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RÉSUMÉ
Les structures sont parfois soumises à des sollicitations extrêmes telles que des chocs et des séismes, dont les conséquences peuvent être désastreuses. La réduction de la vulnérabilité au séisme du bâti existant est un enjeu de société de première importance. Le renforcement d’éléments structuraux par matériaux composites collés offre une solution intéressante, mais les règles de dimensionnement concernant l’application de tels matériaux pour le renforcement parasismique n’ont pas encore toutes été clairement établies. Le présent travail de thèse se propose de contribuer à l’établissement de ces règles pour le renforcement de poteaux en béton armé, par matériaux composites. Une campagne expérimentale a donc été menée sur plusieurs poteaux en béton armé, d’échelle représentative ; diverses configurations de renforcement ont été appliquées sur ces corps d’épreuve, qui ont ensuite été testés en flexion composée alternée. Ces différents essais nous ont permis d’analyser le comportement des poteaux selon la présence ou non de confinement (tissu de fibres de carbone), de renforcement à la flexion (lamelles), et d’ancrage des lamelles de renfort en matériaux composites. Cette notion d’ancrage des composites a fait l’objet d’une campagne expérimentale complémentaire, visant à caractériser une technique d’ancrage innovante et à en vérifier les performances.
Grâce à ces différents essais, les gains en termes d’énergie dissipée apportés par les différentes configurations de renforcement, les gains en termes de ductilité globale de la structure ainsi qu’en termes d’augmentation de la charge portante ont été vérifiés. Outre ces aspects quantitatifs, ce travail a permis de proposer des pistes pour l’établissement de règles de dimensionnement de ces renforts spécifiques à la réhabilitation parasismique, en lien avec les normes actuelles, et notamment l’Eurocode 8.
Mots clés : poteaux béton armé, renforcement parasismique, Polymères Renforcés de Fibres
(PRF), ancrage
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Les séismes constituent un risque naturel majeur ; ils ne sont pas toujours prévisibles et peuvent survenir en de nombreux endroits à travers le monde. Au cours des trois dernières années, plusieurs séismes dévastateurs, de magnitude (Mw) supérieure à 7, ont eu lieu en Chine (Sichuan, mai 2008, Mw = 7,9), à Haïti (janvier 2010, Mw = 7), au Chili (février 2010, Mw = 8,8), au Japon (nord-est de Honshu, mars 2011, Mw = 9), ou encore en Nouvelle-Zélande (Christchurch, février 2011, Mw = 7,1). La Terre ne cesse de trembler, plus ou moins intensément, et les dégâts sont parfois considérables, tant en nombre de victimes qu’en pertes matérielles. On estime par exemple que le séisme de Kobe de 1995 a coûté plus de 80 milliards d’euros.
L’impact d’une catastrophe naturelle est d’une manière générale corrélé à son intensité et à la densité de population présente sur le lieu d’occurrence de l’événement. Or, si au cours des siècles l’intensité des séismes a été relativement stable à l’échelle planétaire, la densification et l’urbanisation des populations au cours des dernières décennies sont deux facteurs d’aggravation des conséquences des séismes. Jean Jacques Rousseau ([Rousseau, 1756]) observait déjà ce phénomène au vu des dégâts occasionnés par le séisme de Lisbonne en 1755 ; en effet, si l’on « n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages et si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre et peut-être nul ». L’impact des séismes est donc indéniablement lié à nos besoins qui ne cessent d’augmenter en termes de bâti, et la problématique de sécurisation parasismique des constructions humaines est un enjeu majeur pour nos civilisations modernes.
Certains pays d’Europe et des pays tels que le Japon et les États-Unis, ont ainsi développé une « culture » sismique relativement importante et leurs règles de construction s’attachent à garantir un bâti fiable et sécuritaire vis-à-vis des séismes. Une illustration parfaite de la pertinence de cette démarche réside dans la résistance d’un grand nombre d’infrastructures suite au séisme survenu au Japon le 11 mars 2011 (même si d’autres désordres ont été générés par le tsunami qui a suivi). En effet, les routes accidentées, les aéroports et les ports ont pu rouvrir moins d’une semaine après le séisme pour les véhicules d’urgence ([The Japan Times, 2011]), et environ deux semaines après le séisme pour le trafic général ([Daily Yomiuri online, 2011]).
La garantie de disposer de constructions fiables apparaît ainsi comme une nécessité dans l’organisation de la sécurité publique et la prévention des risques majeurs ([J.O., loi n°2004-811, 2004]) ; cependant, le renouvellement de toutes les infrastructures de génie civil ou des bâtiments qui ne sont pas aux normes sismiques n’est évidemment pas envisageable instantanément. L’étude de la vulnérabilité des structures et des moyens de les réhabiliter représente donc une priorité d’intérêt général. En France, le nouveau zonage sismique national ([J.O. n°0248, décret n°2010-1254, 2010] et [J.O.n°0248, décret n°2010-1255, 2010]), lié à l’Eurocode 8 ([EN 1998]), implique le reclassement de certains ouvrages/bâtiments construits dans des zones dont le niveau de sismicité a été relevé ; une réévaluation de ces structures est donc nécessaire. A ce titre, le Plan Séisme Antilles (présenté en conseil des ministres le 17 janvier 2007, [DGPR, 2009]) déploie d’importants programmes de réduction de la vulnérabilité du bâti. L’objectif est, qu’en moins de 20 ans, la majeure partie du
bâti public (enseignement, santé, gestion de crise, logement social) soit, si nécessaire, renforcée ou reconstruite pour résister à un séisme majeur. Cette prescription est par ailleurs confirmée par l’OPECST (Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques) qui déclare ([OPECST, 2010]) que si un séisme tel que celui de Fort-de-France en 1839 se produisait aujourd’hui, il provoquerait plus de 30 000 victimes.
Dans le cadre de la gestion d’un parc d’ouvrages ou d’un parc immobilier, il est donc nécessaire en premier lieu d’évaluer la vulnérabilité des structures, et pour les ouvrages déficients d’être en mesure de proposer des solutions de réhabilitation adaptées. Diverses techniques existent actuellement pour assurer une mise en conformité des stuctures, notamment via les matériaux traditionnels tels que le béton et l’acier. Le renforcement d’éléments structuraux par matériaux composites peut également offrir une solution intéressante et se révèle être une technique de plus en plus répandue. Cependant, afin de répondre à des préoccupations immédiates des professionnels du bâtiment et des travaux publics, il est nécessaire de poursuivre le développement de règles de calcul, pour cette technique de renforcement par matériaux composites, en continuité avec les procédures existantes, développées par exemple au sein des Eurocodes ([EN 1998]) ou de guides nationaux.
Dans ce contexte, le projet ANR-INPERMISE (INgénierie PERformantielle pour la MIse en SEcurité des ouvrages par matériaux composites), impliquant des partenaires industriels (Freyssinet International et Vinci Construction France) ainsi que le LGCIE (Laboratoire de Génie Civil et d’Ingénierie Environnementale, Villeurbanne), le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, Champs-sur-Marne) et l’IFSTTAR (Institut Français des Sciences et Technologies, des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux – site de Paris), a été créé afin de développer des essais de qualification et de proposer des méthodes de calcul et de dimensionnement compatibles avec la règlementation (les Eurocodes notamment) dans le cas du comportement en flexion composée ou en compression-cisaillement de poteaux ou de voiles en béton armé ou
maçonnés. Il s’agissait notamment de concevoir et valider des procédés constructifs innovants mettant en œuvre des matériaux composites et assurant la mise en sécurité des ouvrages, en particulier dans le cas de sollicitations accidentelles ou extrêmes (chocs, séismes).
L’IFSTTAR ainsi impliqué dans ce projet s’est concentré sur le développement d’essais et de méthodes de calcul impliquant les poteaux en béton armé, ces éléments étant certes critiques dans la tenue des bâtiments aux séismes, mais également en ce qui concerne les ponts. Etre capable de proposer une technique de réhabilitation de ces éléments majeurs, et de prévoir leur comportement ainsi renforcés représente une nécessité. De nombreuses études ont été menées concernant le comportement de poteaux en béton armé, renforcés selon certaines configurations d’application de matériaux composites (principalement avec un chemisage de confinement) et sollicités en compression, en flexion, ou encore en flexion composée. Cependant, peu de données expérimentales sont actuellement disponibles en ce qui concerne le comportement de poteaux en béton armé sollicités en flexion composée et renforcés à la fois par confinement de Polymères Renforcés de Fibres (PRF) et par renforts longitudinaux à la flexion (lamelles pultrudées, technique notamment employée pour le renforcement en face inférieure de poutres). Il est donc essentiel d’être en mesure d’analyser l’efficacité d’une telle solution de renforcement couplée. Par ailleurs, l’ancrage des matériaux composites est souvent indispensable pour en assurer un fonctionnement optimisé ; aussi l’étude de procédés constructifs spécifiques permettant d’améliorer les conditions d’ancrage et de transfert de charge entre le poteau et son élément d’appui (poutre, semelle) est fondamentale dans l’analyse de l’efficacité des techniques de renforcement étudiées.
Les travaux de thèse présentés dans ce manuscrit s’intéressent donc au comportement de poteaux en béton armé renforcés par PRF et sollicités en flexion composée alternée, sollicitation représentative de l’action sismique. Il s’agit notamment d’identifier les mécanismes d’endommagement se développant à l’échelle de l’élément structural et à l’échelle locale, à l’origine de non linéarités de comportement et de déformations ultimes importantes. Passée cette première approche, il convient d’estimer et de vérifier expérimentalement les gains en termes d’énergie dissipée apportés par les différentes techniques de renforcement et les gains en termes de ductilité globale des structures renforcées par PRF. Un verrou scientifique à lever consiste en la prise en compte simultanée des diverses sollicitations (flexion, compression) et des divers renforts (tissu de confinement, renfort à la flexion, influence d’un ancrage). Nos travaux visent ainsi, par l’analyse de certains éléments de dimensionnement, à contribuer à l’établissement de recommandations et de règles de dimensionnement parasismique.
Bien que la gamme des PRF utilisés en construction soit assez diversifiée, comprenant notamment des PRF à base de fibres de carbone, de verre ou d’aramide, nous avons fait le choix dans cette étude de nous intéresser uniquement aux PRF à base de fibres de carbone, ceux-ci étant mis en place dans la majorité des opérations de renforcement structural par matériaux composites collés dans le domaine des ouvrages d’art.
L’objectif scientifique et technique de ce projet n’est pas de proposer de nouveaux systèmes de renforcement (hormis l’optimisation des conditions d’ancrage) mais, dans le contexte général de l’ingénierie performantielle, d’ouvrir les champs d’application des procédés existants vis-à-vis des poteaux en béton armé sollicités en flexion composée, pouvant être transposés au cas du choc ou des actions sismiques.
Afin de mener à bien les objectifs décrits précédemment, les travaux ont été réalisés en trois étapes majeures. Tout d’abord, afin d’être en mesure de réhabiliter des structures, il est nécessaire de posséder un certain nombre de connaissances sur leurs mécanismes de ruine et sur les techniques de réparation. Le chapitre 1 de ce mémoire décrit donc les différents dommages pouvant être causés par un séisme sur une structure, puis se concentre plus particulièrement sur les poteaux élancés en béton armé. Les différentes techniques de renfort sont ensuite abordées : les techniques liées à des matériaux traditionnels puis les techniques mettant en œuvre de nouveaux matériaux tels que les PRF. Les principaux codes de calcul relatifs à l’utilisation des PRF sont passés en revue, afin d’examiner les différentes méthodes de dimensionnement et d’identifier les
éventuelles voies d’amélioration des modèles proposés.
Plusieurs études expérimentales s’accordent sur le fait qu’un ancrage mécanique des matériaux composites collés peut se révéler nécessaire pour optimiser la tenue du renfort, notamment à ses extrémités. Le chapitre 2 décrit donc un ancrage innovant de plats pultrudés spécifiquement développé dans le cadre des travaux de cette thèse. La vérification expérimentale des performances de cet ancrage ainsi qu’une analyse détaillée de son fonctionnement mécanique, grâce à des modèles numériques et analytiques, complètent ce second chapitre.
Le chapitre 3 présente ensuite la campagne expérimentale menée sur des corps d’épreuve d’échelle représentative. Cette série d’essais vise à caractériser le comportement de poteaux en béton armé renforcés par matériaux composites. Différentes configurations de renforts sont testées, mettant en œuvre dans certains cas l’ancrage innovant décrit dans le chapitre précédent.
L’ensemble des résultats expérimentaux obtenus constitue une base de données maîtrisée permettant d’analyser les gains de performance (résistance, ductilité, énergie dissipée) relatifs aux différentes configurations de PRF et de proposer des pistes pour l’établissement futur de règles de dimensionnement de ces renforts spécifiques à la réhabilitation parasismique.
La conclusion propose une synthèse de ces travaux et s’attache à dresser des perspectives pour de futures recherches et améliorations des règles de calcul proposées.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction générale
Chapitre 1 Étude bibliographique
1.1 Séismes et pathologies associées
1.1.1 Généralités
1.1.2 Mécanismes de ruine d’éléments structuraux particuliers : les poteaux en béton armé
1.1.3 De la nécessité du renforcement parasismique
1.2 Solutions de renforcement parasismique applicables aux poteaux
1.2.1 Renforcement par chemisage en acier ou en béton armé
1.2.2 Renforcement par matériaux composites collés
1.2.3 Synthèse et évolution des solutions de renforcement par PRF
1.3 État des lieux des normes actuelles concernant le renforcement de poteaux en béton armé par matériaux composites
1.3.1 Modèles de confinement du béton par matériaux composites
1.3.2 Eurocode 8
1.3.3 Règles de l’Association Française de Génie Civil (AFGC)
1.3.4 Le code de calcul italien
1.3.5 Règlementation japonaise
1.3.6 Règles d’ISIS Canada research Network
1.3.7 Règles de l’American Concrete Institute (ACI)
1.3.8 Synthèse concernant les différents codes de calcul présentés
1.4 Conclusions de l’étude bibliographique
Chapitre 2 Ancrage des lamelles de renfort en matériaux composites
2.1 Introduction
2.2 Revue bibliographique des systèmes d’ancrage existants
2.3 Description et caractérisation d’ancrages innovants de plats pultrudés utilisés en renforcement
2.4 Essais de caractérisation des ancrages
2.4.1 Préparation des essais
2.4.2 Instrumentation
2.5 Synthèse des résultats expérimentaux obtenus sur les premiers prototypes d’ancrage
2.6 Résultats de caractérisation du système d’ancrage avec un angle de 15°
2.6.1 Instrumentation des essais sur ancrages avec angle
2.6.2 Chargement et acquisition
2.6.3 Résultats des essais sur ancrages avec angle
2.7 Synthèse des résultats et étude comparative entre les lamelles simples et le système d’ancrage innovant
2.8 Modélisation analytique et numérique des essais : étude de la répartition de la contrainte de cisaillement dans les joints collés des ancrages testés
2.8.1 Courte introduction au modèle du joint collé
2.8.2 Cas de la lamelle simple
2.8.3 Cas de la lamelle ancrée
2.8.4 Amélioration du modèle : tissu de confinement
2.8.5 Proposition d’une loi de comportement effort-deplacement pour l’ensemble de « l’assemblage lamelle ancrée »
2.9 Conclusions sur le système d’ancrage
Chapitre 3 Comportement de poteaux en béton armé renforcés par PRF et sollicités en flexion composée
Introduction et objectifs du programme expérimental
3.1 Synthèse de quelques éléments bibliographiques permettant de définir la campagne d’essai
3.2 Programme expérimental
3.2.1 Corps d’épreuve
3.2.2 Matériaux et configurations de renforcement
3.2.3 Sollicitations appliquées et configuration de l’essai
3.2.4 Instrumentation
3.3 Présentation et analyse des résultats expérimentaux
3.3.1 Vérification de l’encastrement du poteau
3.3.2 Principaux résultats expérimentaux
3.3.3 Analyse des courbes de capacité
3.3.4 Conception et essai d’une configuration de renfort révisée
3.3.5 Approche énergétique
3.3.6 Évaluation de la raideur
3.3.7 Conclusions concernant les résultats expérimentaux
3.4 Modélisation du comportement des poteaux : analyse non linéaire effectuée sur le logiciel Beam Compo
3.4.1 Présentation du logiciel Beam Compo
3.4.2 Évolution du logiciel pour le traitement des essais réalisés
3.4.3 Modélisation des essais sur poteaux
3.5 Contribution à l’étude de règles de calcul simplifiées pour un renforcement par matériaux composites de poteaux sollicités en flexion composée
3.5.1 Vérification des sections en termes de moments
3.5.2 Vérification de la rotation de corde ultime
3.5.3 Conclusions sur les aspects de dimensionnement
Conclusions et perspectives
Références bibliographiques
Annexe 1 Ancrage des lamelles de renfort en matériaux composites : essais sur lamelles simples
Annexe 2 Ancrage des matériaux composites : Essais sur lamelles ancrées
Annexe 3 Ancrage des matériaux composites : Essais sur lamelles ancrées
crantées
Annexe 4 Caractérisation du matériau béton lors des différents coulages
Annexe 5 Essais de traction sur aciers
Annexe 6 Modélisation des essais sur poteaux avec le logiciel Beam Compo