été déplacées. On doit remarquer ici certaines dissemblances avec les pans de bois précédents. En effet, les écharpes relient la sablière de chambrée et la sablière haute au premier étage (et non plus les poteaux corniers), et de grandes croix de Saint-André apparaissent au second. Par ailleurs, l’appui des fenêtres ne fait plus partie des points forts de la façade puisqu’il n’y a ici aucune trace de cordon régnant (55).
On note donc une différence sensible dans la structure du pan de bois, plus proche de celle que l’on connaît pour les édifices des XVe et XVIe siècles, comme par exemple l’hôtel dit du « Lion d’Or » à Grauhet (56). Le pan de bois médiéval dans les autres régions: confrontation des données
C’est avec l’étude des maisons de Rouen publiée en 1926 par le commandant Quenedey qu’il est question pour la première fois de demeures à pans de bois antérieures à 1400 (57). Celui-ci a pu alors confronter les vestiges conservés dans la ville avec des techniques de construction évoquées par des textes (comptes et devis) dès la fin du XIVe siècle. La principale caractéristique de celles-ci est l’utilisation de poteaux montant de fond, c’est-à-dire de pièces de bois dont la longueur correspond à la hauteur des murs gouttereaux de l’édifice. Quenedey présente cette technique de construction comme archaïque par rapport à celle qui lui succède, à partir du XVe siècle, et qui est basée sur l’emploi de poteaux courts, ou plus précisément, de pièces de bois n’excédant pas la hauteur d’un étage. Cette évolution s’accompagne de systèmes d’assemblages des bois de plus en plus complexes (58). Les prospections et études effectuées par la suite dans les régions septentrionales ont confirmé l’usage des poteaux montant de fond pour les pans de bois urbains les plus anciens; ainsi en est-il par exemple de l’étonnante façade du logis abbatial de Saint-Amand de Rouen datée du troisième quart du XIIIe siècle (59) et de certaines maisons de Limbourg de la même époque (60).
D’autres demeures plus tardives construites sur ce modèle sont également connues en Angleterre et en Belgique (61). Mais, comme le constatent le commandant Quenedey et Frédéric Épaud, poteaux longs et courts peuvent se côtoyer sur le même édifice et surtout, cette technique perdure jusqu’au XVIe siècle dans certaines régions, notam- ment dans les campagnes (62).
Par ailleurs, l’usage de poteaux montant de fond sur une façade induit l’absence d’encorbellement, c’est ce que montre bien le mur gouttereau du logis abbatial de Saint-Amand à Rouen, calé entre deux murs pignons maçonnés. Les niveaux en encorbellement bâtis avec des poteaux courts se trouvent essentiellement en façade ; il n’est pas rare de voir alors des poteaux montant de fond sur les autres murs (63). Selon Frédéric Épaud, la présence d’encorbellements (et de poteaux courts) en façade se justifie par la nécessité d’établir des surplombs pour protéger les bois des différents niveaux du ruissellement, et surtout, par les contraintes du levage des bois pré-assemblés, rendu difficile en milieu urbain par l’exiguïté des rues (64).
La confrontation des données concernant les constructions anciennes en pans de bois dans les régions méridionales et septentrionales nous amène donc sur des pistes bien différentes: pas de poteaux longs dans le sud, ni en façade et encore moins sur les murs latéraux qui sont maçonnés. Aucun pan de bois non porteur connu dans le nord pour les périodes anciennes, ni de colombages pouvant être associés à une structure basse maçonnée accusant une époque antérieure au XVe siècle. Peut-on d’ailleurs comparer ces édifices de construction mixte qui semblent dominer dans les régions méridionales et le pan de bois « total » qui seul justifie l’utilisation de poteaux longs ? Il semble que l’édification en pan de bois, plus que tout autre technique, soit l’expression de la grande diversité de la construction. En effet, celle-ci s’effectue en fonction de nombreux paramètres: la longueur et la qualité des pièces disponibles, la taille et la forme des parcelles, la présence d’autres matériaux et enfin, le poids d’une longue tradition de la construction en bois qui offre sans doute, selon les régions, différentes facettes.
Quelques aspects de la construction du pan de bois médiéval
Structures du pan de bois et ouvertures
Une idée de la façade médiévale
L’idée que l’on peut avoir d’une façade à une époque donnée est un point intéressant à aborder. En effet, les façades médiévales sont souvent organisées en bandes horizontales correspondant à chaque niveau : l’appui et les impostes des fenêtres sont des points forts, de même que les fenêtres de la salle qui font l’objet d’un traitement particulier. En ce sens, qu’elle soit maçonnée ou en pans de bois, ces règles de composition de la façade doivent pouvoir se retrouver. C’est en effet ce que l’on peut constater à la maison commune aménagée au-dessus de la halle de Grenade-sur-Garonne ; des pans de bois qui constituaient ses murs, il n’en reste plus aujourd’hui que l’ossature (fig. 26). Une solide étude de l’édifice complétée par des analyses dendrochronologiques ont permis de dater l’ensemble des dernières années du XIIIe siècle (65).
Les vestiges de la maison commune montrent une façade garnie d’un réseau de poteaux et de potelets verticaux disposés à intervalles resserrés et réguliers. Une pièce horizontale saillante marque le niveau de l’appui des fenêtres, comme le ferait un cordon régnant et, pour reproduire la forme des ouvertures doubles, une colonne a été taillée dans un meneau tandis que des lames de bois disposées en force dessinent les arcs de cercle des fenêtres géminées. Cordons régnants et meneaux taillés en colonnes sont également conservés à la maison de la rue du Castelviel à Albi et à Calmont pour des baies doubles (fig. 23 et 10). Une maison de la rue de la Fromagerie à Charlieu datée de la fin du XIVe siècle conservait également un dernier niveau en pans de bois ouvert de fenêtres doubles couvertes de planches découpées en trilobes et soulignées par un cordon régnant (fig. 27) (66). Pour les autres demeures, si la « croisée » ou la « demi-croisée » est la forme d’ouverture généralisée, on constate cependant l’omniprésence du cordon régnant qui divise la façade en bandes horizontales. Parmi les demeures aux façades maçonnées, on constate que cette conception est dominante jusque, semble-t-il, vers la fin du XVe siècle. Par la suite, l’élévation principale semble plutôt être conçue comme un plan unifié (67).
La structure du pan de bois : quelques pistes de réflexion
La structure du pan de bois peut-elle alors constituer un indice de datation ? Probablement pas dans l’état actuel de nos connaissances. Si l’on note la présence d’écharpes pour contreventer les pans de bois de certains édifices anciens, elles sont de la même façon couramment utilisées au XVe siècle et après, parfois soutenues par des tournisses; l’absence de toutes pièces obliques se rencontre aussi. Des cordons régnants se maintiennent ou réapparaissent au XVIe siècle sur des façades recouvertes de croix de Saint-André. Quant aux croisées, elles perdurent jusqu’au XVIIe siècle. La grande variété des pans de bois et des structures possibles, à toutes époques, ne permet donc pas pour l’instant de dresser une typologie ayant des correspondances chronologiques strictes. Pourtant, la piste reste intéres- sante à fouiller. L’expérience menée sur les maisons à pans de bois de Sorèze est un bon exemple (68): une série d’analyses dendrochronologiques effectuées sur un échantillon d’édifices n’a pu encore donner de datations absolues mais la chronologie relative entre les édifices est à la fois éloquente et précieuse. En effet, elle montre que les plus anciennes demeures sont celles qui ont de grandes croix de Saint-André en façade, puis celles qui en ont deux puis trois par niveau, pour lesquelles sont encore associées des moulurations de type gothique. Il est intéressant de constater par ailleurs que nombre de demeures qui arborent un décor plus caractéristique de la Renaissance sont contemporaines des précédentes (69). Cette homogénéité apparente de la structure des pans de bois de Sorèze n’est certes pas généralisable. Si l’on se tourne vers les quelques demeures datées de la région, on pourra se rendre compte de la grande diversité des cas de figure. La maison dite « Hôtel du Lion d’or » à Graulhet, élevée au début du XVIe siècle, montre de grandes croix de Saint-André en façade (70). Il en est de même pour la maison « Belooussof » à Marmande dans la seconde moitié du XVe siècle (71). En revanche, celle de la place principale de Prades, au début du XVIe siècle, est contreventée par de simples écharpes maintenues par des tournisses (72). Il en est de même pour celle de Donzenac dont les décors gothiques accuseraient plutôt le XVe siècle (73). Si l’on sort de la région, la célèbre maison « de Jeanne d’Arc » à Moulins, datée de 1410-1411, présente une division horizontale au niveau de l’appui des fenêtres. Il ne s’agit pas d’un cordon régnant mais d’entretoises disposées entre chaque poteau.
Au-dessus de cette division, de grandes croix de Saint-André ont été disposées et, au-dessous, de petites croix entre poteaux et potelets (74). À Charroux, une demeure fort semblable a été bâtie peu après le milieu du XVe siècle (75). Celle de Sainte-Foy-La-Grande, montre une même structure de pans de bois pour la deuxième moitié du XVe siècle (76). À Dijon, il semble que les maisons ayant conservé de grandes croix de Saint-André comptent également parmi les plus anciennes (77). La formule des croix de Saint-André ou d’écharpes maintenues par des tournisses est également présente à Orléans au XVIe siècle (78). Cette grande diversité ne devrait pas empêcher cependant de définir des tendances générales ou un ensemble de formules caractérisant une époque, peut-être associées à une région. La multiplication des monographies devrait sans aucun doute finir par aboutir à une ébauche de typologie des structures des pans de bois.
En attendant, quelques éléments structurels émergent pour les édifices les plus anciens: l’absence de pièces obliques, notamment pour les pans de bois non porteurs, ou la présence de simples écharpes reliant sablière basse et poteaux corniers parfois assemblées en demi-queue d’aronde, et enfin, l’omniprésence du cordon régnant mouluré. Peut-on penser alors que ces formules précèdent l’utilisation de la croix de Saint- André, plus efficace pour le contreventement et peut- être source d’une nouvelle esthétique ?
Quelques remarques sur la croisée et la demi- croisée
Dans sa version la plus simple, l’ouverture est conçue comme un pan vide entre deux poteaux, au- dessus d’un cordon servant d’appui à la fenêtre et parfois surmontée d’une entretoise pour servir de linteau. Comme le montre la « demi-croisée » ouvrant la façade latérale de la maison de La Canourgue (fig. 28), une traverse divise l’ouverture en deux parties inégales de façon à réserver la partie supérieure pour le verre dormant et la partie inférieure pour l’aération. Il s’agit- là en quelque sorte de l’ouverture « naturelle » dans une paroi en pans de bois ou du module de base. Ce module peut alors être répété sur le pan voisin pour constituer ce que l’on appelle « une croisée » mais que l’on peut voir également, sous la forme de fenêtres jumelles, de part et d’autre d’un poteau. L’exemple des ouvertures de la maison de Saint-Antonin-Noble-Val illustrent parfaitement ce parti (fig. 29). Il en est de même pour la « croisée » de la maison de la rue de la Plume à Cajarc dont le linteau est constitué par la sablière haute où viennent s’ancrer les poteaux (fig. 24). Les « croisées » et « demi-croisées » que l’on peut restituer sur la façade de la maison voisine, rue Centrale, se présentent de la même façon, avec une dissymétrie notable des ouvertures des fenêtres jumelles de droite due à une rupture du rythme des poteaux (fig. 5). Notons encore que les vestiges d’ouvertures conservés dans cette ville montrent une nette différenciation entre la partie haute traitée sans moulure et la partie basse décorée d’un chanfrein. Cette différence de traitement sert sans doute à distinguer la partie de la baie équipée de verre dormant et celle, en bas, que l’on peut refermer grâce à des volets de bois.Dans une version plus élaborée, la sablière haute est doublée d’une entretoise pour servir de linteau à l’ouverture, et le poteau central est remplacé par un potelet sous l’appui de la fenêtre et un meneau au-dessus: ce type d’ouverture, que l’on peut restituer sur la façade de la maison d’« Arcambal » à Martel (fig. 1), est sans doute plus conforme à la définition de la croisée. Aux XVe et XVIe siècles, comme le montrent les ouvertures de la maison de Graulhet, la croisée est comprise entre deux poteaux et le meneau est une pièce indépendante. Ces « fenêtres jumelles », telles qu’elles sont conservées à Saint-Antonin-Noble-Val, à Cajarc et à La Canourgue, plus archaïques dans leur conception et étroitement soumises au rythme des poteaux, constituent-elles les versions les plus anciennes de la croisée ?
Construction du pan de bois
Encorbellement et sens des solives
L’étude complète d’une maison montre que naturellement, la pose des pièces des planchers est étroitement liée à la construction du pan de bois, notamment lorsqu’il existe un encorbellement. Les édifices évoqués plus haut montrent différents systèmes de supports de ce surplomb, bien connus par ailleurs (79).
Dans le cas le plus simple, qui est celui d’une parcelle présentant son mur gouttereau sur la rue – assez fréquent dans la région semble-t-il – les solives sont alors transversales et débordantes et ce sont elles qui forment l’encorbellement. Elles portent alors la sablière de chambrée et le pan de bois. C’est le cas par exemple des maisons d’« Arcambal », de la rue du Pressoir à Martel, des maisons de la rue Centrale et de la rue de la Grive à Cajarc et enfin de la maison de Calmont (fig. 1, 9, 5, 25 et 10). On trouve également ce système d’encorbellement sur la maison de la place au Blé à La Canourgue (fig. 13) qui occupe une parcelle d’angle ; cette disposition entraîne des problèmes particuliers que nous verrons plus loin. D’autres demeures encore, comme celle de la rue Séguier à Figeac, dont le pan de bois non porteur a disparu (fig. 7), gardent les traces des empochements des solives dans la maçonnerie, trahissant un système analogue. Il faut remarquer que ces solives qui forment un encorbellement souvent important sont presque toujours soulagées par des corbeaux de bois ou de pierre. Ce système de supports intermédiaires au- dessous des solives, permettant un encorbellement progressif, est particulièrement bien illustré à Alet-les-Bains (Aude), sur une maison qui conserve un dernier niveau en pans de bois (80). Les solives sont ici soutenues par des corbeaux de bois, et les abouts moulurés assurent ce passage graduel au surplomb (fig. 30). Il en est de même à la maison dite « des Consuls » à Mirepoix dont ne subsistent que le rez-de-chaussée et la partie située sous les couverts. Les solives qui apparaissent en façade sont portées par des corbeaux et reposent sur une puissante sablière (ou poitrail) portée par des piliers (fig. 31). Le système de support visible sous les couverts est particulièrement intéressant. Il montre que ces corbeaux sont traversants et qu’ils soutiennent également les solives à l’intérieur ; l’objectif étant sans doute d’éviter que celles-ci, de faible section, n’accusent une flèche trop importante sous la profonde galerie (fig. 32) (81). Une poutre vient alors supporter l’extrémité de ces corbeaux, reportant le poids de ces bois sur les piliers, par l’intermédiaire de sommiers et d’aisseliers (82). Un même système est utilisé de l’autre côté de la galerie, permettant sans doute d’asseoir une nouvelle série de solives pour les planchers intérieurs de la demeure.
Lorsque les solives sont parallèles à la façade, un autre système est mis en œuvre pour soutenir l’encorbellement. Parmi les édifices pointés précédemment, seule la façade latérale de la maison de la Canourgue est dans ce cas (fig. 28).
Disposée à la suite des solives débordantes de la façade principale, la sablière de chambrée de l’élévation latérale est portée par des sommiers, assurés par des aisseliers, au-dessus d’une sablière de plancher engagée dans la maçonnerie du rez-de-chaussée. Il est intéressant de noter ici qu’il n’y a pas de traitement particulier de l’angle qui apparaît tout simplement comme l’extrémité de la façade principale (fig. 13). Ceci n’est pas le cas de toutes les maisons d’angle, où il n’est pas rare en effet de trouver les vestiges ou les traces d’un solivage rayonnant ou d’un système d’enrayure. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une parcelle d’angle, la demeure de Calmont en conserve de beaux exemplaires sous les plafonds des premier et second étages (fig. 33) (83). La demeure de la rue du Castelviel à Albi montre également l’aménagement des solives dans l’angle sous le premier étage, au-dessus des deux sablières de plancher assemblées à mi-bois (fig. 23). Enfin, la maison Peyrière à Figeac qui a perdu son pan de bois non porteur, ainsi que les solives de ses anciens planchers, a conservé cependant quelques-uns des modillons qui leur servait d’appui. L’un d’eux, placé à l’angle de la maison, indique clairement que les solives étaient disposées selon un système analogue (fig. 11). Plus original sans doute est le système utilisé à la maison de la place de la Daurade à Cahors où deux séries de solives se croisent au-dessus du rez-de-chaussée de façon à soutenir la sablière de chacune des deux façades disposées en angle (fig. 21). Ce système permettait-il d’assurer un surcroît de stabilité ? On peut le penser en effet, car si nous avons-là un cas unique de croisement de solives sur un même niveau, il n’est pas rare en revanche de constater que le sens des solives est inversé d’un niveau à l’autre. C’est le cas en effet, de la maison de la rue Laurière à Figeac dont les façades ont fait l’objet d’une rénovation très discutable, mais qui conserve intacts les plafonds de ses deux niveaux (fig. 34). Il faut ainsi restituer le pan de bois détruit sur le mur-pignon de cette maison d’angle dont la parcelle présente une forme très allongée. On constate donc que les solives ont été disposées transversalement à la parcelle au-dessus du rez-de-chaussée et longitudi- nalement au premier étage. Or, comme la parcelle est particulièrement longue, il a fallu disposer bout à bout deux séries de solives se rejoignant sur une poutre encastrée d’un côté sur le mur du fond maçonné, et soutenue de l’autre par une pile prenant appui sur la façade de pierre du rez-de-chaussée côté rue. Cet édifice, dont le pan de bois était non porteur, était donc équipé de deux piles au premier étage pour soutenir l’extrémité de deux poutres (fig. 34, P).
Montage des pans de bois : quelques pistes de réflexion Tous les spécialistes de la charpente se rejoignent pour dire que les pans de bois sont assemblés préalablement au sol, ou sur le plancher de l’édifice en cours de construction, avant d’être hissés ou redressés en façade, d’où, selon les chercheurs septentrionaux, le passage obligé aux bois courts qui permettait ce montage sur des surfaces restreintes (84).
L’observation des façades en pans de bois des demeures déjà citées confirment, pour la plus grande partie, ce système de construction. On constate en effet qu’un cadre composé de deux poteaux corniers, d’une sablière de chambrée et d’une sablière haute permettait l’agencement des autres poteaux à l’intérieur, dont les poteaux d’huisserie et les éventuelles décharges. La plus grande partie de ces pièces étant maintenues au cadre grâce à des chevilles, le tout devait être alors parfaitement stable, il était donc aisé de hisser l’ossature sur les solives en attente, puis d’opérer le remplissage. Toutes les demeures que nous avons observées, y compris celles dont le pan de bois est non porteur, ont été visiblement élevées selon ce système, à l’exception de deux d’entre elles : celles de La Canourgue et de Saint-Antonin-Noble-Val (premier étage) (fig. 13, 4 et 29).
Les pans de bois de ces édifices ne peuvent avoir été montés au sol puisque l’on constate l’absence de sablière haute et, pour celle de Saint-Antonin, l’absence de poteaux corniers. De plus, chaque poteau, s’il repose en bas sur la sablière de chambrée, est directement emmanché dans une solive de l’étage supérieur. Autrement dit, dans ces deux cas, le rythme des solives conditionne celui des poteaux (à moins que ce ne soit l’inverse), alors que la mise en place d’une sablière haute aurait permis de les rendre totalement indépendants. Il faut sans doute convenir que ces façades ont été édifiées en agençant les pièces les unes après les autres directement sur l’élévation. Il semble également que ce système ne soit concevable que dans le cadre d’un pan de bois non porteur. En effet, on peut penser que, pour la construction de ces édifices, on commença par élever les parties maçonnées, à savoir le rez-de-chaussée et les murs mitoyens. Il était possible alors de disposer les solives du rez-de-chaussée et la sablière de chambrée et, surtout, la poutre du premier étage qui permettait de disposer et de soutenir les solives de l’étage supérieur. Il suffisait ensuite d’emmancher chaque poteau, dont l’extrémité était taillée d’un tenon, sous une solive et de les bloquer sur la sablière basse (85). Cette « cage » composée de poteaux était l’ossature principale du pan de bois, elle pouvait sans doute « tenir debout » en l’état pour permettre de disposer les pièces horizontales: cordon régnant, linteaux et traverses des fenêtres, et pour procéder au remplissage, à moins que ces opérations n’aient été effectuées qu’en fin de chantier. Même s’il existe bon nombre de demeures dont le pan de bois non porteur a été visiblement assemblé au sol, on peut se demander si ces deux édifices ne témoignent pas d’une technique de construction plus ancienne. Celle-ci justifierait d’autant plus l’usage de la poutre par la nécessité de soutenir les solives au moment du montage du pan de bois et plus particulièrement des poteaux.
Différents hourdis et assemblages des bois
Le remplissage du pan de bois est sans doute la partie la plus fragile de la construction, celle qui peut faire l’objet d’un renouvellement fréquent. Le tuf-calcaire se rencontre sur les maisons de Martel, Cajarc, Cahors, Saint-Antonin- Noble-Val, La Canourgue, Caylus, Donzenac; on peut penser qu’il provient des carrières de calcaire locales. Celui-ci est découpé en dalles rectangulaires disposées entre les poteaux et liées au mortier. Facile à tailler, il n’est pas rare de voir des protections saillantes aménagées dans les parties basses de ces dalles, au-dessus des sablières, de façon à les préserver au maximum du ruissellement des eaux. Des dalles de calcaire sont également utilisées sur les demeures de Caylus, dont le pan de bois est encadré par des têtes de mur en encorbellement. À Calmont, ce sont des fragments de schiste noyés dans du mortier qui forment le remplissage alors que des dalles de forme régulière sont disposées en saillie au-dessus des sablières (fig. 10). Le hourdi de brique est également utilisé; on le retrouve sur certaines maisons de Cahors, notamment parmi les plus anciennes comme celle de la rue Donzelle (fig. 22). Des traces de torchis ont été repérées lors des travaux effectués sur la maison de la rue du Castelviel à Albi, de même qu’à la Maison commune située sur la halle de Grenade-sur-Garonne. Ce sont en effet les logements des éclisses destinées à maintenir le torchis qui subsistent. Ces fines tiges sont insérées dans un petit trou pratiqué dans un poteau alors qu’elles sont rentrées en force dans une rainure incisée sur le poteau situé en face (fig. 35) (86). À Albi, des éclisses ont été trouvées en place lors du décroutage des murs, mais il est peu probable qu’elles soient d’origine. À Grenade enfin, il est intéressant de noter que ces traces se limitent aux murs latéraux et aux parties situées sous le cordon d’appui; au-dessus,les feuillures taillées sur toutes les faces latérales des poteaux laissent penser que des planches de bois avaient été glissées pour constituer le remplissage (87).
Les assemblages des bois qui ont pu être observés sont de deux sortes: il s’agit pour la plus grande partie d’assemblages à mi-bois ou à tenon et mortaise, parfois maintenus par des chevilles ou des clous. De façon quasi systématique, toutes les pièces verticales ou obliques sont assemblées à tenon et mortaise et très souvent assurées par une cheville. Cela peut s’expliquer sans doute par la technique de construction au sol et la nécessité que les pièces soient bien fixées pour l’opération de hissage. C’est également avec des tenons et des mortaises que sont fixées les traverses et les linteaux des croisées sur les poteaux d’huisserie. L’assemblage à mi-bois est plus fréquemment utilisé pour les pièces horizontales. On le trouve utilisé notamment lorsqu’une sablière est composée de plusieurs morceaux. Il en est de même pour les poutres des pans de bois non porteurs, qui se rejoignent au-dessus des piles intermédiaires (fig. 36). Il reste à signaler cet assemblage très particulier, à mi-bois et en demi-queue d’aronde, utilisé pour fixer la pièce oblique aux poteaux corniers et à la sablière basse (fig. 37) (88); il laisse imaginer que ces écharpes ont pu être fixées après coup, une fois le cadre garni de poteaux hissé sur les solives. Cet assemblage, qui nécessite une taille particulière, est connu pour son ancienneté dans le domaine de la charpente de comble (89); il est également utilisé pour relier les pièces de bois obliques qui forment la structure de certains clochers suédois (90). Il est curieux de constater enfin, que la ville de Cahors concentre les rares exemples connus à ce jour dans la région de ce type d’assemblage sur pans de bois.
L’état de la question sur la construction en pans de bois au Moyen Âge dans la région laisse envisager l’ampleur des recherches qu’il reste à accomplir mais aussi la richesse des pistes que l’on peut explorer. Un élément important semble acquis: deux structures en pans de bois coexistent au Moyen Âge: le pan de bois non porteur et le pan de bois porteur. Même s’il semble que le premier disparaît au profit du second, il reste à mieux définir les cadres de leur utilisation. Particulière- ment adaptés aux encorbellements importants, on peut penser en effet que les pans de bois non porteurs ont pu disparaître avec la multiplication des édits interdisant les débords des demeures sur la rue. La nécessité de poutres de section assez importante a pu également peser dans le choix d’une utilisation de plus en plus généralisée du pan de bois porteur.
La place relativement importante laissée, dans certaines villes comme Figeac, à cette technique de construction permet sans doute de moduler quelque peu l’opposition traditionnelle avec les régions septentrionales et la répartition un peu trop schématique du bois au nord et de la pierre au sud. Il paraît important de noter au contraire que tous les matériaux disponibles sont utilisés dans l’architecture civile: pierre, brique, bois et terre (91) et que les techniques de construction correspondantes sont alors parfaitement maîtrisées.
Enfin, tient-on avec le pan de bois un matériau «moins noble» utilisé pour l’habitat des classes dites « modestes »? Si l’on perçoit effectivement des constructions moins opulentes élevées sur de petites parcelles, rue Balène à Figeac, rue Droite à Martel ou encore rue Donzelle à Cahors, que penser de la vaste maison dite « des Consuls » à Mirepoix, abondamment décorée de sculptures, aux abouts des solives et des consoles, et de peintures sous les couverts, ou encore de celle de la place Champollion à Figeac, certes élevée sur une petite parcelle, mais dont les fenêtres maçonnées du premier étage sont richement ornées d’un décor sculpté de grande qualité, ou, enfin, de la vaste demeure de La Canourgue offrant une large façade sur la place principale du village ? Dans le corpus des nombreuses maisons à pans de bois des XVe et XVIe siècles conservées dans la région, certaines se distinguent de la même façon par la qualité de leur construction et de leur décor, telles celles des grandes places de Rieux-Volvestre et d’Auch ou encore celle dite « Hôtel du Lion d’Or » à Graulhet. L’habitat aristocratique avait-il également une version en pans de bois ?
Cette première prospection de terrain sera complétée, dans les années qui viennent, par les données
d’analyses dendrochronologiques et par les informations fournies par l’exploration des textes.
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