CUISINES ET FOYERS EXEMPLES DANS LA MAISON URBAINE MÉDIÉVALE DU SUD-OUEST DE LA FRANCE

Lors des journées d’études de 2001, Pierre Garrigou-Grandchamp avait regretté le peu d’interventions sur les fonctions des espaces au sein de la maison urbaine médiévale (1). Ces fonctions n’apparaissent souvent qu’au travers des équipements identifiés ou non lors des études de cas. Pour les cuisines,Anne-Laure Napoléone y faisait allusion par l’intermédiaire des cheminées: « Seules les demeures dont le caractère bourgeois est nettement affirmé ont un local dont la fonction de cuisine peut-être reconnue. Celle-ci est généralement placée en rez-dechaussée, mais pas uniquement, et elle est équipée d’une cheminée et d’un évier […] » (2).

Ce constat, semblable à celui de Monique Levalet en 1978 (3), est peut-être à nuancer aujourd’hui, à la lumière de fouilles urbaines plus nombreuses. Sans vouloir proposer une recherche exhaustive sur le sujet, quelques exemples dans le sud-ouest de la France permettent de poser le débat sur l’identification, pas toujours évidente, de la pièce d’habitation dévolue à la cuisine. En effet, les sources écrites, les études du bâti d’édifices conservés, et les sites d’archéologie urbaine, présentent des réalités assez différentes qu’il est intéressant de confronter.

Identification et définition Dans les textes

Le terme généralement utilisé pour désigner les cuisines dans les sources écrites du sud-ouest de la France est « coquina » ou « quoquinia ». On le trouve essentiellement dans les testaments et les inventaires après décès. Il désigne le lieu de préparation et de cuisson des repas. Marie-Claude Marandet (4) note que ces mentions ne sont pas très fréquentes. Sur une base de 48 documents du Toulousain entre 1384 et 1505, villes et villages réunis, elle ne compte que 6 cuisines, soit 1/8. Cette proportion est équivalente à celles relevées en Forez, Gascogne, ou en Arles. Il faut remarquer que sur les six exemples, trois concernent des membres des élites (chanoine, clerc royal, bachelier ès décrets) et un autre lié à la profession du possesseur (hôtellerie).

On retrouve ces caractéristiques, rareté de mentions et distinction sociale, associées à des édifices imposants ou à plusieurs corps pour d’autres exemples du XIIIe au XVe siècle, dans des bourgs ou des villes, du Périgord au Languedoc: inventaire des biens du marchand toulousain Tornier (5), inventaire de la maison d’un chevalier à Agonac en Dordogne (6), inventaire de la résidence d’un chanoine de Narbonne (7). Il s’agit à chaque fois d’hôtels particuliers, à plusieurs bâtiments ou doté d’un grand nombre de pièces (15 !) tout comme les cas notés par MarieClaude Marandet. À Toulouse, la mention de la cuisine du pâtissier Moulis en 1433 (8) rappelle aussi l’existence de ce type de salle pour l’exercice d’un métier.

Les hôtels particuliers, achetés entre 1363 et 1367 aux plus grandes familles de Toulouse, pour créer le collège de Périgord sont de même nature. La cuisine est systématiquement citée parmi les salles des demeures constituées généralement de deux corps sur cour avec galeries, tour, salles hautes et basses, chambres hautes et basses, cheminées, écuries, réserves et jardin (9).

Toujours à Toulouse, entre 1356 et 1415, le testament de l’apothicaire Guilhem del Pont (10), les inventaires après décès du marchand drapier Guilhem Azémar (11) et du sédier Pierre Vaquier (12) présentent une cuisine comme pièce séparée d’un grand ensemble, respectivement de 9, 12 et 12 espaces distincts.

En 1430-1432 (13), cinq inventaires de biens pour des demeures bien plus modestes, de 1 à 7 pièces distinctes, témoignent qu’une d’entre elles contient les ustensiles de cuisine, notamment le trépied (14), sans désignation explicite de la fonction. Cette aula peut se trouver en rez-de-chaussée ou à l’étage (15). Le terme quoquinia ne semble ainsi réservé qu’à des espaces appartenant à des hôtels d’un certain gabarit, peut-être en fonction de la superficie de la pièce ou de son équipement (cheminée).

Par l’étude du bâti

Malgré le très important travail d’inventaire des maisons médiévales dans le sud-ouest de la France, les cuisines identifiées dans le bâti sont aussi peu nombreuses que les mentions d’archives. À l’appui des inventaires les plus étoffés pour des villes de nos régions (16), elles ne sont identifiées qu’à peine dans 2 % des cas.

Bien sûr, ce bilan est dû en grande partie à la nature même des vestiges architecturaux, pas toujours conservés ou accessibles dans leur totalité. Les critères d’identification, très sélectifs, généralement association de traces de cheminée associée à un évier, en sont aussi une explication. Parmi les exemples connus, quatre sont répertoriés à l’étage de l’édifice: Cahors (17) [2], Tournon d’Agenais (18) [1], Périgueux (19) [1]. Là encore, cette caractéristique est sans doute à mettre en relation directe avec la nature des indices et les critères retenus.

FIG. 1. FIGEAC, MAISON DE LA RUE DES LAZARISTES, localisation de la cuisine (1) et de son accès (2). D’après dessin V. Rousset
FIG. 2. CAHORS, MAISON N° 42 RUE DE LA DAURADE, localisation de la cuisine (1) et accès à la galerie des latrines (2). D’après P. Roques. Inventaire Général.

Comme pour les mentions textuelles, ces cuisines équipées de cheminée appartiennent à des ensembles architecturaux à plusieurs corps de logis et un grand nombre de pièces. Dans le cas de la maison médiévale de la rue des Lazaristes à Figeac (20), la cuisine est installée au rez-de-chaussée dans le corps arrière à côté d’une salle basse, équipée d’une cheminée (petite niche à côté) et évier se déversant dans une fosse au fond de la cour (fig. 1).

La cuisine s’ouvre sur la cour et sur la rue arrière. L’exemple du n° 42 de la rue de la Daurade à Cahors est tout aussi impressionnant : cuisine à l’étage avec fenêtres sur rue, subordonnée à l’aula principale, accès sur l’escalier de la cour et la galerie des latrines (fig. 2).

À Tournon d’Agenais, elle se trouve au premier étage du corps arrière, au premier niveau d’un édifice complexe à trois corps à Périgueux. C’est bien dans les résidences les plus développées et attribuées aux membres des élites urbaines que se trouvent les quelques exemples de cuisines identifiées.

Ce constat signifie-t-il que les maisons dépourvues de cheminée n’ont pas de cuisine ? Cette spécialisation d’un espace réservé à la fonction culinaire est-elle absente des autres demeures urbaines, patriciennes ou non ? Il faut sans doute se tourner vers d’autres sources pour ébaucher quelques réponses.

Les données archéologiques

Sans revenir sur les limites respectives des informations issues des études du bâti et des données archéologiques, on devine que les critères de référence sont nécessairement différents. En archéologie, l’identification d’une cuisine se fait d’abord systématiquement par la présence ou l’absence d’une structure de combustion: le foyer.

Ce dernier évoque tout autant le chauffage, bien que « […] les deux fonctions ne sont pas nécessairement associées (21) ». Cette ambiguïté possible dans l’utilisation d’une sole foyère rend souvent les chercheurs exagérément prudents sur une quelconque fonction de l’aménagement. Pourtant d’autres indices peuvent permettre de proposer une interprétation. Pour la cuisine, l’existence d’une couche d’occupation avec déchets et objets culinaires directement en relation avec le foyer est également requise.

Plus encore, les limites de l’espace réservé à la cuisine, sa situation par rapport aux autres pièces et leurs aménagements, comptent dans l’attribution de la vocation culinaire à un secteur donné. C’est un faisceau d’indices concordants qui est finalement déterminant pour poser une hypothèse.

Ces caractéristiques sont généralement acquises pour les exemples suivants de sites archéologiques du sud-ouest de la France, encore trop peu nombreux. Dans un souci de représentativité, ils illustrent plusieurs catégories d’agglomérations médiévales. On distinguera d’abord la maison de bourg, puis des exemples de ville moyenne, enfin des sites dans les grandes métropoles régionales.

Exemple de bourg castral: Châlucet (Haute-Vienne)

Les petites agglomérations sont souvent les plus mal documentées en raison du peu de fouilles urbaines dont elles font l’objet. Il n’est pas rare que, dans certains bourgs, plusieurs édifices médiévaux conservés aient été étudiés mais qu’aucune fouille archéologique ne soit réalisée. L’exemple retenu est celui du site castral de Châlucet en Limousin. Connu comme bourg castral, le site de BasChâlucet se caractérise par son organisation parcellaire très proche du type urbain. Le déclin de cette agglomération dès le XVe siècle (22) a permis la découverte de vestiges d’édifices civils particulièrement Significatifs.

FIG. 3. BAS-CHÂLUCET. BAS-CASTRUM. Plan de localisation du bâtiment III. Dessin P. Conte S.R.A.-D.R.A.C. du Limousin, 2005.
FIG. 4. BAS-CHÂLUCET, vue et relevé de la cuisine du bâtiment III. Cliché et dessin P. Conte.
FIG. 5. BAS-CHÂLUCET, vue du foyer principal du bâtiment III. Cliché P. Conte.

Le bâtiment III (fig. 3), fouillé en 2002 (23), a révélé un rez-de-chaussée occupé par plusieurs foyers. Le foyer aménagé principal, de forme hexagonale, est accompagné, au moins, de quatre autres zones foyères de petites dimensions. Elles occupent la zone centrale de la pièce sans contact avec les murs latéraux (fig. 4 et 5).

Une banquette rocheuse a été réservée, et un siège installé, pour une pratique plus confortable autour des feux. Le mobilier associé indique clairement la vocation culinaire de ces aménagements du XIVe siècle. Il faut noter que cette cuisine va laisser la place dans un second temps à une stabulation, probablement une écurie. En 2004 (24), l’espace compris entre ce bâtiment et l’enceinte a livré le même type de fonction culinaire avec foyers multiples sous une forme d’appentis, associé à des latrines.

L’hypothèse d’un déplacement de la cuisine du rez-de-chaussée vers l’extérieur du corps principal, au sein de la même parcelle et reliés par un accès, est là tout à fait vraisemblable. Situé au cœur du BasChâlucet où résident chevaliers et bourgeois, l’extension de cet édifice est également pourvue d’une cave. Il ne représente pourtant pas le type de bâtiment le plus élaboré au regard d’autres maisons à étages et à contreforts extérieurs plats.

Exemples de ville moyenne

Plus étendues et souvent plus anciennes que les simples bourgades, les villes moyennes représentent des sites privilégiés pour l’observation des phénomènes d’urbanisation. Les occasions de fouilles archéologiques y sont pourtant très variables. Elles sont souvent le résultat d’initiatives locales particulièrement souhaitables. Notre choix s’est porté sur Bergerac qui dispose de plusieurs exemples de fouilles d’habitat urbain, et sur une intervention récente à Mont-de-Marsan. Bergerac (25)

Plusieurs opérations distinctes permettent de proposer une évolution chronologique de la maison urbaine (fig. 6). À Saint-Jacques Nord, une habitation a pu être reconnue totalement dans son état antérieur au début du XIIIe siècle (état II). En terre et bois dans son état I, puis sur bases maçonnées dans son état II, cette maison, située en bordure du chemin appelé à devenir lo gran carriera dans la ville des années 1250-1300, partageait toutes les dispositions des maisons rurales du plat pays bergeracois.

Le mobilier et les déchets inclus dans son sol de terre battue ne laissaient aucun doute sur la destination polyfonctionnelle de la partie la plus importante de son espace (fig. 6, n° 1). En revanche, la petite pièce arrière (environ 5m2 ), au sol « propre », correspondait peut-être à un espace spécifiquement destiné aux réserves ou au couchage. À l’îlot Fonbalquine, l’occupation est constituée d’abord par des constructions de terre et de bois avant que n’apparaissent des bâtisses en maçonnerie de brique après 1250.

Une urbanisation de plus en plus rigide en fixe définitivement l’organisation parcellaire. L’organisation de l’intérieur d’une des premières maisons (fig. 6, n° 2) n’est pas connue précisément faute de conservation du sol, mais son plan général fait apparaître un espace annexe accolé à son corps principal. Édifié probablement en terre sur des platelages de bois fondés sur des lignes de petits pieux, un appentis apparemment divisé en deux, présentait au devant de sa façade, donc en extérieur, trois groupes de plaques foyères plusieurs fois reprises.

À l’intérieur de l’appentis, le sol était planchéié (traces de planches) et ne conservait pas de marque de foyer. Clos semble-t-il de parois légères, côté est, un passage rendait sûrement cet appentis directement accessible sans passer par l’intérieur de la maison, avec lequel il est possible qu’il ait communiqué.

Rien de particulier ne permet de caractériser l’utilisation de l’appentis, mais le sol extérieur, côté nord, autour des foyers a livré un spectre bien ordinaire de vaisselles (pégau, cruche, jatte, pot à cuire) et de déchets domestiques associés à un très grand nombre de galets de quartz (taille moy. 10/15 cm) exogènes, brûlés et éclatés sous l’effet de chocs thermiques. Rue des Fargues, on a retrouvé un habitat avec une disposition de pièces très similaire (fig. 6, n° 3). La salle principale de l’ostal, situé vers 1250 en bordure de la grand-rue dans un quartier dense était complétée d’un appentis en arrière.

Cette adjonction comprenait une pièce avec foyers circulaires successifs et un espace de réserve séparé. En revanche, dans son évolution ultime au XIVe siècle (fig. 6, n° 4), le site n’a pas révélé d’espace à vocation culinaire, peut-être à l’étage ou extérieur aux pièces principales.

FIG. 6.TABLEAU RÉCAPITULATIF des positions des foyers dans la maison urbaine médiévale à Bergerac. D’après plans de Y. Laborie
FIG. 7.MONT-DE-MARSAN, plan simplifié de la phase 3 du site rue Victor-Hugo. D’après J. Pons et C. Fondeville

Ces trois exemples semblent présenter le passage, au sein de maisons urbaines du XIIIe siècle, d’un espace central et polyfonctionnel à des espaces spécialisés dans la fonction culinaire repoussés en arrière ou à l’extérieur. Dans ce cas, le stockage des denrées lui est alors très clairement associé. Dans la cuisine de l’ostal rue des Fargues, on retrouve la multiplicité des aires foyères et l’accès autonome vers l’extérieur déjà aperçus à Châlucet. Mont de Marsan (26)

La fouille préventive réalisée rue Victor-Hugo en 2001 a permis la découverte de vestiges représentatifs de la croissance urbaine de cette ville. Les deux maisons du début du XIVe siècle qui donnent sur la rue principale sont séparées par une ruelle qui se maintiendra à l’Époque moderne. De chaque côté de cette ruelle, les salles s’organisent en enfilade avec une pièce occupée par des foyers en deuxième position depuis la rue (fig. 7). Dans la maison la plus à l’ouest, la sole d’un four est conservée sur une emprise de 1,10 m sur 1,10 m avec sur le côté ouest un reste de paroi sur un centimètre de haut. Le matériau utilisé pour la sole est une argile marbrée jaune et blanche. Dans la deuxième maison, à l’est de la ruelle, le foyer de plan quadrangulaire (0,90 m sur 0,70 m) est une

FIG. 8.MAISON 2, RUE VICTOR-HUGO À MONT-DE-MARSAN, foyer quadrangulaire en carreaux de terre cuite. Cliché J. Pons

construction soignée constituée d’un pavement d’au moins seize carreaux de terre cuite juxtaposés sur quatre rangées (module de l’ordre de 0,21 m de côté) (fig. 8). Seule la paroi sud est aménagée par des carreaux posés de champ. À la périphérie de cette structure sont associés des vidanges de foyer avec des successions de fins niveaux cendreux. Le mobilier archéologique recueilli se compose essentiellement de tessons de céramique et de fragments de faune. De nombreuses monnaies permettent de situer la destruction de cet état du bâti dans la première moitié du XIVe siècle.

Exemples de métropoles

Les grandes métropoles régionales du sud-ouest de la France ont fait l’objet du plus grand nombre des opérations d’archéologie urbaine préventives de ces dernières années. Il n’en découle pas pour autant une connaissance achevée d’un modèle d’habitat urbain médiéval. Au contraire, les sites ont révélé la grande diversité de cet habitat tout en ne livrant, le plus souvent, que des exemples de la fin du Moyen Âge. Nous présentons ici des sites parmi les mieux documentés, notamment lorsqu’ils permettent de situer les zones d’activité culinaire dans la maison, mais aussi par rapport à la parcelle et les rues. 

Bordeaux (27)

FIG. 9. PLACE CAMILLE-JULLIAN À BORDEAUX, plan de la maison des Castillon. D’après S. Faravel.

L’ostal d’Arnaud de Castillon, clerc de Saint-Siméon, daté vers 1380, a été découvert lors de la fouille de la

place Camille-Jullian en 1989-1990 par l’équipe de Danny Barraud et Louis Maurin (fig. 9). Dans un état premier (état 26 de l’îlot, vers 1290-1300) cette maison ne possédait pas d’appentis foyer, assimilable à une cuisine, bâti sur l’arrière. En revanche, dans la cour de la maison voisine, un foyer extérieur ou sous un appentis avait été repéré. Toujours dans cette maison II, un autre foyer ouvert se situait dans l’axe de l’espace unique de son rez-de-chaussée, alors que dans la maison voisine (III) le foyer est accolé au mur jouxtant l’entremis. Dans le cas de la maison n° II, la présence d’une entrée axée signalée par l’aménagement d’un seuil sur la rue, de faible largeur, pouvait indiquer un accès indépendant. Vers 1300, l’état n° 26 de l’îlot illustrerait, semble-t-il, la coexistence des solutions du foyer intérieur à la salle de l’ostal, ouvert (central ou adossé au mur), et du foyer extérieur peutêtre sous un petit appentis. Il peut aussi correspondre à des déplacements successifs, saisonniers ou définitifs. Cette option est aussi envisageable pour la maison d’Arnaud de Castillon qui occupait l’angle nord-est de sa parcelle au carrefour des rues Saint-Siméon et du Serpolet. La partie méridionale du corps principal de plan trapézoïdal est consacrée aux communs. On dénombre deux plaques foyères dont une construite en fragments de tuiles noyés dans l’argile. Un appentis de 2,50 m de large a été construit adossé au même mur sud de la maison, et donne sur un passage de même largeur sur la rue du Serpolet. Cet appentis abritait deux autres foyers aménagés, âtre carré encadré de moellons pour le plus élaboré.

Dans les deux emplacements de foyers, les aires de chauffe sont accompagnées de creusements attestant plusieurs vidanges. Dans cet état de la fin du XIVe siècle, l’appentis est une extension qui n’existait pas dans l’état précédent, ce qui correspondrait à une possible extériorisation avec accès autonome sur un passage vers la rue.

Montpellier (28)

L’opération archéologique, qui s’est déroulée en 2002, sur le site actuellement occupé par une partie des bâtiments du Musée Fabre, a mis au jour l’occupation d’un secteur initialement situé à l’écart du pôle primitif de développement de la ville de Montpellier et à l’extérieur de l’enceinte du XIIe siècle. L’espace étudié, enclos dans l’enceinte d’agrandissement du XIIIe siècle, n’a été construit que durant un laps de temps très court, de la fin du XIIIe -début du XIVe siècle à la seconde moitié du XIVe siècle.

L’hypothèse de l’attribution de l’ensemble des volumes observés à une maison unique ne peut pas être écartée. Dans ces espaces placés aux marges de l’enceinte d’agrandissement, un programme de lotissement rapide est soigneusement planifié, en association avec une phase d’accroissement de la population.

Ces parcelles, construites sans contrainte initiale hormis celle du réseau de voirie, sont nombreuses et étroites, et possèdent un accès sur la rue qui les borde au nord ou à l’ouest. Le plan du lotissement perdure avec une possible densification de l’emprise des volumes d’habitation au détriment des rares secteurs ouverts et publics de type impasse, accompagné d’un exhaussement des maisons existantes.

Dans l’hypothèse d’une maison unique cour Bazille, une comparaison s’impose avec celle de l’exemple de Mont-de-Marsan, toutes deux étant délimitées par des impasses donnant sur la rue principale. Les pièces se développent en enfilade vers le cœur de l’îlot à partir d’une façade étroite, et disposent ainsi d’un accès direct vers l’extérieur. La salle en arrière des pièces en façade, qui occupe toute la largeur du bâtiment, se singularise par ses aménagements (fig. 10).

FIG. 10.MAISON COUR BAZILLE À MONTPELLIER, plan simplifié de la maison. D’après C. Labarussiat

Un foyer, dégagé à même le sol, se situe approximativement au centre de l’espace fouillé à environ 1,80 m des trois murs qui l’enserrent. Il est aménagé en creux dans une fosse contemporaine du premier niveau d’occupation en terre battue. Cette structure de cuisson se compose d’un hérisson de galets mis en place dans une fosse au contour circulaire et au profil en « U » mesurant 0,40 x 0,50 m, d’une profondeur de 0,10 m.

Les bords sont évasés vers le haut et le fond de fosse est tapissé par endroits de fragments de tuiles courbes, mêlé à un fragment de lauze et de gros fragments de céramique recouverts de mortier. Entre les galets qui ne présentent aucune trace de rubéfaction, se trouvent des charbons de bois et des limons très cendreux et compacts. La sole n’a pas été conservée.

En parallèle de l’entretien du sol matérialisé par la mise en place d’une chape de chaux, ce foyer est réaménagé. De nouveaux galets se superposent aux éléments initiaux, en débordant le cadre de la fosse primitive de quelques centimètres. Le pourtour de ce nouvel aménagement est scellé par le niveau de chaux. La surface du sol contemporain de ce foyer est très irrégulière, elle se caractérise par la présence de nombreux charbons de bois

épars ou concentrés au sein de creusements. Ces multiples fosses mitoyennes du foyer, par la nature de leur comblement composé essentiellement de charbons de bois, peuvent être associées à son utilisation. L’aménagement du creusement de l’une d’entre elles, présente des similitudes avec celui de la fosse du foyer. Ce creusement est tapissé d’éclats de tuiles courbes et de céramique à cuisson oxydante recouverts de mortier.

Entre ces éléments s’infiltre un sédiment fin limoneux et cendreux. Des charbons de bois sont localisés en surface. Le foyer et cette fosse sont proches, séparés seulement par une distance de 0,50 m. En complément de ce foyer et de la fosse voisine, ce sont au total cinq creusements qui ont été fouillés, localisés au nord des deux premiers aménagements. Scellés par la chape de chaux postérieure, leur creusement est peu profond et leur comblement se compose en majorité de charbons de bois.

Certaines peuvent être identifiées avec des cendriers recevant les produits du curage de la structure de cuisson ou comme des cavités servant de support, de stabilisateur d’objets divers tels des marmites ou différents ustensiles de cuisine.

Dans un contexte médiéval urbain où les rez-de-chaussée sont souvent dévolus aux boutiques ou à des annexes, l’identification potentielle d’une cuisine s’oppose éventuellement à une activité artisanale non identifiée. Toutefois, ces aménagement multiples, foyers et fosses cendriers, sont très comparables à la cuisine du bâtiment III de Châlucet et à la disposition de Mont-de-Marsan. On retrouve ici les caractères de la vocation culinaire: situation subordonnée de la pièce dans l’habitation, spécialisation de l’usage, accès indépendant, foyer de petites dimensions mais plusieurs fois reconstitués.

FIG. 11.TOULOUSE, CUISINE DE LA MAISONAUGIÉ, sur la restitution du bâtiment médiéval du site de l’Hôpital Larrey et des limites cadastrales de 1456-1459. Plan J. Catalo et H. Molet
FIG. 12.APPENTIS DE LA MAÎTRISE DE SAINT-SERNIN, Lycée Ozenne à Toulouse. 1. Plan. 2. Foyer adossé au mur de parcelle. 3.Vue générale côté cuve de latrines. Clichés L. Neyssensas

Toulouse

FIG. 13. ÂTRE DE CHEMINÉE À L’INTÉRIEUR DE LA MAISON DE LA MAÎTRISE, adossé au mur de terre repris en briques à gauche, tranchée laissée par la récupération de la bordure à droite. Cliché L. Neyssensas.

En 1988, la fouille de l’ancien Hôpital Larrey avait permis de dégager un bâtiment à vocation domestique occupé du XIIIe au XVe siècle (29). Il était caractérisé par des soles rectangulaires successives, aménagées en briques, d’un foyer unique excentré. Associé à une fosse de latrines, ce bâtiment était adossé à un édifice plus grand dont les fondations en briques n’avaient permis aucune interprétation chronologique. Dans le cadre d’un travail de restitution régressive du cadastre médiéval (30), il a été possible d’identifier cet espace à vocation culinaire comme subordonné à l’édifice principal (fig. 11). En effet, dans les cadastres du XVe siècle, ils appartiennent tout deux à la même parcelle, celle d’un certain Augié. En 1456-1459, cette propriété donne directement sur une impasse sur le côté méridional de la maison, et sur une petite place du côté de la cuisine. On retrouve ici clairement la disposition de bâtiments vus à Bergerac : pièce subordonnée au corps principal, association à d’autres fonctions collectives, possibilité d’accès autonome.

Le site du Lycée Ozenne, fouillé en 1997 sous la direction de Jean-Charles Arramond (31), présente, lui, les seuls exemples archéologiques d’aménagement de cheminées pour le XVe siècle. Les constructions en terre d’une maison canoniale juxtaposée à la Maîtrise de l’abbaye Saint-Sernin ont été observées dans leur totalité ainsi que leur parcelle.

La maison canoniale identifiée sur ce site possédait une cheminée dans sa salle principale, mais seul le bâtiment de la Maîtrise avait des aménagements à vocation culinaire. Pour la période datée 1400-1450, il s’agit d’un appentis installé dans l’angle nord-ouest de la parcelle à 6,50 m de l’entrée occidentale du bâtiment principal. Cet édifice extérieur est une sorte de préau adossé au mur de limite de parcelle côté nord, et délimité par un mur de briques côté est (fig. 12). Des trous de poteaux circulaires définissent une aire de graviers damés de 4 m sur 3 m. En position centrale, une sole de cheminée a été adossée au mur de parcelle.

Elle est constituée d’un dallage de briques sur un lit de pose, bordé à l’ouest d’un élément réutilisé d’encadrement de fenêtre en calcaire. Des empreintes de même largeur sur les côtés restants laissent penser à l’emploi d’autres éléments de même nature. Une couche cendreuse recouvrait la cheminée et le sol environnant. Plus à l’ouest, d’autres calages de poteaux montrent une extension de l’auvent pour la couverture d’une grande cuve. Le fond de cette construction en assises de briques, parfois alternées de galets, n’a pas été atteint. Le remplissage le plus profond, très organique, riche en déchets, et l’absence d’un enduit interne semblent identifier cette cuve comme une fosse d’aisance.

Lors de la phase postérieure 1450-1550, l’appentis extérieur disparaît mais les agencements du bâtiment de la Maîtrise sont modifiés. Les aménagements d’une cheminée sont adossés au mur occidental dans l’angle sud-ouest du bâtiment (fig. 13). La sole, mal conservée et peu profonde, est un dallage sur lit de pose en limon jaune.

À l’exception du côté sud entièrement maçonné, la bordure de l’âtre est marquée par des empreintes rectangulaires de 0,12 m de large. À l’image de la cheminée du préau, il peut s’agir des négatifs d’éléments en pierre récupérés postérieurement. Un élément de construction en briques inclus dans le mur de terre occidental se rattache également à la cheminée. Positionné à mi-distance de sa longueur et 0,40 m en dessous du niveau de la sole, il correspond sans doute au conduit d’appel d’air destiné à améliorer le tirage de cette cheminée peu profonde.

Un bilan

Les quelques exemples présentés conduisent à formuler certains constats, à la fois sur l’identification des espaces à vocation culinaire, et sur l’évolution de leur localisation dans la maison urbaine médiévale.

Variété d’un espace spécialisé

Les textes d’archives et les études de bâti offrent des images similaires de la place de la cuisine dans la propriété médiévale. L’appellation de la fonction spécialisée n’est retenue que lorsque l’espace ou les aménagements qui lui sont dévolus sont d’une certaine importance: salle ou bâtiment indépendant, équipement conséquent (cheminée avec évier). De fait, la cuisine apparaît comme une pièce d’habitation assez rare, et même réservée à une élite bourgeoise ou aristocratique dans un processus d’imitation de la noblesse des châteaux.

En ce sens, le constat possible pour les maisons urbaines du sud-ouest est sensiblement le même que celui fait pour la France et l’Angleterre : « Lorsque la maison comprend plusieurs corps de bâtiments, la cuisine est souvent indépendante du corps principal ; elle est située en arrière […] (32) ». Ainsi, la présence et la localisation des cuisines ne seraient pas en relation avec des programmes ou des modèles architecturaux distincts.

Les données archéologiques, même peu nombreuses, nuancent sensiblement cette première approche. Quelle que soit la taille de l’agglomération, les foyers aménagés en rez-de-chaussée des maisons urbaines indiquent des espaces spécialisés dans la fonction culinaire à partir du XIIIe siècle. Ces espaces sont souvent des locaux en arrière des salles en façade, disposition reconnu ailleurs : « Ainsi, dans la plupart des maisons urbaines […] ne comprenant qu’un seul bâtiment, elle se trouve au rez-de-chaussée, derrière la boutique ou l’atelier (33) ».

On remarquera pour les exemples archéologiques qu’il s’agit probablement de maisons de lotissement dans des zones nouvellement urbanisées (Mont-de-Marsan, Montpellier). Mais la cuisine peut également avoir été déplacée sous un appentis contre le mur extérieur, voir plus loin dans la parcelle (Châlucet, Bergerac,Toulouse). On notera dans tous les cas, le maintien de l’autonomie des accès extérieurs par des ruelles latérales ou les entremis (Bergerac, Bordeaux, Montpellier, Toulouse et peut-être Mont-de-Marsan).

Même si la succession chronologique entre les différents foyers est souvent difficile à établir, la subordination des espaces à vocation culinaire s’accompagne semble-t-il d’une tendance à l’extériorisation durant le XIVe et le XVe siècle. Les cuisines sont alors associés aux lieux de stockage : cuve de latrines pour les déchets, cellier pour certaines denrées (Bergerac, Bordeaux, Châlucet, Toulouse). La pluralité des aires foyères, et donc des espaces de cuisines, pourrait être aussi la conséquence d’un déplacement saisonnier qui ne remet pas en cause les caractéristiques observées : espaces réservés à la préparation des repas, subordination à des espaces prioritaires, autonomie d’accès.

Les foyers eux-mêmes, de forme variée (fig. 14), fréquemment multiples et successifs (Bergerac, Bordeaux Châlucet, Montpellier, Toulouse), sont souvent excentrés sans être toutefois adossés aux parois. Contrairement aux exemplaires du nord de la France (34), ils sont de taille réduite, moins d’un mètre carré en général. La cheminée, plus large, ne semble représenter qu’une solution tardive (XVe siècle).

Forme Dimensions
Châlucet III hexagone
Châlucet IV 0,90 m x 0,80 m
Bergerac circulaire centrale diam: 1 m
Mont-de-Marsan circulaire ou rectangle excentrée ou adossé 1,1 m x 1,1 m
0,90 m x 0,70 m
1 m x 0,40 m
Argile
brique
Montpellier circulaire excentrée 0,40 m x 0,50 m galets
Toulouse excentrée 0,50 m x 0,80 m
(Hôpital-Larrey) rectangle excentrée 1 m x 0,80 m

Critère de distinction sociale ?

Au regard de l’archéologie, la notion discriminante de cuisine comme facteur de différenciation sociale est également moins tranchée. Sauf à considérer tous les sites archéologiques présentés comme des exceptions, la présence d’un local à vocation culinaire ne se limite pas aux résidences des élites urbaines.

De fait, l’absence d’une cheminée avec évier n’exclut pas l’existence d’une cuisine dedans ou dehors du bloc principal de l’habitation. De même, la « modestie » du foyer ou de l’espace spécialisé ne paraît pas en rapport avec le statut social du possible possesseur à Châlucet, Bergerac ou Bordeaux.

Elle semble plutôt en rapport avec une adaptation aux contraintes urbaines (accès, lumière) de chaque espace désormais spécialisé de la maison: pièce de travail, pièce de stockage, pièce de représentation, pièce de couchage… Les études récentes (35) des restes alimentaires fauniques ont montré, par ailleurs, que la différenciation sociale n’induisait pas de régime alimentaire carné distinct en nature, et donc d’aménagements culinaires distincts. La marque sociale s’affirme seulement sur une frange très réduite en nombre des espèces consommées.

Les espaces de cuisine découverts par l’archéologie, foyers ouverts en rez-de-chaussée, ne sont donc pas en contradiction totale avec les autres sources. Ils sont sans doute à rapprocher des salles mentionnées dans les inventaires après décès toulousains du début du XVe siècle. Sans porter la dénomination de cuisine, elles contiennent tout l’équipement culinaire de la maison, elle-même réduite à quelques pièces d’habitation. Elles pourraient bien correspondre aux salles avec des espaces de cuisine subordonnés des sites archéologiques à Bordeaux, Bergerac, Châlucet ou Toulouse. Dans les deux cas, l’absence de cheminée pose la question des systèmes de ventilation adoptés dans des habitations non dépourvus d’étages.

Malgré une identification parfois difficile des cuisines de la maison urbaine médiévale, l’étude des textes ou du bâti et la recherche archéologique se rejoignent sur des points communs quel que soit le type d’agglomération concerné: bourg, ville moyenne ou métropole. Cette identification des espaces voués à la fonction culinaire repose sur un questionnement global des différentes composantes de la maison urbaine, parcelle comprise. Il montre que les traces concrètes de la fonction d’un espace ne se résument pas à un seul aménagement, présent ou absent, de qualité ou non.

La détermination d’une cuisine repose ainsi également sur le mobilier archéologique associé (déchets alimentaires), sa situation par rapport aux accès et aux autres pièces, sa combinaison avec d’autres fonctions comme le stockage. À partir du XIIIe siècle, les cuisines apparaissent dans tous les types de maison urbaine. Elles suivent un processus d’extériorisation et de subordination par rapport à une salle ou au corps principal d’un logis. Succession de foyers excentrés, leurs aménagements ne consistent pas uniquement en équipements très élaborés.

Ces quelques exemples en milieu urbain du sud-ouest de la France, conduisent à penser que ni la distinction sociale, ni le modèle architectural ne conditionnent l’existence d’une cuisine dans ou autour de la maison. En revanche, ces deux caractères définissent peut-être la superficie, la qualité de l’équipement, l’autonomie et la localisation de ce type d’espace. La fouille de nombreuses maisons urbaines médiévales est encore nécessaire pour répondre à cette question. On peut éventuellement voir dans la « coquina » désignée dans les textes, la salle autonome équipée d’une cheminée identifiée dans les maisons médiévales à plusieurs corps des élites urbaines. Ailleurs, et pour la majorité des habitants des villes médiévales, la cuisine participe à la partition et à la spécialisation des espaces de vie.



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