Au début du XVe siècle, l’hôtel toulousain de noble Bertrand Tornier, tout à fait exceptionnel – le seul habitat civil rencontré à ce jour à Toulouse avec une chapelle –, était encombré de meubles, décoré avec raffinement, tant pour la vaisselle, le linge, les tentures et banquiers que pour les objets personnels des membres de la famille, à une nuance près : beaucoup de ces pièces en mauvais état signalaient la gêne après une période d’opulence familiale (1).
Même si les inventaires sont souvent allusifs ou difficiles à interpréter (2), ils permettent de se faire une idée de la distribution et de l’aménagement des demeures. Grâce aux objets mobiliers, aux indications du notaire (3), ces documents laissent entrevoir le décor de ces maisons, ce qui les ornait, ce qui les parait.
La synthèse de Philippe Wolff cite peu le détail des textes (4). En s’appuyant sur des inventaires du Toulousain, Marie-Claude Marandet a étudié l’équipement domestique, en particulier celui de la cuisine (5). Il est souhaitable de revenir à la précision des textes éclairés par une bibliographie renouvelée sur la culture matérielle et par des études historiques et archéologiques récentes qui nous font mieux connaître la société toulousaine du bas Moyen Âge (6).
Le décor des intérieurs toulousains est constitué par le/les bâtiment(s), les matériaux, le nombre et l’agencement des pièces (7), les éventuels ornements peints ou sculptés, mais aussi par ce que nous nommons la décoration : meubles, vaisselle, linge et décor textile, ces objets signent l’univers de leur propriétaire. Ces éléments du décor mobilier participent à l’organisation de l’espace, répondent à des nécessités domestiques (s’asseoir, s’attabler, se coucher, ranger, cuisiner…) mais ils sont aussi des marqueurs sociaux et culturels. On y lit les différentes catégories sociales, les activités professionnelles, les écarts de train de vie, mais aussi les modes, références et codes culturels de ces Toulousains.
En ce sens, ces éléments du décor peuvent être appréhendés comme des marqueurs de la supériorité sociale, de la notabilité, de l’urbanité.
Le cadre de vie : différenciation des espaces domestiques et statut social Échelles et statuts: de la pièce unique à l’hôtel, entre vie professionnelle et vie familiale Le nombre des pièces habitées est variable: si certains Toulousains se contentent d’une seule pièce, une camera dans laquelle ils dorment, travaillent, cuisinent, d’autres, c’est une moyenne (8), occupent trois à cinq pièces : une salle (aula) à la fois pièce à vivre et cuisine, une ou deux chambres, un cellier ou un grenier (penus, chay, ayrecel), voire un ouvroir, une boutique, une arrière-boutique (operatorium, botega, retro botiga).
Les plus riches, nobles ou non, marchands en vue, hommes à talent (médecins, juristes), officiers, jouissent d’hôtels beaucoup plus vastes, parfois jusqu’à plus de dix pièces, avec tour, cour et puits. La plupart de ces hommes sont membres de l’oligarchie toulousaine mais pas tous: ne font pas partie du corps capitulaire certains artisans aux compétences pointues et aux fabrications de luxe – un boursier (9), Jacques de Laval, un faure (10), en fait un armurier, Vital de Fomonte – ; ils sont pourtant visiblement fortunés, leur demeure et intérieurs rivalisent avec ceux des notables.
La description des plus grands ensembles prouve qu’ils sont constitués de blocs immobiliers rassemblés au fil des générations, certains hôtels ouvrant directement sur la rue tandis que d’autres sont placés derrière une première rangée de maisons. On pénètre dans ces hôtels par une intrata, prolongée par un portique (porticus), galerie abritée, meublée voire décorée, où l’on peut prendre le frais, se tenir, converser…
Ces hôtels abritent à la fois les locaux professionnels et l’habitation familiale de leur propriétaire. Mais on a l’impression que, passé un certain niveau de fortune, on travaille et habite dans des lieux distincts, que les maisons et bordes adjacentes ou peu éloignées servent de réserves au grand hôtel d’habitation.
Les espaces de ces vastes hôtels différencient les fonctions domestiques: à côté d’une, voire de deux, aula (bassa, alta, inferiori, superiori), on trouve une cuisine séparée, des arrière-cuisines, de multiples chambres, hautes et basses, isolées ou contiguës, une tour habitée, au moins en partie, des celliers et greniers, parfois un soleilho, une pièce à pétrir, un chai, un poulailler, une écurie, une cour (avec puits), un jardin ou verger (ortus, viridarium). De tous les inventaires lus pour l’instant, seul l’hôtel de Bertrand Tornier a une chapelle.
Quelques exemples avant le milieu du XVe siècle sont relativement complets, explicites (11), et rattachés à des statuts sociaux définis ou à des personnages connus par ailleurs.
Les maisons des artisans ou des simples sergents sont modestes. L’inventaire après décès de Doumenca, veuve d’un servinier (12), en 1430, nous fait parcourir l’ouvroir, un cellier, une aula, une chambre (13). En 1432, Pérone, veuve de Gayciot Arnaud, sergent royal, vivait dans un hôtel composé d’une salle sise « près de l’entrée ou portique », de deux chambres, d’un cellier (14). L’hôtel du fustier (15) Jacques Boerii compte une aula et trois chambres (16).
Il y a parfois un écart entre le statut social et l’ampleur de la demeure. Jeanne de Latour, en 1441, habite seule dans un hôtel rue des Changeurs, au cœur du quartier le plus actif de Toulouse. L’inventaire cite de beaux objets et meubles mais Jeanne ne vit que dans une seule pièce, une chambre qui ouvre sur l’ambulatorius bassus, la galerie basse, de l’hôtel de Bernard Vinhas (17).
À l’inverse, certains artisans jouissent d’un hôtel plus imposant, d’un train de vie aisé, tout en travaillant et vivant au même endroit. Ainsi, chez le boursier Jacques de Laval en 1404 (18) : l’ouvroir, 5 chambres, une aula, une coquinia, un soleilho, une cave, un grenier. Les outils, les meubles nécessaires à son métier, des peaux (sa matière première) sont énumérés dans plusieurs pièces. De même, Vidal de Fomont, faure spécialisé dans la fabrication et la réparation d’arbalètes, comme l’atteste la longue liste d’outils, d’armes neuves ou laissées en réparation. Son hôtel rue des Payroliers comprend l’ouvroir, une dépense contiguë, un cellier, une salle, un grenier, quatre chambres, un soliderium (19). Chez le barbier Jean Juvenis, l’ouvroir où il officie (meubles et ustensiles du métier), une salle haute, trois chambres, un grenier, un cellier (20).
Apothicaires ou épiciers, drapiers, changeurs sont les commerçants les plus aisés, et arrivent à intégrer les rangs de la notabilité toulousaine : de façon attendue, leur hôtel est vaste, leur train de vie confortable, les objets inventoriés de facture soignée.
Guilhem del Pont est apothicaire rue du Carmel en 1369. Sa maison se compose de 6 pièces: une salle, une cuisine, quatre chambres, dont une derrière l’ouvroir, à la fois réserve et chambre pour deux employés (21). S’y ajoutent le portique et l’ouvroir. En 1422, l’épicier Jean Faure possède un hôtel avec jardin rue du Taur. Il y travaille, n’occupant que la moitié de l’hôtel, mais y séjourne aussi puisqu’on inventorie le mobilier d’une salle (aula), de quatre chambres, dont une signalée comme la sienne renfermant de nombreux objets de qualité, une salle dite inférieure, ouvrant sur le jardin, à la fois cuisine et salle à manger, l’ouvroir, un cellier (22).
L’exemple du sédier (23) Pierre Vaquier en 1415-1416 est intéressant car l’inventaire des biens est suivi d’une vente à l’encan assortie d’une liste de prix (24). Son hospicium rue de la Dalbade est confronté sur l’avant par deux autres hôtels et par la rue, à l’arrière par la Garonne (et retro cum flumine Garone), certaines dépendances faisant face au fleuve. Cet hôtel abrite sa boutique et sa demeure : on passe dans l’ouvroir, l’arrière-boutique, puis dans une aula bassa, la cuisine, une galerie de circulation ou préau (in ambulatorio), quatre chambres, un grenier haut, deux celliers, dont un face à la Garonne (25).
Nous avons déjà détaillé l’exemple exceptionnel par ses proportions de l’hôtel des Tornier, famille dont la fortune vient du change, anoblie, agrégée au capitoulat et investissant offices royaux et seigneuries (26).
L’inventaire du marchand-drapier Guilhem Azémar, en octobre 1401, y fait beaucoup penser malgré quelques différences notables. Dans les deux cas il s’agit de vastes hôtels, composés de plusieurs blocs rassemblés. La fortune de leur propriétaire, sur le déclin pour Bertrand Tornier tandis que celle de Guilhem Azémar est l’une des plus belles au tournant des XIVe -XVe siècles, permet des acquisitions et aménagements de qualité. Guilhem Azémar est le contemporain de Bertrand Tornier, mais il n’est pas anobli et son hôtel n’a pas de chapelle (27).
Guilhem Azémar habite un hospicium rue du Fauga, composé d’au moins dix pièces, plus les dépendances (une entrée, un portique extérieur, une écurie, un cellier) et une tour assez grande pour y loger une chambre dans la partie supérieure (28). Il possède un autre hôtel rue du Fauga, placé devant le grand hôtel, in quodam alio hospicio dictorum heredum stituato in dicta carreria Falguarii et ante dictum magnum hospicium. L’accès se fait donc par une intrata débouchant sous le portique, et l’hôtel se distribue probablement autour d’une cour, entre dépendances et espaces d’habitation.
Non loin de là, un second bloc dans le quartier des drapiers, le Bourguet Nau. Dans la rue Blancart, Guilhem Azémar a une tour, dont il loue les étages, avec chai et aula. Derrière cette tour, un jardin (ortus) avec portique et casal donnant dans la rue du Bourguet Nau ; confrontant ce verger (viridarium), l’ouvroir du drapier ouvre sur la rue Bourguet Nau, ainsi que, confrontant l’ouvroir, un hôtel loué à un sartre (29). La boutique est donc ici distincte de la maison d’habitation mais notre homme a constitué des blocs cohérents, accumulant des parcelles, occupées par lui ou louées, accroissant ainsi son emprise sur une portion de sol urbain, stratégie déjà repérée pour d’autres notables toulousains (30).
Les demeures des Tornier ou Azémar sont de tout premier rang : composites, elles sont vastes, avec tour et dépendances, cour et jardin. Elles sont comparables aux hôtels des Maurand et Capdenier, démembrés pour construire le collège de Périgord, ou à l’hôtel d’une autre grande famille du Bourg, les Aurival (31).
Terminons par le cas des diplômés en droit. Certains ne font qu’étudier quelques années à Toulouse et se contentent de louer une chambre chez l’habitant (32). Toute leur fortune passe dans l’achat de livres, de quelques vêtements : ils se contentent d’un confort spartiate, prenant peut-être leurs repas chez leur logeur ou ailleurs (33).
Certains sont plus établis, enseignent, investissent progressivement les offices, les cercles capitulaires. Jean Chagerii, licencié ès lois, vit avec son épouse dans un hôtel loué au Collège de Maguelonne, dans la rue du cimetière de l’église du Taur (34). Dans sa chambre, trône un lit imposant (un arqualieyt cum solerio et pedibus, de 12 empans sur 10), bien garni (matelas et oreiller garnis de plume, une couverture blanche avec deux larges raies rouges, deux draps de lin), un peu de vaisselle de table en étain, un seau et une bassine de cuivre, un crible, 4 tisons ou pelles à feu (tisafotz sive rispas ferri), qui signalent une cheminée, quatre poêles, un coutelas et quatre couteaux rangés dans un étui (unum basalart et IIIIor gladios in una cuteleria sive gayra), cinq coussins ou carreaux (V minhotz sive carrellos usitatos), une échelle, une caisse de noyer de 8 empans de long dans laquelle on trouve… (le reste du folio est blanc : les livres?). Il s’agit du strict nécessaire mais les objets soignés renvoient à un niveau de vie relativement aisé et confortable, d’autant que l’inventaire se poursuit dans ce même hôtel avec sa veuve : l’aula sert à la fois de cuisine et de pièce à vivre (35), une autre chambre est bien meublée (36), un cellier contient des pipes de vin, un portique abrite des tonneaux vides, une table et deux bancs de sapin. Une borde, des arpents de vignes, des gasailles de chevaux complètent le patrimoine. Le statut social de cet homme et sa demeure au confort plus affirmé diffèrent du cas des simples étudiants.
Au-delà de l’emprise au sol, parfois sur un bloc entier, au-delà du nombre total de pièces, certains éléments distinguent donc l’hôtel du riche, du notable toulousain: la demeure lieu de résidence où se déroule la vie, dite privée, de la famille; la spécialisation de certaines pièces, la coquinia qui ne sert qu’à cuisiner; la mutiplication des espaces de stockage, de la cave à la mirande en passant par les celliers, dépenses et greniers divers (37) ; la présence a fortiori de deux aulae (basse, ouvrant sur le jardin ou sur un préau, haute, à l’étage noble), d’une tour, d’un jardin, d’un puits, d’une écurie (38)… Les galeries de circulation telles que l’ambulatorius bassus chez Bernard Vinhas, les portiques mentionnés dans les exemples cités, sans oublier le portique à colonnes (prostiulus ou prostyle) de l’hôtel Tornier, peuvent relier plusieurs bâtiments mais ont aussi une fonction d’ornement et d’agrément puisque certains d’entre eux sont meublés et décorés, tel le préau abrité dans le verger (Guilhem Azémar), en extension vers le jardin d’une salle basse et de la cuisine (Jean Faure, Pierre Vaquier), prolongeant l’intrata ou le portale (Guilhem Azémar, Bertrand Tornier) et donnant alors probablement sur la cour.
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Le décor du bâti
Bien que les inventaires soient très peu détaillés sur ce point, les matériaux et certains éléments sculptés ou peints désignent aussi la demeure des riches et puissants Toulousains.
La façade sur la rue et l’accès sont particulièrement soignés. L’hôtel de noble Bertrand Tornier ouvre sur la rue par un portale muni d’un dispositif de récupération des eaux de pluie: des chenaux de plomb alimentent une grande jarre. Dans le verger du Bourguet Nau, sous le portique, Guilhem Azémar entrepose des matériaux de construction, du vieux chêne (coralli antiqui), des bouts de chenaux de bois (canaleti fusti, peciam canalis fusti), des planches de sapin, mais aussi « une pierre ouvragée pour faire un portail sur laquelle sont sculptées les armes del Mon (quemdam lapidum operatum pro faciendo portale in quo erant desculpate arme del Mon), de même trois autres pierres, dont on donne les dimensions (une carrée d’environ 4 empans de côté, une autre de même forme de 3 empans), la troisième étant travaillée pour un rebord de fenêtre (operatum de quodam relays) de 2 empans de long ; dans la tour, vingt-quatre pierres travaillées pour faire un portail ou au moins une porte (in dicta turre viginti quatuor lapidos operatos pro faciendo portale et nichilhominus portus…), dont certaines sont munies de gonds (erant cum cardinibus sive gossonibus). La diffusion de l’héraldique est connue pour la fin du Moyen Âge.
Classiquement, les armoiries ornent les clefs de voûtes (celle des Vinhas) (39) et les portails (de l’hôtel Delfau par exemple). Le blason sculpté au portail ne correspond pas forcément à celui qui y réside, mais par exemple à celui qui a fait bâtir ou possède l’immeuble. Ces pierres entreposées chez Guilhem Azémar ont-elles été déposées ou prévoyait-il des travaux d’embellissement ?
Quant aux autres matériaux de ces demeures, rien ou presque n’est mentionné. On évoque parfois la paroi (pariete) ou le torticio dans lesquels l’on plante les candelabres modèle ficador. La brique, les tuiles, le verre sont en revanche parfois cités dans d’autres actes passés par les notables toulousains. L’inventaire de Jacques de Laval note, entreposées dans une chambre, duas januas hospicii abietis (40), chacune de 8 empans de long sur 4 empans de large (soit 1,80 m x 0,90 m environ).
La seule mention de pièce aux murs peints se trouve chez l’épicier Guilhem del Pont, in alia camera depicta stituata in fundo hospicii. Cette chambre est celle du maître de maison: le lit y est plus vaste, bien garni ; s’y trouvent une grande caisse de noyer et ses deux escabeaux, deux autres bancs, deux bassinets ou capellos l’un en fer l’autre en cuir, autrement dit des couvre-chefs d’homme d’armes, le reste de la panoplie et des armes étant dans l’aula, enfin six livres dont cinq de médecine… Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y ait pas ailleurs de peintures murales, l’étude des vestiges des maisons médiévales à Toulouse le prouve (41), mais on touche ici aux limites des inventaires: s’attachant aux objets mobiliers, ils n’évoquent la présence de murs peints que par raccroc, ici pour distinguer une chambre des autres.
Les meubles et l’aménagement: du nécessaire au superflu, confort et marques de distinction sociale Des meubles les plus répandus aux plus rares Outre ce qui est peint ou sculpté, le premier décor de la maison est l’ensemble des meubles. Tous les objets mobiliers – meubles, vaisselle, linge – sont précisément décrits selon leur nature (42), leur qualité (43), leurs dimensions, données en canne et empan (44), leur poids, estimé en marc, once, denier, leurs particularités (ferrures, cloisons, pieds, travail du meuble, couleurs, motifs pour le linge), et surtout leur état. Les mots sont alors inombrables : neuf, vieux, cassé (ruptus, fractus, quasi ruptus), coffres sans couvercle ou sans fond, meubles cuçonnés (artesonatus), linge usé, rapiécé, rapetassé (petassatus), déchiré, troué, mité, brûlé (laniatus, perforatus, blasitus, ardatus)…
Coffres et bancs partout, coffrets à usage spécifique
Les meubles de première nécessité se rencontrent chez tous mais en plus ou moins grande quantité et de qualité variable.
On trouve indifféremment dans toutes les pièces des coffres ou caisses (caxa, caxia mais aussi coffredum aux dimensions équivalentes) (45). Ce meuble basique de rangement peut avoir des pieds (cum pedibus), des ferrures (caxa ferrata, cum feris), des serrures, des cadenas et leurs clés (46), des cloisons intérieures (cum meianis). On y range les vêtements, le linge de maison, mais aussi des petits objets, des réserves. Certains coffres agrémentés d’escabeaux, de tabourets (et suis scandellis, cum scandellis) servent aussi de table.
Ainsi, dans la chambre basse chez Guilhem Azémar, quandam caxam noguerii cum pedibus, vacua, cum sua clave, septem palmorum cum dimidio longitudinis, item aliam caxam noguerii sine pedibus, vacuam et sine clave, de 6 empans. Sous le portique, une très longue huche de noyer (5,40 m) avec quatre cloisons, vide (unam ucham noguerii cum quatuor meianis tria cannarum longitudinis vacuam). Ce meuble s’apparente à un grand coffre puisque le notaire poursuit aliam caxam abietis cum duobus meianis undecim palmorum longitudinis ruptam et vacuam. En 1432, chez Pérone, veuve d’un sergent, on dénombre sept coffres, le plus souvent en sapin, pour quatre pièces à vivre. Le plus grand, en sapin, dans l’aula, mesure 2,25 m, mais on en cite aussi dans les chambres, un en hêtre (fagi) avec quatre pieds, de 8 empans sur 3, un autre en noyer, avec des pieds, mais troué.
Outre ces coffres et caisses, on inventorie chez les plus aisés des coffrets qui ont un usage spécifique. Ils renferment des objets de parure (bijoux, voiles, ceintures, aumonières), de piété (chapelets, agnus dei, amulettes, reliques), des nécessaires de toilette (peigne, miroir…), des documents (instrumenta), des livres, ce qui sert à écrire.
Souvent ferrés, ces coffrets sont d’un travail soigné : certains sont dits « de Paris », recouverts de cuir, de telle couleur, peints…
Chez Bertrand Tornier une trentaine de coffres et coffrets, dont le coffret rouge des atours de sa fille, un autre de cuir blanc travaillé (coffredum parvum corii albi operati) pour des ceintures et reliques, un autre blanc et ferré, de Paris, pour des bijoux, un coffret de cuir bouilli (corii bolhiti) pour des tissus ouvragés…
À la même époque, dans la chambre de la veuve de Guilhem Azémar, trois coffres et dix coffrets. Un coffre contient des vêtements, un autre une impressionnante liste de raupa lini (nappes, touailles, serviettes, longières, draps), le tout dans un coffredum ferratum de quinque palmorum vel circa (1,10 m environ), enfin un dernier coffre contient des draps. On note aussi un coffredum corii parvum ferratum d’un empan de long, une caisse de noyer avec pieds (1,35 m x 0,50 m) avec des effets personnels plus ou moins précieux : deux ornements de coiffure, laissés en gage, une gibecière de cuir, un sceau et sa chaîne d’argent, des mâtines, un encrier, un plumier, des tablettes de cire, une petite boîte d’ivoire, des jambières de cuir pour aller à cheval… On cite un coffredum depictum de diversibus ymaginibus et intus dictum coffredum des chapelets, une ceinture, des objets de piété, un miroir au manche d’os ou d’ivoire (speculum sive miralh ossi sive eboris), d’autres miroirs et peignes dont un d’ivoire dans son étui (unam pectinem eboris cum suo stug), des lettres de grâce…
En 1415, le sédier Pierre Vaquier a dans son hôtel une dizaine de coffres et de coffrets ferrés. Il propose aussi dans sa boutique des coffrets de sûreté (en métal, garnis de ferrures), des coffrets plus précieux, ferrés aussi, de couleur (blancs, verts), un coffre de 2,70 m environ, peint et décoré (ymaginatum). Certains sont ensuite vendus à l’encan (47).
En 1423, noble Raimond d’Aurival a un petit coffret de cuir doré (auripelatum), ad modum Catalonie, qui renferme les bijoux de son épouse. Dans la chambre de Jeanne de Latour en 1441, on cite six coffres et coffrets, dont deux caisses de noyer de 8 et 4 empans, un petit coffre ferré de 6 empans de long, une caisse de sapin d’une canne qui renferme tout le linge de maison, un coffret depictum d’un empan et demi, dans lequel on trouve les chapelets, bijoux, aumônière, des pièces d’argenterie…
Les inventaires notent enfin de multiples exemples de planches isolées (postes, fustes) qui sont en fait des étagères de rangement courant le long des murs ou équipant des niches. Chez Guilhem Azémar la dimension des quatre planches de sapin (6,30 m de long chacune) repérées dans l’entrée de l’hôtel laisse entrevoir son volume.
Dans la chambre haute du sédier Pierre Vaquier, un portant sert de penderie, unum pengerium fusti pro tenendo raupas.
Autre meuble très répandu, quelle que soit la pièce, le banc (scannum, bancum), avec des pieds ou un repose- pieds (marqua pe), mais aussi des petits bancs et banquettes, (banquetum, banquetam). Certains bancs peuvent être de très grandes dimensions, disposés sans doute le long des murs. Plus rares, combinant les avantages du banc et du coffre, et muni d’un dossier, l’archibanc (arcabancus), le banc-haut.
Chez Bertrand Tornier, sept bancs dans l’aula, dont un avec repose-pied, quatre bancs hauts (banquos altos), deux bancs longs, un de chaque côté de la salle (duos banquos longos unum a quolibet latere dicte aule). Dans l’aula de Guilhem Azémar, pas moins de sept bancs (le plus long mesure 6,50 m) dont unum scannum viestatum cum suo marqua pe de 2 cannes et un empan de long (3,80 m), deux banquettes de chaque côté de l’âtre (in quolibet latere furnelli dicte aule unam banquetam), deux tabourets à trois pieds (duas banquas rotundas quamlibet cum tribus pedibus). Dans la chambre haute de la tour, unum arcabanc abietis in quo sunt duo caxe abietis (48). Le boursier Jacques de Laval a plusieurs bancs aux pieds fourchus (49).
Fondamental à plus d’un titre: le lit
Autre meuble, à la fois de première nécessité et symbolique, prévu par les contrats de dot, le lit. Présents dans tous les intérieurs (50), les lits en imposent: ils mesurent en général 10 empans sur 8, soit 2,25 m sur 1,80 m, voire davantage. Ils sont constitués le plus souvent de bois de lit (postes lecti, postes colque). Les arcaletum, arcalyeit (51) ou lit-coffre sont de véritables meubles puisqu’ils sont aussi munis pour quelques-uns de courtines et d’un ciel de lit (sobressel, linteamen pro ponendo supra lectum), mais surtout de pieds et d’un solerius (cum pedibus et solerio).
S’agit-il d’une tête de lit ou dosseret se prolongeant en ciel de lit? (52) Dans les chambres, les coffres et les bancs entourent les lits, servent à la fois de rangement, de chevet, de marche-pied. Les enluminures les montrent mais aussi les dimensions mêmes de ces meubles, en harmonie avec celles du lit. Ainsi chez Guilhem del Pont en 1369, dans la chambre haute, trois lits entourés de sept coffres qui servent de marche-pied, recouverts parfois de coussins (53). Chez Jeanne de Latour (1441), un archalectum de 12 empans sur 10 avec solerio et un banc de sapin clos d’un seul côté (clausum ab una parte), de 12 empans de long aussi.
Certains ensembles sont imposants, raffinés. Chez la veuve de Guilhem Azémar, des bois de lit de 3,15 m sur 2,50 m (14 empans sur 11). Le lit est garni d’une culcitra légèrement plus grande, de 3,80 m sur 2,70 m (17 empans sur 12), d’un traversin de 2,90 m de long (13 empans), d’une courte-pointe livide barrée de rouge, de 3,80 m sur 2,90 m (17 empans sur 13). On signale aussi deux courtines vertes, chacune à quatre lés, qui se trouvent ante lectum, de 5,20 m sur 2,70 m (2 cannes et 7 empans de long sur 12 de large) ; de même trois tiges de fer au-dessus du lit (tres bugnas ferri supra dictum lectum) et trente anneaux de métal pour les courtines (XXX anulos cortine metalhi).
Dans l’hôtel du sédier Pierre Vaquier, au moins six grands lits bien équipés. Dans la salle basse, quatre bois de lit, une flaciata blanche avec cinq signes, de 16 empans sur 12, une vieille couverture de soie, une vieille sargia jaune safran (coloris crocee), une coyssenam avec une raie, de 16 empans sur 12, et deux colquae de 10 empans de long. Dans la chambre haute à l’arrière, des postes lecti cum solerio, et l’ensemble de la literie (cossena, colqua, flassiata blanche, draps). Dans la pièce au-dessus de l’ouvroir, des postes lecti cum et absque solerio. Dans la chambre haute de devant, un ensemble beaucoup plus soigné : un arcalectum de 2,70 m sur 2 m (12 empans sur 9), un banc de sapin de 2,70 m (12 empans), un autre de 6 empans, un marchape de bois de 10 empans, deux courtines vertes (duas cortinas virides dicti lecti) suspendue à deux tringles de fer (duas virgas ferri dicti lecti). Dans la chambre de derrière, un arcalectum et des planches de bois ad modum scanni. Lorsque ces biens sont vendus, les courtines vertes partent à 16 sous 6 deniers, l’arcaleth et ses bancs, pour 10 sous 1 denier, un autre avec les bancs pour 6 sous, un autre arcaleth, ses banquettes (banquetas) et planches, pour 4 sous 6 deniers, un arcalit avec des pieds pour 2 sous 9 deniers.
L’espace et le décor dédiés au repos et à la vie la plus privée sont très soignés chez certains et d’autres éléments complétent encore l’univers de ces chambres : des meubles, des objets particuliers, la qualité de la literie et du linge, le décor textile.
Des meubles plus rares
Beaucoup, y compris des Toulousains modestes, possèdent des tables, le plus souvent pliantes (tabula plegadissa, plegadoria) (54), avec leurs bancs ou escabeaux (scandellis). Ce qui fait la différence est l’essence du bois (communément le sapin, plus rarement le chêne et le noyer), la forme, le travail, la taille. Ainsi chez la veuve du servinier, deux tables, dont une pliante, dans l’ouvroir, mais aucune dans les autres pièces. La veuve du sergent a une table de chêne (quercu) avec quatre pieds, d’une canne de long (1,80 m), avec deux bancs de même longueur. Chez un fustier, trois tables dans l’aula: l’une constituée d’une planche de sapin de 2 cannes de long (3,60 m), avec deux escabeaux et deux bancs en sapin de la longueur de la table (unam tabulam avietis unius postis longitudinis duarum cannarum cum duobus scandellis et banco avietis fracto longitudinis dicte tabule et alio longitudinis XII palmorum), et deux autres tables plus petites (de 12 empans soit 2,70 m) (55). Ces tables permettent d’asseoir en moyenne six personnes dans l’aula (56).
Elles diffèrent des petites tables disposées dans les chambres, supportant les nécessaires de toilette ou servant de bureau. Ainsi, chez Guilhem Azémar, on trouve dans l’aula, deux tables, unam tabulam plegadissam cum suis scandellis longitudinis duarum cannarum et quarte parte unius palmi (3,65 m), item aliam tabulam barratam antiquam d’une canne et demi de long, dans la chambre, une petite table pliante, à quatre pieds, d’environ 0,90 m de long. De même chez l’épicier Jean Faure, deux tables, l’une petite dans sa chambre, l’autre dans l’aula, pliante et longue de 14 empans (3,15 m), associée à deux escabeaux et deux bancs.
Deux modèles sortent du lot: une table à trois charnières de fer qui se déplie sur 3,60 m dans l’aula du boursier Jacques Laval (57), une seule table ronde, en noyer, chez Guilhem Vaquier en 1356, unam tabulam rotundam de noguerio (58).
Chez certains Toulousains, des meubles plus rares, voire remarquables.
La cathedra, la chaise, est pourvue de bras et d’un dossier. Citées dans dix-sept inventaires sur quarante-cinq, sa valeur varie cependant beaucoup en fonction du modèle, de son travail et état : ainsi lors de la vente des biens de l’épicier Jacques Hélie (1371), una cathedra est achetée pour 12 deniers et demi, mais une autre part à 2 sous 8 deniers (59).
La plupart du temps, on ne possède qu’une seule chaise : Guilhem del Pont a une cathedra dans sa cuisine, une aussi chez le scarcelier Germa Olivier en 1391, une chez l’épicier Jean Faure… Mais certains en possèdent plusieurs (quatre chez noble François Ysalguier en 1436) (60), de divers modèles, notamment pliantes (cathedra plegadissa) (61). Dans l’aula de Guilhem Azémar, duas cathedras fusti plegadissas factas cum barris de fagu, avec des barreaux de hêtre, dans sa chambre, une chaise de noyer, dans la chambre au-dessus de la cuisine, une vieille chaise. Chez Pierre Vaquier, trois chaises sont rassemblées dans la salle basse, dont une pliante; la vente à l’encan cite la pliante (34 deniers), mais aussi une chaise ronde (rotunda, 22 deniers). Le juriste Jean Chagerii a deux cathèdres, l’ouvroir du barbier Jean Juvenis en compte trois, dont une pliante, plus une autre dans la chambre jouxtant l’ouvroir ; Raimond d’Aurival a deux chaises dans son aula, l’une en noyer, l’autre en sapin ; chez Jeanne de Latour, trois chaises pliantes. Bertrand Tornier en a deux dans son séjour des champs à Mons, l’une « quasi ronde », l’autre avec un sostenh travaillé à l’arrière.
Plus rares encore, le dressoir (dressadorium), l’armoire (armarius, armesium), le buffet (buffet), termes dont l’usage reste flou (62). Le coût de ces meubles n’est pas toujours très élevé : un dresedorium est acheté pour 4 sous 10 deniers par un sutor lors de la vente des biens de l’épicier Jacques Hélie. Mais sans doute y a-t-il dressoir et dressoir, beaucoup étant faits de simples planches assemblées (63). Ainsi Guilhem Azémar possède deux armoires : l’une dans l’aula, abrite, entre autres, deux salières d’étain, l’autre sous le portique renferme des oules contenant de l’huile, de la graisse. Ces meubles diffèrent en qualité, fonction et valeur, dressoir pour le premier, simple rangement pour le second (64). De même, Jeanne de Latour, dans son unique pièce à vivre, a un petit dressoir en sapin de peu de valeur (parvum dressadorium fusti avietis parvi valoris) (65).
Certains servent bien à abriter et exposer la vaisselle de service et les verres, comme le dressoir et le buffet dans la salle basse de Pierre Vaquier ou, chez un sergent, un dressoir à pichets à trois étagères, de 2,25 m sur 0,90 m (unum justerium fusti cum tribus stagnis longitudinis X palmorum vel circa et amplitudinis IIIIor palmorum). Le fustier Jacques Boerii a dans son aula deux dressoirs dont l’un pro tenendo vitra (66). L’épicier Jean Faure a un dressoir à quatre pieds dans sa chambre mais il a aussi un armarium pro tenendo vitra dans la salle basse.
La distinction sociale commence à se lire en fonction de la quantité et de la qualité de meubles pourtant détenus par tous les Toulousains. Elle s’affirme davantage lorque l’on a constitué des ensembles discriminants de la fortune, du train de vie, de l’accessoire et du superflu, en particulier le nombre de sièges (bancs, banquettes et chaises), associés aux tables (67), dressoirs ou armoires. Quelques comparaisons parlantes:
Quelques meubles et univers particuliers complètent le décor de ces intérieurs.
Les objets de la petite enfance sont principalement illustrés par des berceaux et leur literie. Les inventaires ne donnent qu’un seul exemple de chaise d’enfant, associée à un berceau, chez le retonditor Guilhem de Barcodan (68). Les berceaux, cuneum sive bres, sont en bois, certains clos de planches, de barreaux, avec ou sans pieds.
D’autres sont des « berceaux de corde » (bres corderit), couffins dont on ne sait s’ils étaient posés à terre ou suspendus. Le linge pour des berceaux ou des lits d’enfants n’est cité que dans les maisons les plus aisées. Cette literie est la plupart du temps précieuse tant par les matières (étamine de laine, soie), que par les motifs (des couvertures rayées ou bordées de galons, brodées, armoriées). Les couvertures de berceau sont en général rouges, cette teinte ayant une connotation prophylactique, de même que les branches de corail, amulettes protectrices pendues au cou des enfants sont aussi rencontrées (69).
Les notables toulousains lisent, écrivent, travaillent le plus souvent dans la chambre (70). Quelques inventaires, toujours les mêmes (Bertrand Tornier, Guilhem Azémar…) citent des sceaux d’argent pendus à une chaîne, des marques, des tablettes d’ivoires remplies de cire pour écrire, des encriers et des plumiers plus ou moins précieux, des chaufferettes de métal pour se réchauffer les mains, les livres de comptes rangés dans des coffrets (71)… Mais on signale aussi ce qui ressemble à des écritoires, des bureaux pour faire ses comptes, comme chez Guilhem Azémar, deux tabularium sive contador, l’un avec quatre pieds, l’autre avec deux escabeaux, tous les deux recouverts d’un tapit vert (72). Lors de la vente aux enchères des biens de l’épicier Jacques Hélie, un notaire, maître Pierre de Senhano, achète unum scriptorium pour 11 deniers.
Certaines tables servent à compter mais d’autres sont des tables de jeu. La vente des biens de Jacques Hélie signale deux tabularios (bureaux ou tables de jeu?) achetés pour 17 deniers, ainsi qu’une tabula squaquorum, achetée par un sutor pour 2 sous 3 deniers. Explicite aussi la mention dans la salle basse de l’hôtel du sédier Pierre Vaquier en 1415, d’unam tabulam ad ludendum ad tabulas.
Les aménagements de confort
Fiat lux !
Les candélabres et lampes, les ustensiles de métal regroupés près des cheminées partipent aussi au décor. Aucun inventaire n’évoque l’allure des cheminées (hormis la notation de banquettes de chaque côté de l’âtre), rien sur leur décor éventuel. On signale parfois « un pare-feu à placer devant la cheminée ».Ailleurs, on se contente des accessoires habituels, chenêts, parfois avec anneaux, pelles à feu, tisonniers, ustensiles de métal divers, en cuivre souvent (73).
Les inventaires détaillent les différents modèles de candélabres (candelabrum), de lampes (crucibolum, patena, calelh), de lanternes (74)… Logiquement, les plus aisés ont plus de candélabres que les autres, qui se contentent de lampes à huile ou de chandelles de suif. Quelques-uns de ces dispositifs d’éclairage sont fixes (candelabrum ficador, plantador, fixatum in pariete, in torticio), mais la plupart sont portatifs. On précise s’ils accueillent des chandelles ou des torches de cire, des chandelles de suif (ceupi), on indique le nombre de douilles, le caractère ouvragé des pieds… Ces candélabres sont en métal (en fer le plus souvent, mais aussi en laiton, en cuivre), certains sont composés de « bandes de métal en guise de candélabre » (75). Un modèle sort de l’ordinaire et évoque les plaisirs de la chasse: chez noble François Ysalguier, unum cornum cervi pro candelabro, un candélabre en bois de cerf.
L’hygiène
Dans les hôtels des notables, des aménagements de confort facilitent l’hygiène et la toilette. Nous n’avons rencontré aucun indice d’évacuation des eaux usées, de présence d’évier, d’étuve. Chez la plupart des Toulousains, y compris chez les plus riches, une multitude de récipients permettent de porter l’eau : des seaux, de bois ou de cuivre, des bassines de métal de toutes tailles (« pour laver la tête des filles » dans l’inventaire de Bertrand Tornier), des aiguières dans les salles mais aussi dans les chambres.
Quelques grands cuveaux (cubatum) de bois sont mentionnés, explicitement dits pro balneando chez Bertrand Tornier ou unum cornutum abietis in quo mulieres balneantur chez Raimond d’Aurival. Seul l’inventaire de Raimond d’Aurival cite en passant des latrines (in quadam stagia bassa in qua sunt necessaria sive latrine, avec unam cathedram sive necessariam). Quelques-uns ont des chaises percées (cathedra perforata), par exemple Bertrand Tornier, Guilhem Azémar, Pierre Vaquier, Jean Faure. Si, chez ce dernier, on évoque une quatedram perforatam pro spaciendo, les inventaires de Jacques de Laval ou de Raimond d’Aurival sont plus naturalistes, unam cathedram fusti pro evacuando pondus naturale, unam cathedram pro cagando sive cagadoyra…
Le mobilier répond à des nécessités mais joue aussi un rôle évident d’aménagement spécifique, de confort, voire d’ornement. Peut-on pour autant parler de lien systématique entre ameublement et statut social? Oui, en partie : certains meubles et objets ne sont présents que chez les plus riches, a fortiori en grande quantité et de belle qualité ; de même, certains vivent le soir à l’éclat des candélabres et des chandelles tandis que d’autres sont faiblement éclairés. Mais on constate également, grâce aux listes de prix et d’acquéreurs des biens vendus à l’encan, que certaines pièces sont finalement abordables (76), qu’on les retrouve dans les intérieurs plus modestes d’artisans ou d’officiers subalternes. Il ne faut donc pas généraliser, mais penser aussi à la part de l’envie et du goût de chacun dans l’aménagement de son décor domestique.
Le décor relève enfin de tous les objets rangés, disposés dans et sur ces meubles, en particulier la vaisselle, le linge de maison, les tissus d’ameublement, tout ce qui compose un décor textile. C’est davantage dans cette parure de la demeure que se lisent la fortune, le raffinement, le style de vie et les références culturelles de certains Toulousains.
La maison parée : notabilité et urbanité toulousaines
La vaisselle de table: le poids de l’étain
Marie-Claude Marandet a largement détaillé la vaisselle de préparation et de service (77). Nous nous limiterons donc ici à quelques compléments sur la vaisselle de table grâce à des inventaires puisés dans divers registres, exemples plus remarquables que courants.
La vaisselle de table inventoriée est surtout d’étain, plus rarement de bois, encore plus rarement de terre. La quasi-absence de la vaisselle de terre, la plus courante, frappe le lecteur tandis que, quel que soit le niveau social, la vaisselle citée est le plus souvent d’étain. Est-ce là un signe d’urbanité ou un effet de source ? N’oublions pas que l’inventaire sert d’abord à évaluer la valeur des biens. Il y a fort à parier que la vaisselle de terre la plus commune ne valait pratiquement rien, était très fragile, éclatait ou se fendait après un certain nombre de cuissons (78)… En revanche, lorsque les inventaires notent la vaisselle de terre ou de bois, elle a une particularité ou un décor peint, ce qui tendrait à confirmer cette hypothèse : ainsi une jatte de bois peinte (unam grassalam fusti pictam) dans la cuisine de Guilhem del Pont, trois grasalas depictas parmi les biens de Jacques Hélie en 1371, les deux épiciers disposant par ailleurs d’une vaisselle de table d’étain variée et complète rangée dans l’aula. Les inventaires décrivent soigneusement les listes de vaisselle d’étain, quelques pièces chez les plus modestes, des services plus ou moins complets et raffinés chez les plus riches : écuelles profondes ou plates, avec ou sans oreilles, jattes, petites et grandes, avec ou sans anses, tranchoirs, salières, la forme et la contenance des pots et pichets (iusta, pitalpha rotunda, cadrata, ayguières), gobelets, tout est noté.
Quelques prix de vaisselle de table d’étain indiquent qu’elle est relativement abordable. Chez le scarcelier Germa Olivier un modeste ensemble de service de table en étain est estimé, en tout, 10 sous tournois. La vente des biens de Pierre Vaquier donne aussi quelques prix : deux platos, 8 sous, un pichet d’un demi pégau, 3 sous 2 deniers, une ayguière, 22 deniers.
Quelques ensembles de vaisselle d’étain :
Verres et bouteilles sont rarement mentionnés: parce que plus fragiles ou enlevés avant inventaire? Quelques documents en citent pourtant : la vente des biens de l’épicier Jacques Hélie laisse partir unam ambolam vitri plenam pour 11 deniers, deux ambolas vitri pour 20 deniers, six ambolas vitri pour 20 deniers, vingt ambolas vitri petites et grandes pour 2 sous ; chez un servinier on note unam anforam sive ambolam vitri, chez le fustier Jacques Boerii, une bouteille pleine d’eau de rose dans l’aula (unam amphoram plenam aquam rosarum), un vinaigrier de terre (vinagrerie terre) et un meuble pro tenendo vitra, verres qui ne sont pas listés; chez le barbier Jean Juvenis,
III amphoras vitri, IIII ventosas vitri et tria vitra pro bibendo.
L’argenterie: luxe et thésaurisation
L’argenterie est exceptionnelle et ne se rencontre que chez les plus notables. Elle ne se trouve jamais dans l’aula, mais enfermée dans des coffres dans les chambres ou les pièces qui servent de resserre aux objets les plus précieux. L’argenterie décore de façon la plus coûteuse et raffinée la table, mais elle est aussi un moyen de thésauriser, sert de réserve de numéraire, de moyen de paiement, a fortiori en ces temps de dévaluation de la monnaie, est enfin parfois laissée en gages.
Jeanne de Latour n’a qu’une cuiller d’argent, rangée dans un coffret peint, parmi les bijoux, chapelets, amulettes et plaques d’argent de ceinture; Pérone, veuve d’un sergent, a une tasse d’argent pesant environ une once ; le faure Vidal de Fomont a trois tasses d’argent, d’un demi-marc d’argent, et deux cuillers d’argent, retrouvées dans un grenier (une cachette ?). Bertrand Tornier possède de nombreuses pièces de métal précieux: une écuelle, un plat d’argent et un couteau d’argent, de l’orfèvrerie pour sa chapelle (calice et patène à ses armes), un petit reliquaire d’argent, mais aussi, parmi ses effets personnels, son sceau et deux chaufferettes munies d’argent. La plus grosse part de l’orfèvrerie est constituée par une liste impressionnante de bijoux et de ceintures aux plaques d’argent, biens de famille mais aussi probablement traces de gages d’anciens débiteurs.
Mais le plus bel ensemble appartient à Guilhem Azémar, une argenterie de prix qui pouvait orner la table et le dressoir. Les pièces sont décrites avec minutie, certaines ayant été laissées en gages (79) : six tasses d’argent, pleines, pesant 6 onces chacune ; un bassin d’argent, doré à l’intérieur, orné d’un émail représentant un homme et une femme avec trois arbres verts (Adam et Ève, le jardin d’Éden, scène courtoise?), avec le signe des Ysalguiers à l’extérieur, le tout pesant un marc 7 onces et un demi-denier d’argent; une « noix d’outremer » avec quatre anses d’argent doré, et avec un pied d’argent blanc, le tout pesant un marc d’argent, laissée en gage par les héritiers de Pierre Guilhem Jean de Montastruc, bourgeois de Toulouse; huit cuillers d’argent émaillées près des pelles, pesant 6 onces et 18 deniers d’argent; six cuillers d’argent avec des manches en forme de gland et de têtes d’hommes sculptées, pesant 8 onces et dix deniers d’argent; deux grands couteaux au manche d’ivoire pour servir et découper les viandes sur la table et argentés, émaillés d’azur et de fleurs de lis près de la lame/pelle (80) ; un autre petit couteau au manche d’ivoire, ces trois couteaux étant rangés dans un fourreau, ensemble laissé en gage par la dame de Terride au nom de sire Guilhem de Montbrun.
Outre les meubles, les luminaires, la vaisselle et l’argenterie, les maisons se parent d’un décor textile constitué par le linge de maison (linge de lit et de table), par les tissus d’ameublement et les tentures. Les intérieurs toulousains prennent alors des couleurs, offrent un décor textile raffiné chez les plus influents.
Le décor textile: couleurs et parure de la maison
Le linge de maison orne principalement tables et lits (81). Sa quantité, sa qualité et son état distinguent les maisons opulentes de celles au train de vie plus modeste ou à la splendeur passée. Certaines de ces pièces témoignent enfin de la transmission d’un patrimoine textile d’une génération à l’autre. On conserve le linge longtemps à la fois pour sa valeur matérielle et mémorielle: le linge de lit et de table neuf est rare, il est le plus souvent usé, déchiré, troué, mité… Cette valeur du beau linge fait que, comme la vaisselle précieuse et d’autres objets, certaines pièces sont laissées en gage : en témoignent explicitement les inventaires de Bertrand Tornier et de Guilhem Azémar, mais cela est probable chez d’autres, par exemple chez l’armurier Vidal de Fomont.
Le linge de table
Les diverses pièces du linge de table sont sorties lors des repas de fête mais aussi, pour certaines d’entre elles, tous les jours, combinées à la vaisselle déjà évoquée. Sont patiemment énumérées les nappes (mapa), les longières (longeria), les grands essuie-mains collectifs (manutergia), les serviettes individuelles ou touailles (toalhas), de belle taille aussi. Les dimensions de ce linge sont amples : les tables sont longues et les nappes retombent au sol. La qualité et la provenance des tissus varient: lin grossier (mappa grossa), d’étoupe (stope), ou plus fin, de palmète, des nappes et longières istius patrie, opere Tholose mais aussi operis de Damacio, Francie, Catalonie (82), des serviettes ouvrées (manutergium operatum).
Marie-Claude Marandet ayant développé ce point, nous nous contentons de présenter quelques exemples. Comme pour le linge de lit, les plus riches en ont beaucoup (83), de qualité variée, les plus modestes se contentent de quelques pièces (84), nappes et manutergia surtout, les touailles étant beaucoup plus rares, à moins que les mots soient parfois employés l’un pour l’autre.
Ce linge de table est rayé (85) ou damassé: le plus souvent, les nappes ont trois vetis (à trois bandes ou raies, ou à raie triple?) à chaque extrémité (in quolibet capite), mais aussi à deux, quatre, sept, neuf et même douze ; longières et manutergia sont aussi rayées, composant des ensembles assortis aux nappes. Les inventaires ne mentionnent pas de couleurs, ni pour les nappes, longières et serviettes, ni pour les raies. Ce linge de table a-t-il des bandes colorées, comme le linge basque actuel ? Cela est possible puisque nous avons rencontré une fois la mention d’une nappe à cinq raies bleues chez le juriste Jean de Turre. De façon plus courante, on semble jouer sur l’alternance des tissages qui donne un aspect damassé à un linge blanc.
Le linge de lit
On retrouve ce que les dots englobent dans l’expression lectum munitum: la culcitra (couette, en fait davantage le matelas, une housse de toile garnie de plume, un peu plus grande en général que les bois de lit) (86) ; la couette ou édredon serait plutôt la cossena, coyssena, (mais le même mot désigne aussi des coussins et même parfois le matelas, en fonction des énumérations et des dimensions); les oreillers sont désignés par auricular, pulvinar (qui peut être traversatus ou d’une dimension correspondant à la largeur du lit); et tout ce que l’on étend sur le lit, couverture (copertorium, cobertura, copertura, flassiata, flessiata, flaceata), courte-pointe (lodex, vanoa), sergia, sarguia, ou bocayran lorsqu’il s’agit d’un couvre-lit de toile, et bien entendu les draps (linteamina).
Les couvertures et courtes-pointes sont en général blanches mais elles sont très souvent ornées de bandes, raies, rayures (veta), le plus souvent rouges et vertes (87), mais aussi noires (88) ou roses (89). Ces raies ou bandes colorées sont précisément décrites: fines ou larges, elles sont simples, doubles, triples, disposées dans la longueur, dans la largeur ou en bordure (bordonalis). Ce linge rayé n’est pas spécifiquement toulousain: peintures et enluminures italiennes en montrent (90), mais curieusement pas celles des manuscrits produits en Toulousain et aujourd’hui conservés à la Bibliothèque Municipale de Toulouse (91) ; à Saragosse, Pampelune, les inventaires livrent des couvertures rayées, mais en nombre bien moindre qu’à Toulouse (92) ; rayures et couleurs sont très présentes en revanche dans les chambres bourguignonnes (93). Certaines couvertures et courtes-pointes sont d’autres couleurs, en particulier vertes, bleu livide ou safran. Dans les maisons les plus aisées, les couvertures peuvent être de soie (de cirico, ciricis).
Les couvertures et draps sont de très grandes dimensions, retombent jusqu’au sol. Ils ne sont donc pas tissés d’un seul tenant, mais sont composés de plusieurs lés d’étoffe, dites perna, deux ou trois en général. Les draps sont pour les plus frustes en toile de chanvre dite serpiliera mais surtout en toile de lin, de lin grossier, d’étoupe (stope) (94) ou plus fin, de lin primum (95). On cite aussi une toile dite bourgeoise (tele burgesie) ou palmete. Certains draps sont ouvrés (operatus), brodés (raudatus de fil blanc, de soie blanche, à l’extrémité, au milieu (96)…), sont « de ce pays », mais aussi de Béarn, de Paris, de Reims, de Bruges…
Le drapier Guilhem Azémar (à tout seigneur, tout honneur!), possède tous les types de draps, des plus ordinaires aux plus fins, parfois brodés : des lintheamina tele canavae vocate serpelieyra de Flandres, des draps de toile de ce pays (tele istius patrie), de tele burgosie (97), tele de Reins raudata de cirico albo… Chez Bertrand Tornier, même éventail de choix jusqu’aux draps de Remps brodés, aux draps d’Espagne (lintheamina prima tele Ispanie). Chez Jean de Turre un drap à deux lés, telle bearnie, et brodé.
L’abondance et la qualité du linge de lit signent sans conteste l’aisance et un statut social privilégié:
Cumbis, de Tounis, une par linteaminum trium pernarum, 28 sous ; à Raimond Lemozini, une par linteaminum trium pernarum, 21 sous 10 deniers, une autre à deux pernarum pour 10 sous 2 deniers.
Le lit de Pérone, veuve d’un sergent (1432) est probablement dans la moyenne. Il est fait de quatre bois de lit, recouverts d’un matelas de 2,70 m de long, avec une raie double dans la longueur, de deux draps à deux lés de palmète, d’une couverture verte avec huit raies rouges à chaque extrémité, de 3,15 m sur 2,70 m, et d’un pagadorum en toile d’étoupe, de 3,60 m de côté ; s’y ajoutent deux traversins bourrés de plume (2,25 m de long), l’un ayant une raie double sur la longueur, l’autre avec une raie transversale, une couette garnie de plume de 2,25 m de côté, avec une raie double dans la longueur, une autre couverture verte avec cinq raies rouges à chaque extrémité de 2,70 m de long environ (99).
Très représentatifs aussi les tons des couvertures des lits du juriste Jean de Turre : une couverture verte à huit raies rouges à chaque extrémité, une couverture rouge avec dix raies vertes avec deux raies blanches à chaque extrémité.
Quelques ensembles sortent pourtant de l’ordinaire.
Le linge de lit du faure Vidal de Fomont tranche par son abondance mais surtout par les teintes choisies. Dans une première chambre, un arqualieyt cum solerio de 8 empans sur 8, une couette de plume avec une bande double (cum benda duplici) dans la longueur, cinq oreillers, une couette avec peu de plumes, une couverture verte, usée, avec sept raies rouges à chaque extrémité, deux draps d’étoupe à deux lés. Dans une autre chambre, un arqualieyt bresquat, et le linge de lit: deux oreillers, une flassiata rose avec plusieurs raies à l’extrémité, tant blanches que rouges (unam flassiatam coloris rosseti cum diversis vetis in capite tam albis quam rubeis cum quolibet capite longitudinis X palmorum et VIII amplitudinis). Dans une autre chambre, une flassiata rouge tannée (rubey tannati coloris); dans une autre chambre, une courte-pointe peinte en jaune safran (unam vanoam crocei coloris depinctam longitudinis XIIII palmorum vel circa et amplitudinis X vel circa).
Certains ornent enfin leur couche de courtines et/ou d’un ciel de lit. L’épicier Jean Faure et le barbier Jean Juvenis ont en guise de ciel de lit un simple drap (linteamen pro faciendo sobresel, ad modum sobressiels). Jean Faure dort dans un archaliet abietis cum solerio de 2,70 m sur 2,25 m, bordé dans la longueur d’un banc de sapin et d’une planche dans la largeur. Le lit est garni d’une couette de plume avec une raie double dans la longueur (3,15 m x 2,45 m), d’une paire de draps de lin, l’un à trois lés, l’autre à deux lés, de mêmes dimensions, de deux traversins (2,70 m) de plume avec une raie double dans la longueur, d’une couverture verte avec sept raies rouges à chaque extrémité, de 16 empans sur 12. Le tout est surmonté d’un drap pour faire un ciel (unum linteamen pro faciendo sobresel), à deux lés, de 2,25 m sur 1,80 m. Sa femme déclare d’autre part qu’une pièce de courtine à trois lés avec ses anneaux de cuivre sont à elle… Le sédier Pierre Vaquier possède duas cortinas viridis, suspendues à des virgas ferri. Le tout est ensuite vendu pour 16 sous 6 deniers. Le drapier Guilhem Azémar a deux pièces de courtines, vertes aussi, suspendues à trois tringles de fer (100).
Mais les plus beaux ensembles de courtines demeurent ceux des hôtels Tornier. Trois de ces ensembles sont en place lors de l’inventaire. À Toulouse, dans la chambre de Bertrand Tornier et dans celle de dame Irlande sa femme, on liste chaque fois cinq courtines de toile écrue (pecie cortinarum de canabas albarum) qui entourent le lit et forment un ciel. À Mons, autour du lit du maître des lieux, amateur de chasse, quatre pièces de toile blanche pro cortinis lecti peintes (pictas) d’un lièvre et des armes de Bertrand enchaînées.Au-dessus du lit, un ciel en grosse toile écrue (101). En dehors de ces trois décors en place dans des chambres, des courtines sont aussi rangées dans des coffres: trois pièces de courtines blanches, cinq courtines de serge tannée (sargue tanade) frappées aux armes de Bertrand (cum armis dicti condam Bertrandi).
Les courtines de lit des plus riches Toulousains sont en toile, pas en tissus lourds. On l’a évoqué, certaines courtes-pointes et courtines sont en toile peinte (102). Cela semble toujours mentionné (des courtines vertes ne sont pas dites peintes mais taillées dans un tissu vert). On trouve d’autres exemples de ces dessus-de-lit peints, y compris chez des Toulousains plus modestes.Ainsi, le lit conjugal du scarcelier Germa Olivier est agrémenté d’une serge peinte à la teinte ou au motif inconnus (sargua depicta) (103).
Le décor de ces chambres est donc à la fois feutré et coloré : les grands lits sont bordés de coffres et de bancs garnis de coussins, de couvertures aux raies vives, d’édredons galonés, de dessus-de-lit colorés. L’été on goûte la fraîcheur des draps de lin, les tonalités claires ou froides, l’hiver les courtines tirées, les couvertures et édredons conservent la tiédeur. Les harmonies chromatiques se déploient surtout autour du vert, du rouge, contrastant avec le blanc, l’écru, le noir. Le bleu et le jaune sont aussi présents, mais moins massivement. La présence de bassines, d’aiguières, de tables de travail, de coffrets où sont enfermés les effets personnels, démontrent que les chambres sont les lieux privilégiés de la vie familiale la plus privée, évoquant la naissance de l’intime au sein de ces demeures, au moins chez les plus riches (104).
Les coussins, les tissus d’ameublement, les tentures: entre armoiries et piété.
Des carreaux ou coussins (carrellos, carrellos sive minhotos), aux dimensions inconnues, posés à même le sol, augmentent le nombre de sièges. Ces carreaux sont en tissu mais aussi en cuir, de couleur, ouvragés, décrits comme vides ou pleins, cassés ou en bon état.
La vente aux enchères des biens de l’épicier Guilhem Hélie en 1371 donne un éventail de prix : à Jean Barravi, cinq minhotos operatos, vides ou pleins pour 5 sous ; à Pons Maurini, quatre minhotos de cirico rubeo 4 sous 3 deniers. Chez le sédier Pierre Vaquier, deux vieux carreaux, cassés, sont ensuite vendus 13 deniers. Bertrand Tornier a des coussins précieux : quatre minhotos, deux de velours rouge aux armes de Bertrand et de sa mère (une Garaud), l’un de cendal à ramages, l’autre de cendal uni. À Mons, trois carreaux de laine, ouvragés, vieux et usés, et deux carreaux de cuir (105). Dans l’aula de Guilhem Azémar, six carreaux armoriés, dans la chambre, trois coussins recouverts de soie, le tout en mauvais état (106). Dans la chambre de Jean Chagerii, cinq minhotz sive carrelos, usitatos (107), dans l’autre chambre, cinq autres. Chez Raimond d’Aurival, unum minhotum cum borlis de cirico albo in capitibus (108). Pour rendre les coffres et les bancs plus confortables, on les recouvre de banquiers ou bancals (banquale).
L’autre intérêt des bancals aux couleurs éclatantes, ou même armoriés, est de dissimuler et de parer un simple banc de sapin.
Sans surprise, on cite les bancals chez les épiciers, marchands, artisans fortunés, les vieilles familles influentes de Toulouse. Chez Guilhem del Pont, dans l’aula, à trois bancs correspondent trois bacallos parvi valoris. Chez Jean Faure, trois bancals verts avec des fleurs de lis, de 3,60 m chacun, et deux bancals verts de 5,40 m (109). Chez Vidal de Fomont, deux bancals verts en bon état, de 3,60 m de long, et deux autres de même longueur mais usés et valant peu. Une fois encore, la vente aux enchères des biens de l’épicier Guilhem Hélie en 1371 fournit modèles et prix (110) : una par bancalium achetée par Bertrand de Gimello, apothicaire, pour 4 sous 6 deniers, à Jacques de Bretis une autre pour 5 sous 1 denier. De même celle des biens du sédier Pierre Vaquier : trois bancals bleus, dont un peint en bleu (quoddam bancalle percii coloris depictum), vendus chacun pour 6 sous.
On trouve des bancals armoriés chez des nobles et anoblis récents. Chez Bertrand Tornier, rangés dans un coffre de l’hôtel toulousain, neuf bancals mesurent d’environ 5 m à plus de 10 m pour trois d’entre eux. Deux sont dits de couleur tannée (tanade), deux verts, quatre multicolores. S’y ajoute une pièce d’étamine noire (staminie),
ad modum banqualli, avec des lettres brodées, assortie à une tenture murale (paramentum) d’étamine noire, frappée des signes de l’hôtel et d’Espagne. Enfin, un bancal dont la couleur n’est pas précisée, mais qui est frappé du nom et des armoiries de Bertrand et des Mauléon. Sept de ces bancals portent des signes (cum signis), parfois indéterminés, cinq sont frappés d’armoiries, de manière récurrente les armes dites « de l’hôtel », celle « de Bertrand » (sont-ce les mêmes ?), des Garaud (sa mère) (111), des Viviers, de Mauléon, seules ou couplées à celles de Bertrand. Certaines de ces pièces ont donc été vraisemblablement léguées de génération en génération; il est plus difficile de découvrir la provenance d’autres pièces qui ont pû être laissées en gages et finalement intégrées au stock de la maison en y apposant ses propres armoiries (112).
Même affichage héraldique et mémoire familiale chez sire Raimond Embry: un bancal vert où « ses signes sont entrelacés de ramages, deux autres bancals verts portant les armoiries de son père et de sa mère » (113). Jeanne de Latour a trois bancals verts et un rouge, et sur ces quatre bancals, trois portent divers signes (114). Mais les banquiers armoriés sont aussi présents chez des non nobles, en particulier chez des marchands et simples artisans du secteur textile (115).
Chez Guilhem Azémar, marchand drapier, unum banquale coloris viridis cum signis dicti condam Guilhelmi, de 4 cannes et 2 empans de long ; un autre de même couleur, cum signis dicti condam Guillelmi Azemarii et dels Senhoros, de 3 cannes de long ; un autre eiusdem coloris et de dictis signis signalatum, vieux et déchiré, de 2 cannes de long. Dans la chambre de son épouse, 4 pièces de bancal à ses armes et d’autres signes, avec « un champ blanc » : était-elle en train de les broder ? (116).
Le boursier Jacques Laval possède aussi cinq bancals verts, dont trois forment un ensemble assorti, associant trois flèches à des roses rouges et blanches dans des écus : « cum tribus scutis in quibus sunt flechis videlicet tres fleche in quolibet scuto cum rosis albis et rubeys » (117). De même, Germa Oliverii, scarcelier, a trois pièces de banquale, longues de 3,60 m chacune, à ses armes (non décrites). Chez le sergent royal Guilhem Capelle en 1461, les meubles des armoiries sont décrits précisément: « deux bancals de deux cannes (3,60 m) ornés de rouge, de vert, de bleu, de blanc, où sont les armes dudit Capelle à savoir une chapelle composée au faîte sur trois piliers de pierre ou de bois », donc des armoiries parlantes (118)…
Le décor textile est aussi complété, chez les plus aisés, par des tapit qui recouvrent des tables de travail. On en a évoqué deux exemples chez Guilhem Azémar ; Bertrand Tornier a aussi un tapit velutum et operatum de 2,25 m sur 1,15 m.
De même, les rares pare-feu en tissu. Chez Bertrand Tornier: un pare-feu vert et armorié, fort grand, unum paramentum sive cubertam viridem pro ponendo ante chamineyam aule, signalatum de quinque signis et armis hospicii, totum novum, de 15 empans sur 12, c’est-à-dire 3,35 m sur 2,70 m. A-t-on ici quelque indice des dimen- sions de la cheminée? Ou se protège-t-on des escarbilles grâce à un véritable paravent de drap visiblement
fabriqué à partir d’une tenture ? Chez le sédier Pierre Vaquier, on inventorie d’abord quoddam pannum ad ponendum ante chamineam, puis unum panum lane operatum in aliquibus partibus ad tenendum ante chamineam est vendu 13 sous 1 denier.
Maisons et intérieurs toulousains blasonnent. Les armoiries frappent portail et clés de voûtes, la vaisselle précieuse, les courtines, les banquiers, les carreaux, les tentures murales, de nombreux objets personnels (le sceau, les livres, armes…), répondant peut-être à des peintures murales armoriées (119). Des armoiries sont présentes aussi sur des couvertures, là encore dans des catégories sociales diverses, même si elles sont plus massivement présentes chez les notables, nobles ou non. Ces armoiries sont-elles brodées? peintes? Les quelques indices glanés çà et là (comme pour les banquiers) tendent à montrer que les deux techniques sont utilisées.
Le scarcelier Germa Olivier étend sur un des lits une courte pointe verte à ses armes: (cum signo Oliverii), Guilhem del Pont a unam vanuam signalatam diversis signis decoratam, le sédier Pierre Vaquier a une couverture blanche avec cinq signes, Jeanne de Latour une verte avec un signe au centre. Encore une fois, Bertrand Tornier et Guilhem Azémar possèdent tous deux une belle collection de couvertures de prix où le rouge et les tissus ou fils d’or dominent, mais aussi le vert et le livide utilisé en doublure: pour Bertrand Tornier, six au total, dont quatre armoriées, dont une de berceau (120), chez Guilhem Azémar, huit couvertures de prix, dont trois armoriées, dont trois de berceau (de soie, avec du tissu d’or, deux armoriées), ainsi que deux couvertures de soie doublées de toile livide (121). On voit donc se dessiner des ensembles pensés, assortis, entre bancals, coussins, courtines, dessus-de-lit et couvertures de berceau aux couleurs éclatantes, aux reflets soyeux pour certains. Les armoiries chantent le lignage, sa transmission et ses alliances, mais sont aussi des objets ostentatoires, des marques de supériorité sociale, induisent des dépendances lorsqu’il s’agit de gages.
Enfin, dans un nombre très limité de demeures toulousaines, les murs se parent de tentures peintes, de draps, parfois de laine, peints : panum, panum laneum, pannum laneum paramenti, panesius, telerium, paramentum, paramentum tele, pargerium/pergerium, pictum ou depictum (122).
Que sait-on des toiles peintes médiévales ? Elles apparaissent en général dans des inventaires de chapelles, d’église, dans des commandes princières (123). Le musée des Beaux-Arts de Reims conserve une vingtaine de toiles peintes (deuxième moitié du XVe -début XVIe siècle) qui proviennent de l’ancien Hôtel-Dieu. Une de ces séries, neuf toiles datées du milieu du XVe siècle, illustre la Passion. Leur dimension moyenne est de 3,50 m sur 3,40 m, et chaque toile est constituée de trois lés de chanvre. Ces toiles étaient probablement exposées à la vue des malades pendant la semaine sainte, sur le chemin de la chapelle. Il s’agit bien de toiles peintes, et non teintes, même s’il s’avère, grâce aux analyses et études très fines, que des procédés de l’art de la teinturerie ont été adaptés ici, permettant de rendre plus solide une peinture fragile issue de méthodes peu coûteuses (124).
En dehors de tissus peints plutôt septentrionaux ou italiens (125), les exemples catalans de tela ou draps de pinzel montrent que des toiles peintes sont commandées dans la couronne d’Aragon aux XIVe et XVe siècles à des peintres connus pour la cour (courtines, décors, ornement de chapelle, de château), pour des cathédrales et églises (Annonciation,Vierge à l’Enfant, figures de saints et de saintes, Calvaire, pour protéger des retables…) (126), mais ornent aussi les maisons des notables de Barcelone (127). À Aix-en-Provence, pour des milieux sociaux comparables à ceux de l’oligarchie toulousaine, Noël Coulet et Lucie Larochelle signalent quelques panni historiati, sans plus de détails (128), à Saragosse, Jean-Pierre Barraqué n’en a pas rencontré. L’enquête est désormais ouverte pour le Languedoc, le Toulousain…
Pour les cas rémois et catalans, on a bien des exemples de toiles peintes à main levée, par des artistes connus ou anonymes, mais dans d’autres cas, notamment pour certaines toiles de Reims, on les obtient par xylographie ou impression au bloc, autant de procédés qui sont attestés en Italie au Moyen Âge, dans le Gers et à Toulouse pour les époques moderne et contemporaine (129). Le nombre important de mentions relevées dans les inventaires des belles demeures toulousaines, ou dans la boutique du sédier Pierre Vaquier, pourrait s’expliquer par une production locale ou régionale, à moins que ces pièces ne fassent l’objet d’un commerce plus lointain (130).
Revenons à la série de tentures peintes (pannum pictum, paramentum pictum, telerium pictum) (131) des inventaires toulousains (cf. transcriptions en annexe).
Les scènes et motifs représentés renvoient à l’univers armorié déjà évoqué mais les thèmes religieux l’emportent largement (132). Ce décor religieux nourrit-il la piété quotidienne des habitants de la demeure, est-il le garant visible de leur orthodoxie, participe-t-il, au même titre que les amulettes et reliquaires abrités dans les coffrets, à la protection de la maison ? On constate que la Vierge est la plus figurée: deux Nativités chez Guilhem Azémar (dum jacebat de puerperio), la Vierge seule (Pierre Vaquier) ou avec « d’autres figures » (Guilhem Azémar), Marie et saint Barthélemy (Pierre Vaquier). De même les saints: les douze Apôtres (Guilhem Azémar), saint Georges, saints Pierre et Paul (Pierre Vaquier), saint André (Jean Faure), sainte Catherine (Arnaud de Bosco (133))… Mais aussi une Crucifixion, une vie de Job (Guilhem Azémar), la Sibylle (Pierre Vaquier)… Enfin, les Âges de l’Homme (Guilhem Azémar), les mois de l’année (Jacques de Laval), la Fontaine de Jouvence (Guilhem Azémar, Jacques de Laval), la Châtelaine (134), des bêtes, des lièvres et des animaux au milieu de feuilles de vigne (Guilhem Azémar, Jacques de Laval), des ramages (Pierre Vaquier): ces motifs peuvent être lus comme purement décoratifs, introduisant dans ces pièces citadines un morceau de jardin ou de nature stylisée, mais aussi comme une ouverture vers les savoirs et la littérature de la fin du Moyen Âge.
Ces toiles sont de dimensions diverses. Les plus petites font 1,10 m de long, la plus grande 5,40 m sur 2,45 m, la moyenne tourne autour de 3 m/3,60 m sur 2 m/2,25 m, certaines pouvant d’ailleurs constituer des paires, des ensembles. Trois pergeria ressemblent davantage à une très longue bande (135).
Les inventaires les citent pêle-mêle avec d’autres objets et tissus précieux de la maison, tantôt rangées dans des coffres, tantôt encore en place (136). On les rencontre dans l’aula et la chambre, ce qui est attendu pour les deux espaces dont le décor est le plus soigné parce qu’à la fois lieux de vie et de représentation sociale.
Ainsi trouve-ton dans l’aula de Guilhem Azémar, une Nativité; dans la chambre, les Âges de l’Homme et une Nativité de mêmes dimensions (une paire ?), la plus grande toile peinte représentant les douze Apôtres, un tissu armorié et cette longue bande représentant des lièvres et d’autres animaux parmi des feuilles de vigne. Dans deux autres chambres, la toile peinte est en place, en tête de lit (in capite cuiusdam lecti) et représente dans un cas la Fontaine de Jouvence, dans l’autre, la Vie de Job.
Mais plus étonnant, ces toiles décorent aussi le portique qui prolonge l’intrata et donne probablement sur la cour. Ce portique est un espace de circulation par lequel tout visiteur pénètre dans la maison, mais aussi un espace de convivialité, meublé (137) et décoré, à l’ombre et au frais. Sous le portique de Guilhem Azémar, encore au mur, deux toiles de dimensions équivalentes, représentant une Crucifixion, la Vierge Marie et d’autres figures. Chez le sédier Pierre Vaquier, une toile peinte de 3,60 m de long (sujet non précisé) décore l’ambulatorius. Ces toiles parfois suspendues dans des espaces ouverts sont-elles très chères ? En 1416, les biens du sédier Pierre Vaquier sont vendus neufs (venant directement de l’ouvroir où ils ont été aussi inventoriés) ou d’occasion (ceux qui décoraient son intérieur). Le prix des toiles peintes varie entre 6 sous et 4 deniers… Elles sont donc abordables pour les plus riches mais restent hors de portée des plus humbles (138).
En guise de conclusion, que retenir ?
Des contrastes: entre les beaux objets, neufs, et une multitude en mauvais état, y compris dans les meilleures maisons. Effet de source ? Signe que l’on ne jette rien ? Indice des revirements de fortune?
La variété du décor des intérieurs des maisons toulousaines en fonction de la fortune du propriétaire. Ce critère n’est cependant pas toujours pertinent: certains Toulousains modestes possèdent des meubles, objets, éléments de décor textile que l’on ne s’attendrait à trouver que chez les plus influents. Les listes de prix montrent que ces pièces ne sont pas forcément hors de portée et l’on peut supposer qu’une production variée permet tout un éventail de produits et de prix. D’autre part, n’écartons pas la part de l’envie et du goût qui pousse à acquérir quelques beaux objets ou des pièces qui fassent de l’effet. Il est cependant incontestable que les intérieurs les plus meublés, les plus ornés, faisant la part belle au superflu et à la parade sociale sont ceux des Toulousains qui appartiennent aux élites urbaines, les nobles, surtout lorsque la noblesse est récente, les épiciers, marchands drapiers, sédiers, changeurs, mais aussi les hommes aux talents intellectuels et techniques tels que les diplômés en droit, les médecins, un forgeron-armurier ou un boursier…
La mobilité et la modularité des décors. Des meubles sont pliants (tables, chaises), susceptibles d’être déplacés ou adaptés au nombre de personnes présentes. L’on peut faire suivre avec soi les candélabres, les pare-feu, les tabourets, les carreaux, les berceaux, à l’intérieur, dehors, sous le portique ou au jardin. La vaisselle de table et le décor textile varient selon les circonstances: décor ordinaire, quotidien, mais aussi décor soigné, voire ostentatoire, pour les jours de fête ou dans des espaces privilégiés. Chez les plus riches, toute la palette existe.
Des intérieurs colorés : nappes et draps blancs, rayures, galons et couleurs des couvertures et dessus-de-lit, coussins et banquiers éclatants, voire armoriés, courtines et tapis de table de couleur… Murs peints? De façon assurée, des murs ornés de tentures, des toiles peintes plus à la portée de la bourse des notables toulousains que les tapisseries.
On a remarqué la récurrence des objets et décors armoriés, qui font peut-être écho à des peintures murales ou à des pavements armoriés. À Toulouse, l’oligarchie est composite, et elle se renouvelle à la fin du Moyen Âge. Ces notables, d’origines très diverses, constituent progressivement une identité urbaine et une conscience affirmée de groupe, fondées sur l’histoire toulousaine, sur des mots, sur des codes et des références culturelles (139). L’une des racines de cette identité puise dans la chevalerie urbaine. La diffusion de l’héraldique est un des aspects de cette conscience identitaire : le décor coloré et armorié des intérieurs des notables toulousains fait écho aux Livres des Histoires où ces mêmes hommes se font portraiturer sous leur blason, dans des couleurs éclatantes (140). Ces hommes blasonnaient sans doute par snobisme, par mode, mais aussi parce qu’ils avaient assimilé les codes de cohésion des élites toulousaines.