Parmi les actions susceptibles de provoquer des dégradations aux ouvrages ou aux revêtements en béton, le gel peut constituer un facteur particulièrement actif, surtout lorsque les cycles de gel et de dégel s’alternent rapidement.
Le béton durci, dans la majorité des cas, résiste aux effets du gel. Il arrive cependant que des conditions climatiques sévères puissent entraîner la dégradation de bétons mal formulés, mis en œuvre de façon incorrecte et de surcroît, dans un état voisin de saturation en eau. Deux types de détérioration du béton due au gel sont à distinguer : la fissuration interne et l’écaillage des surfaces en présence de sels de déverglaçage. Ces deux types de détérioration ont pour origine des processus différents et ne surviennent pas nécessairement en même temps.
Les résultats de très nombreuses expérimentations en laboratoire et d’études du comportement du béton in situ ont permis de comprendre l’influence des paramètres de composition du béton sur sa durabilité au gel, dont notamment le rôle clé de l’air entraîné. Toutes ces connaissances sont à la base du développement de méthodes d’essais, de recommandations et d’exigences normatives permettant de construire des structures durables en béton.
1.LE GEL DU BÉTON DURCI ET LA FISSURATION INTERNE
Même après de nombreuses années de recherche, le comportement au gel du béton ne peut pas encore être expliqué complètement. Il est généralement admis que l’accroissement de volume accompagnant la transformation de l’eau en glace (de l’ordre de 9 %) n’est pas la cause principale de la dégradation du béton soumis au gel. Les modèles partiellement développés montrent que ce sont les pressions engendrées par les mouvements de l’eau interne qui sont la cause principale des dégradations.
- Lorsqu’il y a un gradient thermique (comme la formation de glace), il se crée un écoulement d’humidité des zones chaudes vers les zones froides. Comme la glace se trouve dans la zone la plus froide, l’humidité se déplace vers les cristaux de glace, elle se condense et se transforme en glace. Les forces en jeu sont tellement importantes qu’elles provoquent des déformations locales et peuvent entraîner la fissuration du béton.
- Lors du gel, seule l’eau pure est transformée en glace. L’eau est en réalité une solution saline et au cours du gel, il se produit donc une séparation en glace et en solution encore liquide qui devient de plus en plus concentrée en sel. De plus, dans un pore de pâte de ciment, l’eau gèle à une température qui dépend, notamment, de la dimension du pore. Par exemple, l’eau des pores des silicates de calcium hydratés (C-S-H) cristallise sous forme de glace à une température de -78 °C : l’eau des pores des C-S-H est donc, en pratique, non gélive – voir figure 1. L’eau des pores voisins, lorsqu’ils sont plus petits, n’a donc pas encore gelé. De ce fait, sa concentration saline, ayant gardé son niveau initial, est largement inférieure à celle de l’eau résiduelle dans le pore de rayon supérieur déjà partiellement gelé. Ceci va créer, afin d’égaliser les concentrations en sels, un afflux d’eau des petits pores vers les plus gros suivant les lois de l’osmose. Ces transferts vont créer des pressions qualifiées d’osmotiques. Si ces pressions viennent à surpasser la résistance à la traction du béton, elles fissureront celui-ci.
- Suite à ces pressions dues aux lois de la thermodynamique et aux lois de l’osmose, l’eau est
attirée par la glace mais en même temps, la glace repousse l’eau qui s’écoule vers elle.
Lorsque l’eau commence à geler dans une cavité, son volume augmente de 9 % de sorte que l’eau en excès est expulsée. La vitesse de refroidissement détermine la quantité d’eau poussée par la glace et qui doit cheminer.
Il s’établit des pressions hydrauliques qui dépendent de la résistance à l’écoulement.
Cette dernière est fonction notamment de la longueur du trajet entre le pore qui gèle et un vide qui peut accepter l’eau qui en est chassée.
D’où la notion de facteur d’espacement des bulles d’air noté , définie par la norme américaine ASTM C 457 / C 457M comme étant la demi distance moyenne qui sépare les parois de deux bulles d’air adjacentes appartenant à un réseau supposé régulier (figure 2). Si la distance à parcourir par l’eau est élevée, les pressions hydrauliques peuvent surpasser la résistance à la traction du béton et le risque de fissuration est bien réel.
A RETENIR
Dans un béton, l’eau ne se transforme pas totalement en glace dès que la température s’abaisse en-dessous de 0 °C. La formation de glace s’amorce dans les plus gros capillaires pour se propager dans les pores de plus en plus petits à mesure que la température s’abaisse. Un béton à faible rapport E/C a une taille des pores réduite, ce qui diminue la quantité de glace formée à une température donnée.
Le degré de saturation en eau d’une pâte de ciment conditionne sa tenue au gel. Une pâte non saturée contient des vides gazeux qui constituent un volume tampon dans lequel la glace peut se former sans exercer de pression sur les parois des pores.
Les bulles d’air entraîné offrent des espaces (vases d’expansion) permettant à la phase liquide en mouvement de s’y accumuler et d’y geler sans créer de dommage. Pour protéger la pâte, il faut que les bulles d’air soient suffisamment rapprochées pour faire en sorte que les contraintes internes générées par le gel soient inférieures à la capacité ultime de la pâte. Ainsi, le paramètre essentiel garantissant l’efficacité de la protection offerte par le réseau de bulles d’air entraîné n’est pas le volume d’air entraîné, mais bien le facteur d’espacement : il doit être inférieur à une valeur critique qui dépend de la composition du béton et de la sévérité de l’exposition aux cycles de gel-dégel.
PRÉCAUTIONS A PRENDRE
Le rapport E/C du béton est la caractéristique de composition ayant la plus grande influence sur la résistance à la fissuration interne du béton. D’une part, l’abaissement du rapport E/C engendre une diminution de la quantité d’eau gelable consécutive à la diminution du volume poreux total et à l’affinement de la taille des pores. D’autre part, lorsque le rapport E/C diminue, les résistances mécaniques augmentent, ce qui produit un béton plus résistant aux contraintes internes engendrées lors du gel.
Les additions minérales (laitiers, cendres volantes, fumées de silice) peuvent modifier la résistance à la fissuration interne des bétons en raison de leurs effets sur la maturité du béton et sur la structure de la porosité.
L’influence des additions minérales sur la tenue au gel est variable en fonction du type d’addition et du taux de remplacement du ciment. De nombreuses études tendent à démontrer qu’en général, les fumées de silice, les cendres volantes et les laitiers n’améliorent pas significativement la résistance à la fissuration interne. Il est toutefois possible de profiter des nombreux avantages offerts par les additions minérales en imposant une valeur limite sur le taux de remplacement du ciment et en s’assurant d’un niveau de maturité suffisant avant la première exposition au gel.
Les précautions à prendre peuvent être résumées comme suit en fonction de l’exposition des ouvrages en béton soumis au gel :
dans tous les cas :
- faire du bon béton c’est-à-dire un béton de résistance à la traction élevée et à facteur E/C réduit, ≤ 0,55 voire 0,50. Respecter les règles de composition notamment en ce qui concerne la continuité granulométrique (stabilité du mélange frais) et la teneur en fines (grandes consommatrices d’eau) ;
- utiliser des granulats sains ; les granulats gélifs, proches de la surface, absorbent de l’eau et se fissurent sous l’effet du gel en détruisant le mortier d’enrobage et en provoquant des cratères superficiels de dimension proportionnelle à celle du granulat concerné ;
- à la coulée du béton, respecter les règles de l’art notamment pour le mode de déversement, l’épaisseur des couches déversées, le serrage ;
- protéger le béton contre la dessiccation le plus rapidement possible après la mise en œuvre, voire après le décoffrage.
- dans le cas de bétons non susceptibles d’être saturés en eau et subissant un gel progressif normal (soit dans des conditions peu sévères d’exposition), aucune mesure particulière ne s’impose. Vu que le béton n’est pas saturé en eau, on dispose d’espaces d’expansion remplis d’air permettant l’écoulement de l’eau mise sous pression. La figure 3 montre bien que lorsque le taux de saturation du béton est limité (inférieur à 80 %), les dégâts dus au gel restent également limités.
- dans le cas de bétons susceptibles d’être saturés en eau et/ou de subir un gel très brutal (soit dans des conditions sévères d’exposition comme les routes, les parois minces exposées sur les 2 faces, …) :
- veiller à la qualité du béton (abaissement du rapport E/C, ≤ 0,50 voire 0,45) pour réduire la dimension des pores capillaires ;
éventuellement et en complément, améliorer encore le comportement au gel de ces bétons par l’addition d’un entraîneur d’air accroissant la réserve d’expansion. La majorité des chercheurs s’accordent pour dire qu’afin d’avoir une protection adéquate contre le gel, il faut une quantité d’air égale à 9 % du volume du mortier. Comme la quantité de mortier présent dans le béton diminue lorsque le diamètre maximum des granulats augmente, la quantité d’air nécessaire pour un béton avec un Dmax égal à 32 mm sera nettement inférieure à celle d’un béton avec un Dmax égal à 6 mm. De plus, il faut que les bulles soient de petite taille, de l’ordre de 10 à 100 μm de préférence, et de surface volumique élevée, de l’ordre de 25 à 50 mm2 /mm3 .
Lorsqu’un granulat poreux et saturé en eau gèle, il s’y développe des pressions hydrauliques internes qui peuvent le fissurer. Le gel des granulats dans un béton se manifeste avec plus d’intensité en surface : il se traduit par des éclatements locaux et par la formation de petits cratères (pop-outs).
Les parties d’ouvrages dont le béton présente le plus fort degré de saturation se dégradent le plus fort :
elles correspondent soit à des parties qui fonctionnellement sont au contact de l’eau, soit à des parties qui par leur géométrie retiennent préférentiellement les eaux de précipitation (surfaces horizontales).
En général, les recommandations quant à la teneur en air du béton frais par rapport au Dmax du granulat sont les suivantes :
- minimum 4 %-v d’air pour un Dmax compris entre 20 et 31,5 mm;
- minimum 5 %-v d’air pour un Dmax compris entre 11,2 et 16 mm;
- minimum 6 %-v d’air pour un Dmax compris entre 5,6 et 10 mm.
En ce qui concerne le facteur d’espacement, si celui-ci est faible, la pression de l’eau poussée par la glace ne sera pas élevée et inversement si la distance est grande, cette pression sera élevée. Un facteur d’espacement inférieur à 200 μm est en général considéré comme suffisant pour une bonne protection contre le gel mais dans le cas de bétons à faible E/C (≤ 0,40), des facteurs d’espacement supérieurs peuvent être admis.
- éviter la stagnation d’eau par des profils favorisant l’écoulement. Les parties extérieures de surfaces planes et horizontales favorisent l’accumulation d’eau et la saturation du béton. Il faut donc toujours chercher à donner une pente ou prévoir un système de casse-goutte empêchant les retours d’eau vers l’ouvrage.
PRESCRIPTION D’UN BETON RESISTANT AUX CYCLES DE GEL-DEGEL SELON LES NORMES NBN EN 206-1 ET NBN B 15-001
Les normes NBN EN 206-1:2001 et NBN B 15-001:2012 permettent de prescrire les exigences de durabilité pour des bétons non armés, armés et précontraints soumis au gel (classes d’environnement EE2 et EE3 – présence de gel sans agents de déverglaçage).
Les exigences des normes liées à ces classes d’environnement EE2 et EE3 sont résumées au tableau 1 ci-après. A noter que dans certains cas, il est possible de prescrire une classe d’absorption d’eau par immersion WAI.
Cette exigence complémentaire est généralement considérée comme un indicateur de durabilité. Une faible absorption d’eau est synonyme d’un béton compact et de qualité résistant à l’environnement auquel il est exposé. Ainsi, à titre d’exemple, un béton armé exposé à la pluie et au gel uniquement (sans sels de déverglaçage) sera prescrit en classe d’environnement EE3. Il devra donc présenter, outre une classe de résistance minimale C30/37, un rapport E/C ≤ 0,50 et une teneur en ciment ≥ 320 kg/m3
Les granulats seront non gélifs et l’utilisation d’additions minérales sera réglementée. Par ailleurs, si le prescripteur en fait la demande, une classe d’absorption d’eau par immersion WAI (0,50) devra être garantie. Ainsi, l’absorption d’eau par immersion mesurée sur éprouvettes de contrôle conformément aux directives de la norme NBN B 15-215, sera inférieure à 6,0 % en moyenne (mesure de trois éprouvettes) et 6,5 % en valeur individuelle conformément à l’annexe O de la NBN B 15-001.