Résistante au temps et aux aléas de l’Histoire, la pierre est le matériau de construction le plus fréquemment utilisé jusqu’à une époque récente en France et plus largement en Europe. Symbole de pérennité et de noblesse, elle est l’un des matériaux traditionnels des monuments historiques.
Elle subit cependant au fil du temps des altérations diverses auxquelles des équipes pluridisciplinaires composées d’architectes, de géologues, de conservateurs, de techniciens, d’archéologues, d’ingénieurs, essaient de répondre afin de conserver aux monuments historiques leur aspect mais aussi leur authenticité. S’il est parfois inévitable, l’apport de matériau neuf n’intervient qu’après épuisement des différentes options de traitement possibles.
En collaboration avec le Centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine (cicrp), le Laboratoire de recherche des monuments historiques (lrmh) et le Bureau de recherche géologique et minière (brgm), la direction régionale des affaires culturelles du Languedoc-Roussillon travaille dans le cadre du projet « PierreSud » à l’identification des pierres de construction utilisées dans la région, à l’identification des carrières d’extraction et des possibles pierres de substitution.
Les pages qui suivent proposent à tous, élus, techniciens, amateurs ou curieux, de découvrir les questions indispensables à la conservation et au traitement de la pierre et de partir à la rencontre de ce matériau qui nous est si proche et pourtant si difficile parfois à connaître.
Montpellier, temple des eaux de la place royale du Peyrou. Représentation d’une divinité fluviale ornant une clé d’un arc avant restauration : mise en évidence des salissures et encroutements, des desquamations, et des restaurations anciennes sur le visage probablement au ciment. Calcaire coquillier compact fin poreux (12% ) et d’une faible résistance mécanique (environ 7 mpa).
Méthode d’approche pour la conservation des monuments
La région Languedoc-Roussillon compte un peu plus de 2 000 édifices protégés au titre des monuments historiques couverts ou bâtis pour la plupart en pierre de taille ou en mœllon, auxquels il faut rajouter les croix de chemin et les retables en marbre, calcaire coquillier ou albâtre.
Avec le temps, de nombreux désordres, liés fréquemment à des problèmes d’humidité, peuvent apparaitre.
Ces accidents souvent causés par une absence d’entretien ou
un environnement agressif révèlent des problèmes plus complexes inhérents à la structure des matériaux.
Dès lors qu’une intervention est décidée par le maître d’ouvrage, la recherche de l’origine des causes d’altération doit être engagée. Faire l’économie de ce constat fait prendre le risque d’une intervention hasardeuse, aléatoire, au résultat incertain voire contraire au résultat attendu. De la pertinence de cette étude dépend la réussite du projet. Elle peut comprendre les éléments suivants :
1- La réalisation d’un relevé graphique détaillé sous format informatisé en dwg, document essentiel, support des données recueillies lors de l’étude, qui seront ainsi présentées sous forme synthétique, cartographique. Un relevé pierre à pierre peut se révéler nécessaire pour localiser précisément les altérations constatées et prescrire un protocole d’intervention adapté. Ce travail est réalisé, suivant le cas, par un dessinateur, un architecte du patrimoine ou un appareilleur.
2- L’analyse de bâti, précieuse pour la compréhension des constructions successives, des ajouts mais parfois également des suppressions, amenant à l’édifice actuel. L’étude de bâti se fonde sur l’analyse de textes ou l’examen des parements et peut Montpellier (34), cathédrale SaintPierre : élévation ouest.
Relevé graphique et critique
d’authenticité de la façade, Dominique Larpin, architecte en chef des monuments historiques, étude générale, juin 2003.
Sérignan (34), ancienne collégiale Notre-Dame-de-Grâce, élévation ouest.
A gauche : étude de bâti, Dominique Larpin, étude générale, juin 2007.
A droite : cartographie des différents matériaux, Henri de la Boisse, juin 2007.
renseigner sur l’origine des désordres constatés sur l’édifice. Pour cette prestation, les compétences d’un historien de l’art, d’un archéologue ou d’un architecte du patrimoine sont requises. 3- L’examen des matériaux 3a- 1re phase, l’analyse pétrographique : basé sur l’observation, l’examen décrit la composition minéralogique du matériau et peut parfois expliquer la cause des désordres observés. L’examen peut être microscopique ou macroscopique (à l’œil nu), les deux étant complémentaires. Une fiche de description du faciès du matériau est alors établie. L’examen microscopique se fait à partir d’une lame mince. Cette intervention est réalisée par un géologue. 3b-2e phase, l’analyse pétrophysique : cet examen définit les capacités techniques du matériau caractérisées par les mesures suivantes : masse volumique apparente et absolue, résistance à la compression, porosité et capillarité, dureté à la rayure, vitesse du son, parfois gélivité. Cette prestation est réalisée par un laboratoire d’analyse des matériaux.
La lame mince, code-barre de la pierre
Elle est obtenue à partir d’un échantillon de pierre scié, collé sur une lame de verre, puis aminci jusqu’à mesurer 30 microns d’épaisseur et lue avec un microscope polarisant.
Le géologue peut ainsi décrire la nature et la taille des grains (fossiles ou terrigènes), de la matrice, la nature et la fréquence des pores, ainsi que le ciment qui assure la cohérence du matériau.
La fiche d’identification reprend et synthétise cette observation fine. Ce travail de recensement étendu à l’ensemble des calcaires coquilliers des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon va, très prochainement, fournir un catalogue de lames minces garantissant par simple comparaison une identification rapide des matériaux, des carrières probables d’origine. Cela permettra également la mise en place d’hypothèses liées aux pathologies et incompatibilités du matériau par la consultation de rapports sur des matériaux similaires déjà étudiés.
Comparaison en macro-faciès entre les pierres de la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier et les
pierres des carrières de SaintGéniès-des-Mourges et de Vendargues (34).
Pages suivantes : Fiche descriptive d’une pierre issue de l’ancienne cathédrale
Saint-Just de Narbonne, localisant le prélèvement et présentant la vue en lame mince avec un microscope à lumière polarisée, Gabriel Vignard, géologue.
Marvejols (48), immeuble 9 rue Théodore Jean : relevé graphique et bilan des altérations, JeanLouis Rebière, architecte en chef des monuments historiques, février 2005.
4- La réalisation d’une cartographie des matériaux de l’édifice, riche d’enseignements sur les choix opérés par les constructeurs, à partir des données précédentes, prestation confiée à un géologue.
5- La recherche de la carrière d’origine. Cette information est essentielle à la compréhension du déroulement du chantier.
Elle permet de comparer les altérations des pierres en carrière avec celles du monument et, le cas échéant, de choisir une pierre de substitution. Elle requiert les compétences d’un géologue spécialisé en gitologie.
6-L’établissement d’une cartographie des altérations de l’ouvrage à réaliser par un bureau d’étude d’analyse des matériaux. Ce document synthétise l’ensemble des données recueillies et offre une vision globale du diagnostic.
A l’issue des opérations précitées, un protocole de restauration peut être établi.
La confrontation des regards de l’historien de l’art, de l’archéologue, de l’architecte du patrimoine, du géologue et du bureau d’études spécialisé, du conservateur du patrimoine et du maître d’ouvrage enrichit la réflexion, permet de définir plus précisément le protocole d’intervention. Cette approche pluridisciplinaire est essentielle à la connaissance et à la conservation du monument. (T. D.)
Marsillargues (34), château, façade nord de l’aile sud. Cartographie des altérations, lerm (Arles) 2002.