Le béton est un matériau intéressant par son côté clivant dans l’opinion : « aimer » ou « détester » est rarement le résultat d’un avis neutre. Il offre pourtant aujourd’hui des possibilités insoupçonnées. Ce matériau, que l’on retrouve partout et qui incarne une certaine modernité, n’est pas aussi récent qu’on pourrait le croire. En effet, une fresque découverte à Thèbes et datant de 1950 av. J.-C. décrit les phases successives de la fabrication du béton et du mortier1
- Il y a 4000 ans donc, le béton était déjà utilisé. Cependant, il tomba dans l’oubli après la chute de l’empire romain et ne fut ‘redécouvert’ qu’au 19e siècle. Depuis, il n’a cessé d’évoluer. Il est devenu plus résistant, plus facile à mettre en œuvre, mieux contrôlé et moins énergivore, utilisant de plus en plus de matériaux issus du recyclage. Il en existe de toutes sortes, allant du dépolluant à l’autonettoyant.
De nos jours, l’architecture est de plus en plus standardisée. Réglementations, impératifs techniques, coût élevé de la main-d’œuvre, etc. y contribuent largement.
Cela a conduit à l’utilisation de produits standardisés, labélisés, rapides à mettre en place. Comme l’a fait remarquer Rem Koolhaas, l’appauvrissement architectural est visible
- Il est encore plus marqué depuis l’introduction de nouvelles réglementations énergétiques. Ceci n’est pas une fatalité et de nouvelles possibilités peuvent émerger si l’architecte est ouvert à l’innovation. En disposant d’un matériau très plastique tel que le béton, la place à l’imagination, à la réflexion et à l’innovation est toujours possible.
LES SUPER BÉTONS OFFRENT DES SOLUTIONS INNOVANTES
L’ouvrage « Super Bétons, réelle opportunité pour les architectes ? Comprendre et utiliser les bétons à résistance mécanique accrue », est consacré à l’étude des bétons à résistance mécanique accrue, dits ‘super-bétons’. Il montre que ceux-ci, grâce à leurs propriétés particulières, permettent la recherche de solutions architecturales innovantes et créatives. En effet, les éléments qui constituent ces bétons sont beaucoup plus petits, les rendant macroscopiquement homogènes. Des granulats de taille considérablement réduite permettent ainsi au béton de devenir un matériau plus plastique. Le bureau d’ingénieurs Lamoureux et Ricciotti a d’ailleurs prouvé qu’il était possible de créer des formes structurelles et architectoniques telles que des résilles en béton qui, par essence, ne sont pas à vocation structurelle. La réalisation du Moucharabieh du MuCEM à Marseille, parmi bien d’autres, en est un bel exemple. De ces éléments massifs et architectoniques, s’échappe une véritable forme poétique.
De la mise en œuvre de ces nouveaux bétons émerge une véritable émancipation formelle. Elle autorise non seulement l’apport de variantes esthétiques mais laisse surtout libre cours à l’imagination. Courbes, contrecourbes, entrelacs et jeux subtils de pleins et de vides font de certaines réalisations des œuvres plastiques à part entière. L’harmonie complexe des formes, leur interaction avec la lumière et les contrastes affirmés qui en résultent ne sont pas sans évoquer certaines gravures en noir et blanc, proches de l’abstraction. Ce
parallèle entre deux formes d’expression relativement éloignées est parfaitement illustré par une photographie du moucharabieh du MuCEM déjà évoqué plus haut et une œuvre de l’artiste plasticienne Kikie Crêvecœur traitant du même sujet. De manière peut-être plus anecdotique, il est intéressant de noter que coffreur et graveur travaillent tous deux ‘en négatif’ et que la moindre impureté se glissant entre matrice et support y laissera sa trace.
Outre les possibilités plastiques qu’ils offrent désormais, ces bétons ont de nombreux autres avantages.
Les performances de leur résistance mécanique sont très proches de celles de l’acier. Ils peuvent également être hydrophobes, dépolluants, autonettoyants et même auto-cicatrisants. Le béton peut être apparent, structurel et, on l’a vu, architectonique ! Cette dernière fonction, primordiale pour l’architecte, semble quelquefois appauvrie lorsqu’elle ne se limite qu’à elle-même. Cela se remarque particulièrement avec certains immeubles dont l’esthétique n’est que le résultat d’une couche de finition, d’un montage qui donne « l’impression que ». C’est la combinaison des propriétés qui permet de s’épanouir, d’aller plus loin, d’avoir un dialogue fort et une expression marquée.
UNE UTILISATION RAISONNÉE DES RESSOURCES
D’un point de vue écologique, ces super bétons permettent une utilisation raisonnée des ressources. Plus résistants, ils demandent moins de matière. Quoi qu’il soit souvent fait mention de la quantité de CO2 produite dans le processus de fabrication du béton, il faut souligner que celle-ci est en réalité relativement faible. Elle n’est importante que par la très grande quantité de béton produite. À cela il faut intégrer les sous-produits utilisés par la filière béton et dont certains sont rendus inertes par celle-ci.
Il est intéressant de signaler que malgré les progrès techniques réalisés par l’industrie sidérurgique, l’acier ou l’aluminium présentent des bilans écologiques bien moins bons que ceux du béton. De manière surprenante, le bilan de ce dernier n’est en fait pas très éloigné de celui du bois. Le béton n’est peut-être pas parfait, mais peu d’industries ont autant évolué et innové que celle du béton au cours de ces dernières années.
Le monde n’est pas figé et les innovations technologiques offrent des opportunités d’émancipation des standards. Il faut pour cela que l’architecte soit attentif aux innovations et aux découvertes dans tous les domaines. Les clients, quant à eux, doivent être prêts à soutenir une démarche qui dans l’absolu, va dans leur sens en leur offrant des solutions plus adaptées à leurs besoins.
Pour citer Mark Twain, « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
AUTRES ASPECTS TECHNIQUES DES SUPER BÉTONS (EXTRAITS)
Les propriétés exceptionnelles des nouveaux bétons ne se limitent pas à la résistance mécanique accrue. Parmi celles-ci, nous pouvons en citer un certain nombre qui nous paraissent particulièrement intéressantes.
La porosité capillaire et la porosité à l’eau des bétons à haute performance et des BFUHP sont nettement moins élevées que celles des bétons traditionnels. Ceci est plus particulièrement vrai pour les BFUHP1 dont la porosité capillaire est nulle et dont la porosité à l’eau est plus de 10 fois inférieure à celle des bétons traditionnels. Cette propriété particulière des BFUHP fait d’eux un matériau étanche, caractéristique non négligeable lors de la mise en oeuvre d’un projet. En effet, il n’est plus nécessaire de recouvrir le béton d’une couche d’étanchéité ce qui engendre un gain économique. Ajoutés à ces qualités de porosité particulières, d’autres facteurs tels que la perméabilité à l’oxygène, la profondeur de carbonatation, la diffusion des ions chlore ainsi que la teneur en portlandite jouent un rôle important dans la résistance du béton à la corrosion. Pour tous ces facteurs, les BFUHP présentent des valeurs très faibles – dans le cas de la perméabilité à l’oxygène, une valeur proche de celle du granit –, en en faisant un matériau très résistant à la corrosion. À titre indicatif, nous incluons ci-après, un tableau reprenant les valeurs en question. Celui-ci est extrait du site du cabinet Lamoureux & Ricciotti Ingénierie.
En ce qui concerne le comportement au feu, la résistance des super bétons est très similaire à celle des bétons traditionnels. Une différence est toutefois à noter concernant les BFUHP à fibres métalliques dont la conductivité thermique est légèrement supérieure à celle des autres bétons, traditionnels ou à hautes performances. Cela s’explique par le fait que, dans les autres cas, l’armature passive est généralement protégée par une couche de béton relativement conséquente, réduisant ainsi le niveau de conductivité thermique. Les BFUHP à fibres métalliques, ayant celles-ci réparties dans l’ensemble de la masse, ne bénéficient pas du même niveau de protection. En effet, les fibres étant moins enrobées de béton, la chaleur peut plus facilement se communiquer de l’une à l’autre. Il faut toutefois souligner qu’en ce qui concerne la conductivité thermique, celle du béton est jusqu’à 50 fois inférieure à celle de l’acier.
Au-delà des aspects purement techniques des super bétons et des avantages que ceux-ci présentent, il est important de souligner que leur composition même, c’est-à-dire la finesse des granulats utilisés, produit des textures de plus en plus malléables et autorise la réalisation de formes de plus en plus complexes. Ces qualités se voient amplifiées avec les BFUHP qui, de par leurs qualités de résistance mécanique, ne nécessitent plus obligatoirement la présence d’armatures passives et permettent le moulage de formes de plus en plus audacieuses, reflétant au plus près les choix esthétiques de l’architecte.
Béton classique | Béton haute performance | BFUHP | |
---|---|---|---|
Porosité capillaire (ml / 100 g) | 20 – 25 | 12 – 20 | 0 |
Porosité à l’eau (%) | 12 – 16 | 9 – 12 | 1 – 6 |
Perméabilité à l’oxygène (10-19 m2) | 1000 – 10 000 | 100 < 1 | (granit) |
Profondeur de carbonatation (mm après un mois) | 10 | 2 | < 0,1 |
Diffusion des ions chlore (10-14 m2/s) | 2000 | 200 | 2 |
Teneur en portlandite (kg/m3) | 76 | 86 | 0 |