En plein cœur de la rade de New York se dresse fièrement la Statue de la Liberté, monument emblématique de l’Amérique. Cette colossale statue de 46 mètres de haut rivalise avec les gratte-ciels par son échelle et sa démesure. Avec ses 88 tonnes de cuivre, ses 300 000 rivets et son bras de 12 mètres, équivalent à un immeuble de 3 étages, ce mastodonte fascine par son impressionnante envergure. Il s’agissait du projet le plus ambitieux de son temps.
Pourtant, cette mégastructure américaine a été conçue par les plus grands artistes, architectes et ingénieurs français du 19e siècle. Érigée d’abord en plein cœur de Paris, elle a ensuite été acheminée par bateau avant d’être assemblée face à un gigantesque puzzle à New York. Aujourd’hui, on a tendance à oublier que la Statue de la Liberté est une révolution technologique, et sans elle, peut-être que la Tour Eiffel n’existerait pas.
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Quelles innovations ces concepteurs ont-ils utilisées pour permettre à ce titan d’atteindre une hauteur hors norme ?
Mais comment cette statue colossale a-t-elle réussi à rester debout malgré des vents violents pouvant atteindre jusqu’à 200 km/h ?
Quand on y pense, réaliser une statue d’une telle dimension dans un endroit aussi exposé relève presque de la folie. Nous allons vous raconter cette incroyable épopée qui a duré plus de 20 ans et qui a connu une multitude de rebondissements pour donner naissance à un patrimoine mondial unique.
La Statue de la Liberté est l’un des colosses les plus admirés au monde. Située au sud de Manhattan à New York, des milliers de touristes se pressent sur les bateaux de croisière pour la découvrir. Chaque année, près de 4 millions de visiteurs viennent contempler cette déesse en cuivre devenue un symbole universel. La Statue de la Liberté est le monument le plus connu au monde, mais aussi le plus détourné. On trouve son image sur des marques de boissons et de pizza, tant elle est devenue une figure emblématique et parlante pour des gens très différents à travers le monde.
La réplique de la statue existe aux quatre coins du monde, mais aucune ne peut égaler l’original. Celle de New York a commencé par ses dimensions hors normes, érigée sur les vestiges d’un ancien fort. Les fondations de cette mégastructure s’enracinent à 5 mètres de profondeur et s’élèvent à plus de 20 mètres, tandis que le piédestal atteint les 47 mètres de haut. Au total, l’assise de la statue est composée de 27 000 tonnes de béton, un record dans l’histoire de la construction.
Cette base inébranlable vient soutenir les 220 tonnes de la statue qui culmine à 93 mètres, ce qui en fait la plus grande statue en cuivre au monde. C’est un chef-d’œuvre architectural à la gloire de la liberté, devenu l’emblème de la mairie de New York.
Pourtant, la Statue de la Liberté a été pensée, conçue et fabriquée à Paris. Tout commence en 1865 en France, à une époque troublée sous le Second Empire de Napoléon III. Bien que ce régime soit impérial et autoritaire, l’Empereur veut moderniser son pays. En quête de liberté, des intellectuels dont Édouard René Lefebvre De La Boulaye, fondateur du Parti libéral français, souhaitent importer la liberté américaine en France et ont l’idée de créer un monument pour célébrer le centenaire de l’indépendance américaine. Ils recrutent le jeune sculpteur Auguste Bartholdi, déjà connu pour ses œuvres monumentales, pour réaliser leur projet ambitieux. Bartholdi décide de construire la plus haute statue du monde, inspiré par la statuaire monumentale antique qui se voit le plus et qui dure le plus longtemps, pour porter un message évident : la grandeur et la puissance de la liberté.
Fort de sa volonté de transformer Paris en modèle pour le reste de l’Europe, Napoléon III encourage le progrès, gagnant ainsi en popularité auprès des Français. Cependant, une timide opposition se développe, menée par des intellectuels en quête de liberté, tels qu’Édouard René Lefebvre De La Boulaye, fondateur du Parti libéral français. Pour La Boulaye, les États-Unis étaient exemplaires en raison de leur solution politique sans roi, coup d’état permanent, ni révolution. Il avait donc une double obsession : importer la liberté américaine en France et établir des relations étroites avec cette démocratie exemplaire.
Sa solution pour y parvenir était originale : offrir un monument aux États-Unis pour célébrer leur centenaire d’indépendance, qui aurait lieu le 4 juillet 1876. Il s’agirait d’un monument aux dimensions impressionnantes qui marquerait tous les esprits.
Bartholdi est déjà un artiste très connu, ayant commencé sa carrière très jeune. Il a à son actif plusieurs grands monuments dans des villes de province et est profondément marqué par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il se considère comme un citoyen du monde.
Cependant, les deux hommes vont devoir attendre cinq ans, jusqu’à la chute du Second Empire en 1870, pour mettre leur plan à exécution. En accord avec La Boulaye, Bartholdi décide de prendre le projet à bras le corps.
Première question à résoudre pour le sculpteur : quelle forme donner à ce symbole ?
Dès le début, Bartholdi a su qu’il voulait créer la plus haute statue du monde. Il avait été très fortement impressionné par la statuaire monumentale antique, car elle est immense et se voit de loin, et elle dure le plus longtemps. Pour porter un message aussi puissant que celui de la liberté, Bartholdi a réalisé que seul un colosse majestueux pourrait être à la hauteur.
Quant aux personnages représentés, le sculpteur avait une idée qui le hantait depuis quelques temps. Il s’était déjà penché sur un projet similaire lors de la construction du canal de Suez en 1867. À cette occasion, Bartholdi avait proposé une statue monumentale qui avait les traits d’une femme égyptienne portant un fanal pour éclairer l’entrée du port. Cette statue devait également servir symboliquement de point d’entrée au Canada.
Bartholdi avait présenté ses maquettes au vice-roi d’Égypte, mais son projet n’a pas été retenu. Cependant, quelques années plus tard, il trouve peut-être l’inspiration pour sa statue monumentale en Amérique. Bien qu’il n’ait jamais admis de son vivant que son projet initial avait été pour le canal de Suez, les similitudes entre les deux projets sont frappantes. Dans les deux cas, on retrouve une femme dans un drapé élégant brandissant une torche. En juin 1871, Bartholdi se rend pour la première fois aux États-Unis pour trouver l’emplacement idéal pour sa statue qui devra être la plus haute du monde. À peine arrivé à New York, il repère l’île de Bédelo, où se trouve un fortin militaire, et comprend que c’est là que doit s’ériger son monument. Sur l’île de Bédelo, le colosse serait visible depuis la ville et le port, offrant une vision du nouveau monde et des deux mondes.
Cependant, Bartholdi doit informer les Américains de ses intentions et trouver des fonds privés pour financer sa construction. Il ne parlait pas un mot d’anglais, ne connaissait personne et son projet était si démesuré que pour le lancer, il doit réunir une somme faramineuse. Le but de son voyage était donc de trouver des fonds privés pour financer la statue, qui devait être financée par les peuples plutôt que par les gouvernements. Les Français devaient financer la statue, tandis que les Américains devaient financer le piédestal, dans un projet démocratique qui devait recevoir l’adhésion du peuple. Malgré tout, beaucoup d’Américains ne comprenaient pas la proposition et se demandaient pourquoi les Français voulaient offrir un cadeau si bizarre pour le centenaire de l’indépendance.
Les Américains étaient réticents à investir de l’argent dans le projet et il y avait d’autres problèmes à régler. L’île de Bedloe, qui devait accueillir le monument, était une base militaire, donc l’approbation des autorités américaines était nécessaire. Bartholdi a décidé seul de l’emplacement de la statue, malgré les doutes des Américains sur sa santé mentale. Cela montre son audace, car il n’a pas hésité à s’impliquer dans les affaires militaires américaines pour installer sa statue au bon endroit. Pour le moment, Bartholdi n’a ni l’argent ni l’emplacement pour sa future statue.
Au retour en France, le sculpteur et Édouard de la Boulay ont continué à chercher des fonds par tous les moyens possibles. En 1875, ils ont réussi à rassembler 20% du financement nécessaire, ce qui était suffisant pour commencer les travaux, mais pas beaucoup plus. Bartholdi s’est lancé dans ce projet sans avoir l’assurance au départ qu’il serait en mesure de le terminer.
Les travaux ont commencé dans les ateliers Gaget, Gauthier, dans le 17ème arrondissement de Paris. Une course contre la montre a été engagée, car il ne restait qu’un an avant la commémoration du centenaire de l’indépendance des États-Unis. Les ambitions du sculpteur étaient démesurées, car il voulait construire une statue de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Cependant, construire un tel colosse en un seul bloc était impossible. Bartholdi a donc dû innover dans la construction. La statue de la Liberté a été une innovation très complexe. Il a fallu procéder par étapes, en commençant par un premier modèle en plâtre, suivi d’un deuxième modèle intermédiaire (comme celui qui est derrière moi et qui se trouve au Musée national des arts et métiers), puis un modèle encore plus grand en plâtre.
Ce dernier modèle mesurait 22 mètres de hauteur, mais Bartholdi voulait construire encore plus haut. Cependant, il n’était pas possible de construire un modèle à l’échelle réelle, car cela aurait été trop grand et trop inutile. Au lieu de cela, le modèle en plâtre a été utilisé directement pour la fabrication des fragments de la statue. Ces fragments ont été construits sur des châssis en bois.
Le sculpteur a découpé son modèle en plâtre en plusieurs tronçons et relevé des milliers de points avec des compas, des fils à plomb et des règles pour obtenir un volume virtuel en trois dimensions. Au total, il a effectué environ 9000 mesures pour réaliser son exploit : une statue gigantesque. Bartholdi doit maintenant agrandir chaque tronçon pour reconstituer le volume définitif de chaque section. La statue s’élèvera à 46 mètres de haut, ce qui en fait une première mondiale.
La plus grande difficulté pour Bartholdi était de juger à l’œil nu l’apparence finale de la statue alors qu’elle n’était que réalisée par morceaux dans les ateliers. Le chantier poursuit son cours pour réaliser chaque fragment grandeur nature, mais les difficultés techniques sont loin d’être terminées. La statue doit être construite en France et érigée de l’autre côté de l’Atlantique sur une île exposée à des tempêtes de vent pouvant atteindre 200 km/h.
Quels matériaux utiliser pour résister à de telles conditions et pour que ce colosse soit facilement transportable ?
Traditionnellement, une statue en bronze d’une personne ou d’un cheval aurait une certaine épaisseur de quelques centimètres, mais pour une statue aussi grande que la Statue de la Liberté, le poids de la structure était beaucoup trop important et compliqué. La seule solution restante était une peau de cuivre fine d’un millimètre et demi, qu’on pouvait façonner pour donner la forme définitive. Le paradoxe de la Statue de la Liberté est qu’elle est gigantesque, mais construite à partir de matériaux très légers.
Le cuivre n’est pas seulement léger, mais il est également extrêmement résistant et souple, permettant à la statue de résister aux vents violents et aux ouragans. Cependant, la conception des moules pour façonner les tôles de cuivre reste à réaliser.
La première étape de la construction de la statue consiste à construire des structures en bois gigantesques qui reproduisent les courbes de la statue. Ces squelettes sont ensuite recouverts d’une couche de plâtre pour révéler chaque détail de la dame.
Dans la dernière étape, les formes en plâtre sont utilisées pour créer les moules qui serviront au martelage du cuivre. Ces grands moules représentent les différentes parties de la statue, et les tôles de cuivre sont chauffées pour être assouplies. Les marteaux contrôlent les moules pour leur donner la forme souhaitée, comme celle d’une partie de la robe. Il faut modeler 350 tôles pour l’intégralité de la statue, ce qui signifie autant de pièces à transporter en Amérique.
Dès 1875, les ferronniers et les menuisiers travaillent d’arrache-pied dans l’atelier pour avancer le chantier le plus rapidement possible. Cependant, le 4 juillet 1876, date du centenaire de l’indépendance des États-Unis, approche rapidement, et les caisses se vident rapidement.
Si vous aviez vécu en 1876 et que vous étiez un ami de Bartholdi, vous auriez certainement pensé qu’il ne réussirait jamais à réaliser son projet. L’ingénierie était en effet extrêmement complexe et Bartholdi lui-même doutait de pouvoir achever sa statue. Lorsque la fabrication de la Statue de la Liberté a commencé à Paris en 1875, il était évident qu’elle ne serait pas terminée à temps pour le centenaire des États-Unis en 1876. Par conséquent, la priorité absolue était de produire au moins la pièce la plus significative : la flamme de la torche. Cette pièce pourrait être présentée à l’Exposition universelle de Philadelphie en 1876.
L’Exposition universelle de Philadelphie était un événement majeur pour les Américains, car les États-Unis célébraient leur 100ème anniversaire. Les expositions universelles, dont la première a été présentée à Londres en 1851, étaient des occasions pour les nations de rivaliser sur le plan économique et industriel. C’était aussi l’opportunité de voir ce qui se faisait ailleurs, comment c’était fait et d’essayer d’être à la pointe de la technologie. Bartholdi savait qu’il n’avait pas droit à l’erreur. L’Exposition de Philadelphie de 1876 était sa seule chance de pouvoir un jour achever son colosse.
Le projet philosophique de Bartholdi n’a pas réussi à convaincre l’Amérique, mais son défi technologique a finalement remporté l’adhésion du public. La sculpture gigantesque, avec sa main de 12 mètres de haut, a finalement été exposée à Philadelphie avec deux mois de retard. L’exposition était loin d’être terminée, mais la statue a immédiatement suscité l’enthousiasme et est devenue l’attraction incontournable de l’événement. Tout le monde voulait la voir et les journalistes ont été conquis. Il était possible de monter à l’intérieur et au sommet de la torche, moyennant un ticket d’entrée, ce qui a permis de renflouer les caisses et de redonner un nouvel élan au projet. Bartholdi est alors devenu un génie du marketing et s’est appuyé sur une autre révolution technologique de l’époque, la photographie. Il a fait photographier toutes les étapes de la construction de la statue au sein des ateliers Gaget-Gauthier à Paris. Ces images ont été vendues et relayées par la presse pour donner une visibilité internationale à son projet.
L’exposition universelle a accueilli un total de 10 millions de visiteurs, soit 20% de la population des États-Unis. Grâce à ce succès et aux nombreuses photos vendues, Bartholdi a engrangé un bon pactole et surtout, il a obtenu le César dont il rêvait depuis déjà 6 ans. En 1877, le Congrès américain a voté une loi qui a officialisé la cession de l’île de Bédelo.
Lady liberty, histoire d’un colosse – Statue de la Liberté
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