Cette contribution répond à une commande, destinée à combler une lacune dans l’analyse des matériaux mis en œuvre dans la maison urbaine méridionale au Moyen Âge. Le thème proposé est vaste, à multiples facettes, et, finalement, peu abordé dans la bibliographie. Pour approcher un véritable bilan, en termes de connaissances, il aurait fallu pouvoir consulter toutes les études archéologiques et les travaux universitaires inédits, tâche impossible si l’on veut couvrir tout le Midi de la France. En se limitant à la bibliographie existante, il apparaît très rapidement que l’information est souvent mince et très dispersée. Il m’a donc semblé intéressant de dresser, au préalable, un bilan critique du matériau disponible pour aborder ce sujet, d’observer comment il a été traité dans les monographies ou les ouvrages de synthèse, afin de dégager les questions posées par cet aspect de la construction. Il sera ensuite possible de tenter une synthèse des données recueillies sur ce matériau et sa mise en œuvre, sans toutefois prétendre épuiser un sujet qui nécessiterait des années de labeur.
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Définitions et limites
Il convient, au préalable, de donner quelques définitions, utiles pour cerner le thème d’étude et en préciser les limites retenues. Le mot pierre désigne un « corps dur et solide, de la nature des roches, qu’on emploie, entre autres, pour bâtir » (1). Cette définition désigne un matériau naturel, qui peut être extrait d’une carrière ou issu d’un ramassage, comme les cailloux et les galets, mais n’évoque pas son traitement ultérieur (2). Le terme désigne surtout, dans la construction de maisons, des calcaires et des grès (moellons et pierres de taille), mais aussi des granites, des schistes, du tuf, des roches volcaniques. Notons d’emblée que le galet est mal repéré dans l’architecture médiévale, et apparaît fort peu dans les publications. S’il ne semble guère nécessaire de définir le Midi de la France en tant que zone d’étude, il convient de souligner que la recherche y est d’intensité inégale et que, d’évidence, certaines zones géographiques sont mieux représentées (3). On se permettra, en outre, de s’en écarter un peu, parfois, à titre de comparaison.
Par demeure, on entend une maison urbaine par son contexte, ou à caractère urbain, c’est-à-dire présentant un certain nombre de caractères jugés communs avec la maison urbaine. Dès lors, on se retrouve immédiatement confronté à l’éternelle question des seuils entre village, bourg et ville, seuil d’autant plus difficile à saisir au Moyen Âge, et qu’accentue la propension marquée des agglomérations méridionales, même de faible ampleur, à adopter les modalités de la vue urbaine (4). La bibliographie est éloquente à ce sujet. Ainsi, les maisons des castra (Rougiers, Durfort, Calberte, etc.) pourraient être, et sont plutôt considérées comme des maisons villageoises, alors qu’on en ignore souvent l’élévation, qu’on est conduit à leur donner la maison de ville comme modèle et qu’on est surpris de rencontrer des demeures « à caractère urbain » dans des castra parfois assez modestes, comme Mouret ou Le Minier, deux sites rouergats. En 1993, Jean-Marie Pesez se demandait si la maison villageoise se distinguait aisément de la maison urbaine dans l’aire méditerranéenne: densité du bâti, densification à l’intérieur de limites, construction en hauteur (étage) (5). On notera la distinction, dans Cent maisons médiévales (6), entre La construction en pierre, contribution de Philippe Bernardi, et La construction rustique en pierre, contribution de Jean-Marie Pesez. Un site comme Calberte (Lozère) figure aussi bien dans la thématique de la maison villageoise dans le volume de Castrum 6 que dans celle de La maison rurale en pays d’habitat dispersé, colloque qui s’est tenu à Rennes en 2002 (7). Dans ce même colloque, un article de synthèse inclut également des maisons de sites castraux (8). L’interprétation de l’iconographie elle-même n’est pas exempte d’ambiguïté comme en témoignent les contributions de P. Mane. En effet, la distinction semble se faire, plutôt, entre la maison rurale isolée (« la ferme ») et la maison en milieu aggloméré: les fermes sont souvent figurées en pans de bois et couvertes de chaume, alors que la pierre liée au mortier est plutôt réservée aux maisons villageoises et urbaines (9). Une fois ce constat fait, il m’a semblé que, dans le cas précis des castra, la frontière entre maison villageoise et maison urbaine était ténue, et qu’éliminer complètement les bourgs castraux de l’étude risquait de la priver d’exemples fort utiles et d’informations précises. En revanche, je laisserai de côté les maisons rurales, isolées ou en hameaux. Quant aux bornes chronologiques, ce sont celles de la maison de pierre médiévale telle qu’elle apparaît dans les publications: c’est essentiellement la demeure des XIe -XVe siècles (10).
Ce bilan part d’une bibliographie assez large, même si elle est loin d’être exhaustive, et qui s’est appuyée sur celle mise en ligne par le Groupe de travail sur la maison au Moyen Âge de la Société Archéologique du Midi de la France (11). J’ai pris le parti de limiter l’investigation aux publications, en privilégiant les synthèses régionales et les monographies de sites, voire d’édifices. La plupart de ces études émanent d’actes de colloques, des Congrès Archéologiques de France tenus dans le Midi, de revues à caractère régional ou interrégional (12), des publications de l’Inventaire Général, comme celles sur Viviers, Montpellier, Caylus et Saint-Antonin, et, bien sûr, des bilans d’Yves Esquieu dans le Bulletin monumental (13) et dans Cent maisons médiévales (14). Bien entendu, les limites des publications sont, pour une part, celles de la recherche, mais il faut également garder à l’esprit que tout n’est pas publié, notamment en matière d’archéologie du bâti et de fouille, ou de travaux universitaires (15). D’un point de vue chronologique, j’ai fait le choix de dresser ce bilan sur un quart de siècle environ, choix qui permet d’englober assez largement le renouveau des recherches en la matière, 1980 marquant la date de parution de l’ouvrage de Jean Chapelot et Robert Fossier sur Le village et la maison au Moyen Âge, et 1981, la publication des fouilles de Rougiers (16) et du catalogue d’exposition Aujourd’hui le Moyen Âge.
De l’intérêt porté à la pierre dans la construction des maisons
La place qu’occupe la pierre dans les publications est variable et reflète, pour partie, sa place dans la recherche et dans l’évolution de cette dernière. Parmi les raisons de cette variabilité, on peut proposer des origines et des formations différentes selon les auteurs, les conditions et les angles d’étude, l’évolution de l’intérêt dans le temps. Les publications reflètent inégalement les sources d’informations sur la pierre : les textes et l’iconographie y sont peu présents (sauf Bernardi 1995 et 1998, et Mane 1992 et 1998), et, en matière de sources archéologiques, les études monumentales paraissent plus nombreuses que les fouilles. Enfin, notons qu’il eut été beaucoup plus facile de dresser un bilan de l’usage de la pierre dans la construction des églises, voire des fortifications, domaines où l’intérêt suscité par la pierre est beaucoup plus ancien et plus développé. La bibliographie comporte un grand nombre d’études de la pierre, mais qui sont très générales, et ne concernent pas forcément, et même rarement, la maison.
Une première catégorie de publications regroupe les études sur la construction, ouvrages et articles sur les matériaux et les carrières, sur le chantier de construction au Moyen Âge. Elle s’inscrit dans le sillage d’un intérêt pour ces questions qui apparaît dès le XIXe siècle, prolongées, dans la 2e moitié du XXe siècle par les études de Pierre du Colombier, Jean Gimpel, Marcel Aubert et Dieter Kimpel (17). À partir des années 1970, on s’intéresse surtout aux carrières, d’abord chez les historiens, notamment à partir des sources ecclésiastiques. L’élan est donné dans les années 1980 avec Jean-Claude Bessac, Claude et Jacqueline Lorenz, en particulier avec la série des congrès sur les Carrières et constructions qui livrent des études émanant, souvent, de spécialistes et sur une région donnée. Lorsque l’étude a été conduite par un géologue, ou qu’elle est centrée sur le matériau, elle traite largement de son origine (carrières, importation), de ses aptitudes (se prête bien à la taille, ne peut être utilisé que brut), de ses usages (encadrements de baies, ou éléments de décor), mais le plus souvent sans exemple précis ou avec la seule mention du nom d’un site, sans datation précise. Quand ces précisions existent, voire quand on a dressé un inventaire des matériaux dans les édifices en liaison avec la géologie du sous-sol, on s’appuie sur les églises, secondairement les châteaux, rarement l’habitat civil, sauf s’il s’agit d’un édifice protégé au titre des Monuments historiques. Il en est ainsi des deux contributions établissant des rapprochements entre géologie et art roman puis art gothique dans les Pyrénées- Atlantiques (18). Dans un article sur « Monuments et géologie en Agenais », Michel Philippe Mouline expose la localisation et la caractérisation des « calcaires de l’Agenais », leur usage dans les églises, les châteaux et le mobilier religieux. Il note qu’ils sont utilisés sous forme de petits moellons hétérométriques en lits liés au mortier régulièrement réglés par un lit de briques plates « dans les maisons plus ordinaires », sans précision de date, ce qui restreint la portée de l’information (19). Souvent abordés pour une période historique donnée, les matériaux de construction sont parfois étudiés sur la longue durée, comme à Figeac (20). Enfin, il est possible de trouver des informations d’ordre géologique dans les monographies de sites, généralement de constructions religieuses ou castrales, voire les résidences princières, aristocratiques et patriciennes. Ceci s’explique par une documentation, notamment écrite, plus abondante, en liaison avec l’importance de l’édifice et de son commanditaire, par un meilleur état de conservation et un intérêt plus soutenu. L’étude des « monuments » bénéficie davantage de l’essor de l’archéologie du bâti, du suivi plus systématique et plus approfondi des projets de restauration, et du recours plus fréquent aux analyses archéométriques. La pierre dans la construction est un thème également abordé dans des ouvrages techniques (21), ou dans des ouvrages sur la maison médiévale (22). À ce titre, la contribution d’Y. Esquieu sur La pierre de ramassage dans la construction médiévale: l’exemple du basalte en Bas-Vivarais (23) est exceptionnelle, probablement du fait des compétences de son auteur, à la fois archéologue et historien de l’art.
Dans beaucoup de monographies de maisons, le matériau est cité de manière générique : « pierre », ou « calcaire », éventuellement assorti de l’adjectif « local », sans qu’il y ait toujours d’informations précises sur de possibles lieux d’extraction. Quelques indications rapides sont données sur la mise en œuvre : moellons équarris, pierre de taille, appareil assisé, réglé ou régulier. Parfois même, il est spécifié que les différences de mise en œuvre permettent de distinguer des phases de construction, mais sans les décrire précisément.
Dans les études monumentales, la partie consacrée au matériau et aux techniques vient soit au début, comme un préalable, soit après l’exposé des programmes architecturaux et la typologie des ouvertures. Ce sont, d’ailleurs, le programme architectural, la typologie des ouvertures, l’organisation et le décor des façades qui retiennent le plus l’attention des auteurs. Toutefois, on note une évolution, probablement sous l’influence de l’archéologie, notamment des élévations, marquée par un intérêt grandissant porté aux aspects techniques (matériau, mise en forme et mise en œuvre). Les études de synthèses à l’échelle d’un site ou d’un canton consacrent généralement un chapitre ou une partie bien distincte au matériau et aux techniques de construction (24). Ainsi, le volume sur Montpellier livre un développement sur la maçonnerie, l’origine du matériau, et les techniques de construction du mur (25). La synthèse sur La maison du castrum de la bordure méridionale du Massif central consacre un chapitre aux matériaux, détaillant les techniques de construction, fondations, appareils, mises en œuvre, avec tableaux sur les modules et les liants pour chaque site (26). Cet exemple témoigne de différences sensibles selon les acteurs des études menées sur ces édifices civils: les informations techniques, ressortant de l’archéométrie notamment, sont souvent plus abondantes et plus précises dans les études menées par des archéologues rompus à la recherche en sédimentaire, comme celle sur les villages désertés, que dans les contributions des historiens de l’art et archéologues du bâti travaillant sur des maisons encore en élévation. Quant aux illustrations, révélatrices de l’intérêt et du regard porté par le chercheur, leur nombre et leur portée peuvent aussi être conditionnés par les contraintes de l’édition. Outre des vues générales de l’édifice, le plus souvent la façade sur rue, les détails concernent généralement la typologie des baies, les sculptures, les relevés de façade. On rencontre très rarement des détails d’appareils, ou de traces d’outils, quasiment jamais de typologie d’appareil, sauf dans La maison du castrum de la bordure méridionale du Massif central qui présente des photographies de détails d’appareils et des relevés pierre à pierre (27), ou dans Cent maisons médiévales pour une maison du XIIIe -XIVe siècle à Draguignan (Var) (28).
Des questions qui jalonnent l’usage de la pierre dans la construction des maisons médiévales du Midi
Depuis son origine, sa provenance, jusqu’à sa mise en œuvre, on ne pourra qu’esquisser une grille d’enquête et l’amorce de pistes de réflexion sur la place et le rôle de la pierre dans la construction de la demeure médiévale du Midi de la France du XIe au XVe siècle. Fait bien connu, les sources écrites augmentent en nombre et en variété au fil du Moyen Âge, mais ce sont certainement les registres de notaires qui livrent le plus d’informations sur le sujet. En Provence, par exemple, les documents sont inexistants avant le XIVe siècle, et datent surtout des XVe et XVIe siècles. Ils renseignent sur l’approvisionnement, les carrières, le transport et le commerce de la pierre, éventuellement sur la qualité du matériau, le vocabulaire, et les coûts, car, un des intérêts majeurs de ce type de source réside dans les informations de type économique (29). Un document comme le prix-fait reste relativement laconique sur la question des matériaux : il peut en préciser la nature, voire l’origine pour s’assurer d’une qualité de pierre ou de la composition des liants. À Montpellier, on précise que la pierre de Pignan servira au gros-œuvre, et que la pierre de Saint- Geniès, plus fine, sera réservée aux parties ouvragées et aux encadrements de baies.
Quant aux sources iconographiques, point n’est besoin de rappeler les difficultés que pose leur interprétation, en particulier la part de la création, celle des conventions et des modes, et, dans notre cas, la nécessité qu’il y aurait à disposer d’un corpus d’images d’origine méridionale, du moins concernant le Midi de la France, corpus qui est loin d’être constitué. Outre les articles de P. Mane, il convient de citer la contribution de J.-C. Bessac sur l’apport de l’iconographie à la connaissance des outils et des techniques du travail de la pierre, même si celui-ci ne porte pas spécifiquement sur l’architecture domestique méridionale (30).
Origines de la pierre
Le recours à la pierre est lié avant tout aux contraintes locales (présence ou non de pierre, voire de matériau « prêt à l’emploi » comme celui extrait de ruines antiques, ou issu d’affleurements ou de ramassage), au rapport distance/coût, aux moyens du commanditaire. L’origine de la pierre à bâtir est généralement locale ou supposée telle. Dans tous les prix-faits, une part importante est réservée à la réutilisation de matériaux de démolition, d’où la disparition totale de certains édifices (31). Les informations sur les carrières sont fournies par la documentation écrite et l’enquête géologique. Mais, l’identification des carrières n’est pas toujours aisée. Il est possible de partir des documents administratifs contemporains issus du Service des Mines ou de celui des Monuments Historiques dans le cadre des restaurations, de fonds municipaux pour les travaux aux édifices communaux, ou encore d’actes privés dans les registres notariaux d’époques médiévale et moderne (32). Bien que très tardif (1757) et concernant la reconstruction du perron d’un château, celui de Castetpugon (Pyrénées-Atlantiques), le contrat, par lequel le seigneur fournit des ouvriers pour tirer la terre et « découvrir » la « pierrière », nous montre qu’on ouvrait facilement une carrière et qu’il est souvent vain de vouloir situer précisément les lieux d’extraction (33). Dans le canton de Viviers, les matériaux utilisés pour le gros-œuvre, calcaire et basalte, reflètent, dans l’ensemble, la carte lithologique du canton. Les moellons de calcaire composant le petit appareil des édifices publics et privés proviennent de l’épierrement des champs et des carrières locales. Les habitants de la ville et du mandement de Viviers s’approvisionnaient dans les carrières du Détroit appartenant, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, à l’évêque.
En Aquitaine, les propriétaires, vendeurs, bailleurs ou donateurs de carrières sont presque tous des laïcs appartenant à l’aristocratie, mais la population rurale semble avoir eu, assez souvent, le droit d’usage des ressources du sous-sol (34). La volonté d’imposer des délais de construction courts a incité les fondateurs de bastides périgourdines, comme Montpazier et Domme, à mettre les sources de matériaux à la disposition des colons (35). L’extraction se fait souvent dans la parcelle même, ou à proximité immédiate (maisons castrales). Pour les constructions urbaines en Aquitaine, on a rarement cherché les matériaux au-delà de la zone d’activité économique des habitants (36).
L’approvisionnement, quand il peut être évalué par les sources ou par l’enquête de terrain, se fait dans un rayon assez faible, de l’ordre de 10 à 15 km dans le cas de Montpellier. Les gisements de calcaire molassique du miocène cités au Moyen Âge sont ceux de Pignan et de Saint-Géniès. Mais le rayon peut s’agrandir très nettement pour une roche de qualité supérieure ou pour un usage spécifique. Une étude fine des matériaux et de leurs usages montre des choix dictés par les aptitudes techniques (à la taille, à la sculpture), selon la dureté et le grain, et par les qualités esthétiques (couleur, grain, etc). Par exemple, Figeac est entouré de carrières de grès et de calcaire, mais c’est le grès (Lias surtout) qui est préféré au Moyen Âge, car, résistant et fin, il se prête facilement à la taille et au décor. C’est ce grès qui est expédié à Cahors pour les moulures et les sculptures. Sont connues les carrières de San Salvadou, de Faycelles, et de la Vinadie (La Madeleine). Celle de Saint-Sauveur, exploitée pour l’abbatiale, sans doute dès le XIIe siècle, est citée dans plusieurs actes du XVe siècle comme « carrière baillée par les consuls » ; mais un prix-fait pour réparations, en 1438, prévoit la fourniture par les consuls de pierre extraite de « la carrière » qui, bien connue, n’a pas besoin d’être citée (37). Pour les remparts de la ville et le blocage, on a eu recours à un grès plus grossier. Au XIVe siècle, les grès fins semblent se raréfier, devenir chers ou être réservés à l’exportation, et ils sont remplacés par des grès plus grossiers pour toute la façade tandis que les grès de qualité sont réservés aux fenêtres et aux décors, ou que l’on va chercher les grès flammés de La Madeleine, gisement assez éloigné (38). Dès le milieu du XVe siècle, la pierre de taille est concurrencée par une maçonnerie de moellons à peine équarris et crépis. Plus largement en Figeacois, dans la zone calcaire, les chaînes d’angle et les encadrements de baies sont souvent taillés dans du grès, comme dans le bourg de Comburat. En zone de grès, comme dans les bourgs de Fons et de Cardaillac, les habitations les plus modestes ont un rez-de-chaussée en grès et un étage en pans de bois, les maisons les plus cossues sont en totalité en grès, moellons ou pierres de taille (39). À Cahors, on a recours à un calcaire froid, « celui des coteaux qui entourent la ville ». Cette « pierre de Cahors » sert à la construction des arches du pont Neuf en 1287, extraite de la carrière du consulat, sise au pied du Mont Saint-Cirq, et dans celle de Joan Vota. Ce calcaire très dur se prêtant mal à la taille au ciseau, il est utilisé en moellons équarris ou en pierre de taille. Les éléments sculptés ou moulurés (éléments de décor des fenêtres, cheminées, cordons et nervures) sont exécutés en grès de Figeac, qui sert également au scellement de pièces métalliques (gonds et gâches, crochets de façade). On note seulement deux exemples de façades entièrement en grès, de la 2e moitié du XIIIe et du début du XIVe siècle (40). Dans le canton de Viviers, le recours au calcaire et au basalte, seul ou ensemble, en appareil mixte, a des incidences sur la dominante chromatique du bâti. En Auvergne, les maisons « gothiques » « à façade lisse », présentes dès les années 1200 à Aurillac ou Clermont, sont construites en moyen appareil régulier et soignées dans leur décor. Très peu d’édifices utilisent l’arkose jaune, remplacée par les laves, tufs, et andésites, ou exceptionnellement des grès roses. Trait particulier de l’architecture civile auvergnate, elle néglige les effets de polychromie dus au mélange des matériaux que recherche l’architecture religieuse d’Auvergne ou l’architecture civile du Velay (41).
Le travail de la pierre et sa mise en œuvre
Ce matériau va du « tout venant » – galet, caillou, bloc – au moellon et à la pierre de taille. Que construit-on en pierre dans une maison ? Les murs (façades ou refends, cloisons), les piliers et les arcs, les baies, les voûtes, le décor, mais aussi des éléments que je n’aborderai pas, faute d’informations techniques publiées: les escaliers, les pavements et dallages, éventuellement la toiture (lause).
Les textes livrent tout un vocabulaire spécifique, parfois de manière très détaillée comme cet acte de 1491, à Aix, qui cite douze types de pierre (42). Il est, alors, possible d’établir un glossaire, comme celui dressé pour Montpellier qui livre les termes techniques de carette, jansen ou cadasca, cairon (43). Le Groupe de travail sur la Maison au Moyen Âge a entrepris d’élaborer un glossaire en ligne (44) dont le volet concernant le Béarn, dressé par F. Galès, livre des termes de construction et des désignations de pierre telles que arrabot, darrebot (galet), peyre resieyre (moellon), peyre de talhe (pierre de taille), cornere (pierre d’angle) (45). Avant de livrer les observations les plus courantes sur la mise en œuvre, il faut signaler quelques problèmes de vocabulaire, qui ne sont pas propres à l’architecture civile mais qui mériteraient un effort d’homogénéisation.
Actuellement, les descriptions d’appareils ont recours aux deux termes de moellon et pierre de taille, sans que l’on soit toujours certain que les définitions sont les mêmes pour tous. En effet, elles se fondent sur deux critères qui ne se recoupent pas forcément: les dimensions et le degré de finition (46). Il en va de même pour les qualificatifs de réglé ou de régulier. Si l’on suit à la lettre les définitions du « Vocabulaire de l’architecture » de l’Inventaire, la pierre de taille et l’appareil régulier (47) sont plutôt rares au Moyen Âge.
Les publications livrent très rarement des données quantitatives telles que « hauteur moyenne d’assise » ou « nombre d’assises par mètre de hauteur », dimensions des modules, épaisseur des joints. Le plus souvent, l’appareil est qualifié de grand ou de moyen mais sans aucune précision métrique, sauf dans le cas de données issues de l’archéologie sédimentaire. Ainsi, la maison romane, dite « pavillon d’Adélaïde », à Burlats (Tarn), est décrite avec des murs en « moellons de calcaire peu réguliers d’assez faibles dimensions et de forme allongée, avec des angles en moyen appareil de grès » (48). Très peu d’observations sur le montage des murs sont susceptibles d’indiquer si le plan de pose est aléatoire ou préétabli, en fonction des modules et des rapports entre éléments de parement, chaînes d’angle et baies. Or, ces observations peuvent livrer des indices sur la préfabrication et la standardisation des pierres ou des éléments tels que les baies, sur les indices d’une taille à la demande, et donc sur le fonctionnement du chantier même. Il ne semble pas, d’ailleurs, qu’on dispose de textes ou de données archéologiques sur le lieu de façonnage de la pierre, en carrière (économie de transport, standardisation possible), et/ou sur le chantier (plus grande souplesse). L’iconographie tendrait à laisser penser que les deux solutions furent en usage (49).
Les chercheurs livrent parfois des appréciations sur la maîtrise de la stéréotomie, le soin dans la mise en œuvre, mais donnent très rarement des informations sur les traces de taille (50). À propos de l’architecture civile romane dans le Gard, P. Garrigou Grandchamp note un très haut niveau d’exécution, avec une taille layée qui règne sur les façades sur rue (51). En revanche, il ne relève aucune uniformité dans les appareils des édifices « seigneuriaux » qui ont eu recours autant à des moellons ou des éléments de gros modules assez grossiers, qu’à de la pierre de taille layée ou des bossages (52). Dans le Var, les maçonneries sont en moellons équarris, liés au mortier de chaux, ou à la terre mêlée de chaux, dans les maisons fouillées sur les pentes orientales de la ville haute de Hyères, datées entre le milieu du XIIe et le milieu du XIIIe siècle. La maîtrise de la stéréotomie par les maçons varois est surtout révélée par l’assemblage de certains arcs, parfois original, avec extrados en escalier, ou aux longs claveaux minces soulignés par une archivolte, comme en Catalogne. Dans les plus belles maisons, le soin s’étend au parement avec des appareils moyens, de réglés à réguliers, aux pierres de taille montées à joints fins, sporadiquement animées d’un bossage comme dans la demeure ecclésiastique dite Capitou, de la fin du XIIIe siècle, à Fréjus (53), bossage qu’on retrouve sur une belle demeure de Poussan (Hérault) (fig. 1). Dans l’habitat « seigneurial » du Gard, les bossages peuvent s’étendre à tout le parement, être réservés aux angles ou parsemer des parements en pierre layées (Sabran) (54). À l’inverse, dans l’habitat civil médiéval de Puylaroque (Tarn-et-Garonne), « la stéréotomie montre parfois des faiblesses, notamment dans les arcades » (55). A. Marin relève l’usage omniprésent de la pierre et la qualité de sa mise en œuvre dans les maisons de Tournon-d’Agenais, avec l’intervention du tailleur de pierre pour les encadrements de baies et d’aménagements domes- tiques (56). On relèvera le cas particulier de Montpellier où les parements sont montés dans un petit appareil alterné. Si caractéristique qu’il a été dénommé « appareil de Montpellier » (dit « carettes et jasens » dans les textes), il est décrit et analysé (57) et relevé comme absent des édifices non autochtones (58) (fig. 2). L’articulation entre les pierres de parement, la chaîne d’angle et le décor est remarquable sur la façade de la Maison dite des Loups à Caylus (fig. 3). Les traces de taille et d’outils, rarement signalées et rarement illustrées (59), relèvent d’observations récentes et inédites, comme à Mouret (traces de broche et de taillant droit, fig. 4), à Martel (taille bretturée, fig. 5) et à Figeac (taille layée, fig. 6 et 7), ou à Lagrasse (Aude), sur les arcades d’une façade du XIVe siècle, rue de l’église, qui ont conservé de très belles traces de taille bretturée, oblique et croisée (fig. 8). À titre de compa- raison, J.-D. Salvèque mentionne des pierres de taille layées pour les claires-voies ou les fenêtres géminées des maisons de Cluny. Il livre des exemples de tailles piquée, layée et bretturée tout en indiquant que la bretture se substitue à la laie aux XIIIe -XIVe siècles (60).
Pour revenir au Midi, dans quelques rares cas, taille de la pierre et sculpture sont associées sur une même pierre d’appareil. Ainsi, dans la partie supérieure de la Maison dite des Loups à Caylus, ce sont les pierres mêmes de l’appareil de revêtement qui sont sculptées, selon un procédé qui rappelle la Maison dite du Grand Veneur à Cordes (61) (fig. 3).
Des usages et des traitements de la pierre
Différences de roches ou de mise en œuvre dans une même construction
Au degré de façonnage de la pierre sont attachés un certain nombre de paramètres techniques, économiques et esthétiques. Plus le matériau est retouché, plus il est onéreux, mais plus il est apte à donner un bel appareil, soigné. La pierre de taille bien calibrée donne une plus grande régularité à l’appareil et diminue l’épaisseur des joints à l’inverse du galet ou du moellon éclaté ou même équarri. La pierre de taille coûtant cher, elle est souvent combinée avec le moellon. À Aix, le parement est en pierre de taille simple (façade) ou double, l’appareil est réglé, lié au mortier de chaux à joints maigres. Il y a souvent différenciation entre le rez-de-chaussée, monté en appareil de pierre de taille ou de moellons liés à la chaux, et le ou les étages bâtis en moellons à la chaux ou, plus tardivement, au plâtre. Mais, la pierre de taille s’impose à la fin du XVe et surtout au XVIe siècle (62). Ainsi, outre l’aspect financier, le recours à la pierre de taille varie selon les lieux, les moments, les parties d’édifices. Le « moyen appareil régulier de pierre de taille » domine à Périgueux (63). À Figeac, A.-L. Napoléone note l’emploi systématique de la pierre au rez-de-chaussée mais les étages peuvent être en pans de bois. La maison romane se caractérise par le grand soin apporté à la taille et au montage en grand ou moyen appareil, avec joints fins, de hauteurs d’assises inégales.Au XIIIe siècle, on abandonne la taille soignée, les grès sont plus grossiers pour les façades latérales, les pierres moins bien taillées, les joints s’épaississent ; ou bien, les blocs de calcaire et de grès équarris sont montés en appareil peu régulier, comme dans le quartier de l’Ortabadial qui témoigne d’une construction rapide (64). On observe fréquemment une différence de traitement (type de pierre et sa mise en œuvre) selon qu’il s’agit de façades – et selon les façades –, de refends ou de cloisons. La pierre de taille peut être réservée à certaines parties : chaînes d’angle et encadrements de baies, rez-de-chaussée, façade principale ou tour d’escalier, aussi bien pour des raisons de prestige que pour des raisons techniques, les étages et les autres façades étant en moellons.
C’est le cas à Aix, où la porte en pierre de taille est le modèle le plus répandu dans les contrats aixois, mais généralement lorsqu’elle donne sur l’extérieur, à la fois pour des questions de solidité et d’ostentation (65). Dans les maisons romanes du Gard, le bel appareil est parfois réservé aux percements et aux membres portant la modénature; il est alors associé à un appareil fait d’éléments de même format mais dont la face n’est pas dressée ; un appareil moyen à moellons assisés caractérise les façades arrière et latérales (Vézénobres) (66). Les façades sur rue des maisons de Cordes sont « en grand appareil soigneusement taillé, en grès rouge ou gris de Salles, aussi utilisé pour les chapiteaux et frises » ; les murs latéraux, pignons ou de refend, y sont « en pierre schisteuse de Corrompis, un petit appareil cassé, jamais taillé, qui exclut la sculpture » (67). Mêmes observations à Saint-Cirq- Lapopie (Lot) : usage exclusif du calcaire pour les impostes, cordons, remplages, chapiteaux ; maçonneries en pierre de taille pour les façades principales et appareils de moellons équarris et assisés pour les murs de refend et les façades arrière (68). Deux types de calcaires ont été utilisés à Rougiers, en moellons équarris pour les parements, et en pierres de taille pour les chaînes d’angle et les encadrements, notamment du donjon (69). À Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne), aux XIIIe et XIVe siècles, on trouve des façades en pierres de taille disposées en assises de hauteur variable, mais « les élévations latérales ou postérieures, même tournées sur la rue, ne sont pas traitées avec le même soin ». Selon la rue, les façades sont traitées différemment: « d’un côté l’appareil de revêtement est en pierre de taille (calcaire), de l’autre en moellon équarri » (70) (fig. 9). De même à Caylus, où la façade sur rue est en pierre de taille tandis que le mur gouttereau, côté ruelle, est en moellons équarris non enduits (71). Dans le cas de Viviers, les façades romanes et gothiques antérieures au milieu du XIVe siècle qui sont bâties en pierre de taille sont à peu près toutes situées sur l’axe majeur (Grande-rue et place du marché), alors que les façades latérales de ces mêmes maisons et les façades des maisons situées dans les rues secondaires sont en moellons. À partir du milieu du XIVe siècle, on construit en moellons. Même constat à Saint- Marcel-d’Ardèche (72).
Enfin, notons que les murs montés à la terre ou en pierres sèches sont très rarement signalés en milieu urbain. Plusieurs auteurs s’accordent à faire du mortier de chaux une des spécificités de la construction civile urbaine, caractéristique que le développement de l’archéologie du bâti pourrait conduire à nuancer. Outre les murs et les éléments de décor, la pierre est aussi le matériau des voûtes. Dès la 2e moitié du XIIe et dans les années 1200, la voûte est un moyen habituel de couvrement dans les zones les plus méridionales de l’Auvergne, quasi systématique à Billom, Clermont, Montferrand et Riom (73). Toutefois, la présence de voûtes n’est pas une généralité. Elles sont rares, par exemple, à Saint-Antonin-Noble-Val, ou dans le Var, et les maisons romanes du Gard n’accordent qu’une place réduite aux espaces voûtés, même dans une ville de foire comme Saint- Gilles (74). Ce sont principalement les pièces du rez-de-chaussée des demeures montpelliéraines les plus riches qui sont voûtées, en berceau plein cintre, puis en voûtes d’ogives. Ces dernières, comme souvent dans l’architecture méridionale, sont des voûtes d’arêtes appareillées en besace dont les nervures sont simplement plaquées (75).
Dans les demeures aixoises, la voûte en berceau est en moellons montés au mortier de chaux, parfois en tuf. La pierre de taille n’est utilisée que pour les arcs doubleaux. Les berceaux dérivés du plein cintre couvrent les caves, les coupoles sont montées sur les fours et les puits. Les voûtes d’arêtes, avec ou sans décor d’ogives, se répandent dans l’architecture civile au XVIe siècle (76).
Constructions mixtes
L’emploi de la pierre dans la construction peut être quasi exclusif, majoritaire ou minoritaire et, dans ce cas, se posent les questions de l’usage qu’on lui réserve et des autres matériaux employés. Ainsi, quelques exemples de constructions ou d’appareils mixtes (pierre et brique) sont mentionnés, comme à Cahors, rue Delpech ou rue du Pont-Neuf (77) (fig. 10). La pierre est le matériau privilégié pour les éléments moulurés et sculptés dans les constructions en brique (Cahors, Caussade, Toulouse, etc.). Dans un édifice en pierre, les murs destinés à être masqués par d’autres constructions (fig. 11) et les refends peuvent être en brique (78) ou les cloisons en pans de bois (Maison Muratet à Saint-Antonin-Noble-Val). Si le pan de bois n’est manifestement pas majoritaire jusqu’au XIVe siècle, les constructions à matériaux mixtes, notamment pierre et bois, sont sans doute plus fréquentes qu’on ne le pense (79). Sur une maison du XIVe siècle à Caylus, le pan de bois occupe curieu- sement toute la façade sur la rue principale alors que la façade latérale est en pierre (80). Les façades latérales ou arrière, ou bien les étages peuvent être en pans de bois, en partie ou en totalité (fig. 12). À Figeac (« maison du griffon »), à Saint-Antonin (« maison du Roi »), à Cahors, Béziers, ou en Rouergue, des maisons présentent un ou plusieurs étages en pans de bois à piliers d’étages porteurs (81). C’est aussi le cas dans la zone de grès du Figeacois, notamment dans les bourgs de Fons et de Cardaillac, pour les habitations les plus modestes dotées d’un rez-de-chaussée en grès et d’un étage en pans de bois (82). La pierre est également présente dans des constructions en matériaux périssables, comme fondation, solin, soubassement voire rez-de-chaussée, mur pignon.
Un cas un peu particulier : la construction en galets
La rareté des publications sur les maisons médiévales en galets incite à leur consacrer une partie de ce bilan (83). En Béarn, la maçonnerie en galets est en usage au moins au début de la période romane, comme en témoignent les parties les plus anciennes des églises Sainte-Foy et Saint-André de Morlaàs, datées du XIe siècle (84), ou celle d’Aubin (XIIe siècle). Cette technique de construction semble avoir peu varié entre la période romane et la première moitié du XXe siècle, sans doute à cause des contraintes de mise en œuvre liées au matériau lui-même. Elle est décrite par P. Araguas pour les bâtiments du Vic-Bilh: la construction progressait par tranches horizontales, de 60 cm de hauteur environ, dans les limites déterminées par l’espacement des rangées de trous de boulins qui, verticalement, est de 1,10/1,20 m (85). Il ne s’agit pas de maçonnerie compressée, mais de matériaux posés à la main pour le revêtement et la fourrure, en économisant un mortier long à sécher et qui ne permet pas de monter plus de 3 ou 4 rangées simultanément. La disposition « en feuille de fougère » a une raison technique, et non esthétique, car ces maçonneries étaient certainement enduites. Elle permet d’obtenir des assises plus hautes, et donc un gain de temps, et elle évite le reflux du mortier causé par le poids, la forme et la surface lisse des galets. Dans ce type de maçonnerie, parce que le mortier assure la cohésion entre des éléments hétérogènes et irréguliers, la teneur en chaux et la prise rapide sont deux conditions essentielles, exigences qui ont dû accroître le coût de construction (86). En Vic-Bilh, moellons et galets, désignés par « muraille », et torchis sont les matériaux de base des maisons de villes et des champs, mais les maisons urbaines ont un étage, et une façade souvent un peu plus soignée (87). La pierre de taille (88) était réservée aux organes de structures ou aux encadrements, avec hiérarchisation entre les matériaux : bien des maisons ont des encadrements de baies en calcaire et des chaînes d’angle en grès ou en briques. La maison Belluix, à Morlanne, étudiée par A. Marin, en fournit un bel exemple (89) (fig. 13).
Les murs, épais de 0,48 à 0,60 m, avec un démaigrissement des murs gouttereaux, sont composés de deux parements montés parallèlement, entre lesquels on a coulé un blocage composé de tout venant. La pose à plat des galets et des plaquettes de poudingue, en assises étroites (0,10 m), alterne avec une pose oblique dite « en feuille de fougère ». Les chaînages d’angle sont en gros blocs équarris de calcaire lacustre « de l’Armagnac », en assises de 0,60 à 0,70 m de hauteur, tandis que les encadrements de baies ont été exécutés en grès molassique, plus propre à la sculpture. A. Marin, souligne le peu de soin apporté aux faces des pierres d’encadrement en contact avec la maçonnerie, contrastant avec le raffinement de la taille des moulures. Cette tendance à l’économie s’explique par la présence d’un enduit qui subsiste à l’état résiduel, rehaussé d’une couleur claire qui a été appliquée sur les encadrements des baies, comme en témoignent des traces dans le creux des moulures. La brique n’est présente ici que de manière très marginale. Tandis qu’on a probablement utilisé des échafaudages à deux rangées de perches dans la partie inférieure, des lignes de trous de boulins apparaissent à partir de 8 m de hauteur. Assez grands (0,20 m de côté), ils suggèrent des boulins traversants de forte section soutenant seuls des platelages, éventuellement confortés par des équerres en bois (90). Dans des bâtiments civils de Pamiers (Ariège), datés du XIIIe siècle par L. Claeys, les arcs outrepassés, les piedroits et la totalité de l’embrasure sont réalisés en brique dans une maçonnerie de galets auxquels se mêlent quelques rares morceaux de brique en remploi. Le chapiteau et la base de tradition romane sont en calcaire blanc ; la colonnette est en marbre blanc veiné de gris, matériau habituellement utilisé à Pamiers pour les colonnettes. Une fenêtre géminée en rez-de-chaussée, donnant sur un espace ouvert (cour ou jardin clos), signale peut-être une demeure d’une certaine ampleur (91).
Notons que les maçonneries en galets, qu’on pourrait considérer comme « pauvres », ont largement étéutilisées dans des constructions princières comme celles de Gaston Fébus mais aussi pour le palais des Rois de Majorque à Perpignan. Il convient donc, vraisemblablement, de relativiser les appréciations concernant la lenteur d’exécution et le coût de ce type de maçonnerie.
Essai de bilan en forme de questions
Si quelques traits communs se dégagent, bien des nuances doivent être apportées selon les temps et les lieux.
Divers paramètres doivent être pris en compte dans le choix du matériau, de la nature de la roche, mais aussi de sa mise en œuvre.
On a souvent avancé des arguments techniques pour l’avènement de la pierre comme matériau de construction, notamment les progrès de la métallurgie (amélioration de la qualité du métal des outils de taille). La contrainte technique est possible pour certaines roches très dures, exclues ou réservées à certaines parties de la construction. La mixité des matériaux, pierre et brique ou mélange de deux roches différentes, peut résulter de la qualité de la pierre, de son aptitude à la taille ou à la sculpture, ou d’un désir d’effet de polychromie. Le choix de telle ou telle roche dépend aussi de critères économiques, dans un rapport distance/performance/budget. La pierre est généralement considérée comme un matériau « noble », de plus en plus réservée à une élite, et donc dotée d’une fonction ostentatoire: dans le Midi de la France, où l’architecture de pierre abonde, c’est surtout vrai de la pierre de taille. De ce point de vue, l’aspect économique rejoint un souci esthétique et se traduit comme un indicateur social. Les commanditaires ont certainement été sensibles à la beauté du matériau et à la qualité de la mise en œuvre, mais, paradoxalement, ce goût croissant du bel appareil a peut-être limité l’usage de la pierre de taille, réservée aux monuments majeurs. On citera deux exemples: Cahors où M. Scellès note ce goût croissant pour le bel appareil réglé, surtout au XIIe siècle, et souligne que son coût a entraîné la raréfaction des constructions en pierre, limitée à la façade sur rue ou au corps principal des maisons les plus prestigieuses. À partir du début du XIIIe siècle, elle est supplantée par la brique qui permet des appareils plus réguliers. Le calcaire reste utilisé pour les édifices majeurs (églises, ponts, palais), ainsi que pour les chaînes d’angle, les piédroits et piliers des portes et baies de boutiques, les contreforts, consoles et corbeaux, linteaux, seuils, appuis, coussièges, cordons (92). Pour Y. Esquieu, en Ardèche, l’évolution dans le temps est liée à celle d’une préférence pour un type d’élaboration de matériau et non pour une question de goût de couleur (pierre blanche ou noire) : à l’époque romane et jusqu’au XVe siècle, on préfère la pierre de taille, et donc le calcaire; le basalte est de nouveau utilisé à partir du XVe siècle (fig. 14), sauf pour les édifices de grande qualité. La pierre de taille est donc un indicateur d’aisance, d’une période et/ou d’un commanditaire (93). Cela se vérifie par les textes, comme à Aix-en-Provence où, « à surface égale, le mur en pierre de taille revient six fois plus cher en moyenne que le mur de moellons à mortier de chaux, lui-même environ un tiers plus cher que l’ouvrage lié au plâtre » (94). La pose de la pierre de taille multiplie par dix le prix du montage d’un mur par rapport à un ouvrage en moellons (95). La pierre, et surtout la pierre de taille, semble bien un marqueur social, un matériau nécessaire au prestige, surtout là où il est difficile de s’en procurer. En Auvergne et Bourbonnais, la façade de pierre soigneusement appareillée reste l’apanage de l’aristocratie ou d’une riche bourgeoisie. Les artisans, ou la bourgeoisie moins fortunée, se contentaient probablement de matériaux composites (galets, bois de médiocre qualité, mortiers à faible proportion de chaux) ou, à la fin du Moyen Âge, de maisons en pans de bois (96). B. Phalip signale un texte qui – à Aurillac – distingue les simples maisons (maijo) de celles « parementées » dites pairal. Selon lui, plutôt qu’une distinction entre maisons en pans de bois et maisons maçonnées, il s’agirait d’une distinction entre les constructions en maçonnerie commune (galets, terre et chaux, pierres irrégulières) et celles réalisées en pierre de taille (mortier de chaux, arcades, baies…) (97).
Le coût de la pierre de taille invite à l’économie et explique la différence de traitement entre la façade principale, parementée en pierre de taille, et les façades latérales ou arrière, moins soignées. Ce souci d’économie est encore plus marqué dans l’architecture civile de Basse Auvergne où la lave est parfaite- ment taillée et dressée sur les façades sur rue, alors que les murs moins ou non vus sont en appareil de moellons enduits. Cette pratique vaut également pour les parements intérieurs et les parois des caves. Le double parement n’est pas de règle et les murs sont fréquemment des massifs de moellons, avec placage éventuel de pierres de taille sur une face (98). C’est aussi une question de coût, et de rapidité. À Saint-Antonin-Noble-Val, la pierre de taille qui anoblissait, jusqu’au XIVe siècle compris, les façades princi- pales sur la rue, est abandonnée. La maçonnerie de moellons, enduite ou non, se généralise dans le siècle suivant (99).
Des façades enduites ?
Est-ce à dire que seules les maçonneries de piètre qualité étaient enduites ? Les maçonneries de galets ou de moellons irréguliers ont été conçues avec un enduit, mais, dans la maison Belluix, à Morlanne, la couleur claire qui rehausse le mur oriental est également appliquée aux encadrements des baies taillés dans le grès. Aux XIIIe et XIVe siècles, alors que les arcades des maisons clunisiennes continuent à être très souvent réalisées en pierre de taille, la qualité des parements diminue et nécessite l’emploi quasi général d’enduit (100). Les traces d’enduits et badigeons extérieurs peints ne subsistent souvent que dans le creux des moulures ou des sculptures. Ces vestiges fragiles suggèrent une mise en scène des baies, sans doute rehaussées de couleurs vives, dont on peut supposer qu’elles se détachaient sur les enduits plus neutres des murs (101). À Cahors, un faux appareil de briques, peint sur le vrai, permettait de rehausser le rouge de la brique et de le faire jouer avec le blanc bien franc des joints (102). Pour les façades de la Tour d’Arles, à Caussade (Tarn-et-Garonne), on a opté pour un faux appareil de pierre de taille peint sur l’encadrement de briques des baies (103). L’Auvergne témoigne d’un goût prononcé pour les peintures extérieures dont quelques-unes sont conservées à Montferrand, comme l’éléphant peint sur le tympan d’une fenêtre et qui a donné son nom à la maison, ou de faux appareils surmontés de frises sur des façades disparues des rues de la Chantrerie et de la Rodade (104). « Le recours à ces parures est le fait d’une architecture qui appareille pourtant avec le plus grand soin les maçonneries des façades… Il faut donc se résoudre à admettre que tout ou partie du travail du tailleur de pierre devait être masqué par des revêtements colorés » (105). C’est ce que suggèrent la plupart des images qui représentent les maisons villageoises et urbaines construites en pierre: leur façades sont souvent enduites, pour un effet décoratif certes (106), mais peut-être, également, en conformité avec une réalité qui nous échappe en grande partie aujourd’hui.
Parmi les questions qui restent posées, celle de particularités propres à la maison, dans la mise en œuvre de la pierre, par rapport à d’autres types d’édifices. Chaque fois qu’on a pu l’observer, chaque fois qu’une comparaison a été faite entre églises, demeures seigneuriales et aristocratiques et maisons urbaines,il n’a pas été constaté de décalage technique ni chronologique majeur, mais seulement une différence de programme et de moyens (107).
C’est tout particulièrement vrai dans les bourgs monastiques (108) où, en matière de techniques de construction, le chantier monastique est source d’apports irremplaçables (ouverture de carrières, présence de nombreux praticiens du bâtiment, séjour de sculpteurs, etc.). La symbiose entre l’abbaye et son bourg se discerne dans l’expression matérielle de celui-ci, dans les caractères de son habitat et la chronologie de sa constitution (109).
La maison en pierre est-elle une spécificité méridionale? C’est ce que suggérait J.-M. Pesez en opposant «une Europe de la pierre» à «une Europe du bois » (110), ou P. Garrigou Grandchamp en désignant « une France de la pierre dans le Sud » (111). À son tour, P. Mane note l’écrasante majorité du pan-de-bois dans l’enluminure de la France du Nord (112).
Diverses explications ont été proposées: une tradition constructive héritée de l’Antiquité, celle-là même qui expliquerait l’absence de cabanes excavées dans le Midi, absence d’ailleurs largement nuancée par l’archéologie préventive; les ressources locales, comme l’abondance des affleurements calcaires, roche le plus fréquemment mise en œuvre, raréfaction du bois; les différences climatiques qui feraient préférer le bois dans le Nord et la pierre dans le Sud; les contextes économiques et sociaux.
Cela rejoint la question de la chronologie puisque la plupart des auteurs s’accordent à situer la pétrification de l’habitat à partir du XIe siècle et le retour du bois au XVe siècle avec la généralisation du pan de bois. P. Garrigou Grandchamp a bien montré qu’il fallait nuancer cette vision (113). De plus, les rythmes d’apparition de la pierre dans la construction civile courante sont très inégaux, et liés aux ressources et aux contextes socio-économiques.
Je ne prendrai que deux exemples: le Languedoc et la Gascogne. Les textes languedociens utilisent les termes de domus et stare qui suggèrent un habitat groupé. Les textes et l’archéologie montrent la liaison entre le solarium et le toit de tuiles ou de lauzes qui, s’ajoutant à l’étage, en font une maison en dur (114). Facteur de différenciation sociale au XIe et encore au XIIe siècle, le solarium est certainement d’une facture autre que le stare du roturier ou la casa du paysan. À partir de 1030-1060, l’étage se diffuse. Au XIIIe siècle, la maison à étage est le module de base de la cellule villageoise. À l’emploi du registre urbain viennent s’ajouter d’autres indications qui dénotent le poids du modèle citadin. Du côté de la Gascogne, mansio ne semble pas préférentiellement limité à des zones rurales, et paraît équivalent à domus, alors qu’hospitium y est rare. On pourrait être assuré qu’une borde n’est pas dans l’enceinte s’il n’y avait au moins une exception avec une borde intra muros à Saint-Béat en 1245 (115). Le solarium en revanche est bien une demeure urbaine, mais les mentions de maisons à étage sont rares ; l’une d’elles, la plus ancienne pour la Gascogne, concerne Saint-Pé (Hautes-Pyrénées), en 1080 (116). Ainsi, en Gascogne, où les « villes » ne sont pas légion, le matériau utilisé pour la maison est essentiellement le bois. Les sources écrites portent à croire que la construction de pierre pourrait apparaître dans l’architecture commune, vers la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, d’une part au nord de la Gascogne, à partir des enceintes collectives et des demeures seigneuriales; d’autre part au pied des Pyrénées, sous l’influence probable de l’architecture valléenne courante (117). Quant à une chronologie propre à la maison médiévale méridionale en pierre, elle n’est envisageable qu’à l’échelle locale puis régionale. Le référentiel reste à construire, et, peut-être qu’une typologie des appareils et des techniques de taille pourrait venir étayer les typo-chronologies construites sur les formes des baies, des moulures, etc. Pour l’ébauche d’une périodisation, la plupart des auteurs notent une très grande qualité de la construction, souvent en bel appareil de pierre de taille, au XIIe siècle, et une baisse de qualité des matériaux et de leur mise en œuvre aux XIIIe et XIVe siècles.
GRILLE D’ENQUÊTE
ORIGINE DU MATÉRIAU:
Matériau local (ramassage, remploi, lieux d’extraction, carrières, distances, mentions) :
présence de matériau « prêt à l’emploi », disponible : ruines antiques, affleurements, galets ;
présence/absence de pierre (géologie)
Carrières : localisations, types (à ciel ouvert ou non), propriété, exploitation, taille en carrière etc.
Qualités et usages en fonction des aptitudes techniques et esthétiques
Matériau importé (provenance, moyens de transport)
Rapport distance/coût, moyens du commanditaire
TRAVAIL DE LA PIERRE ET MISE EN OEUVRE :
Vocabulaire : termes techniques utilisés dans les textes
Degrés de finition : du « tout venant » (galet, caillou, bloc) au moellon et à la pierre de taille
Taille : traces, outils
Marques lapidaires
APPAREILS :
Stéréotomie
Modules: dimensions des modules
Hauteur moyenne d’assise, nombre d’assises par mètre de hauteur
Plan de pose:
- parement
- articulation [chaînage d’angle/parement] et articulation [élément spécifique (baie, placard etc.)/ parement] : en termes de dimensions, de plan de pose et de degrés de finition
- indices de préfabrication
Pose (à plat, de chant, en besace etc…)
ASSEMBLAGE:
Montage à sec
Avec liant :
nature du liant : terre, mortier de chaux, plâtre épaisseur, profil et régularité des joints.
TRACES D’ENDUITS OU DE PEINTURES EXTÉRIEURS
USAGES :
Quelle(s) roche(s) ? Comment et pour construire quoi?
Autres matériaux et leurs usages.